ATHENA-DEFENSE

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Armées et défense : une offre stratégique nouvelle, qui a dit ça ?

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Le langage pseudo- branché des communicants finira toujours par me faire sourire. Ainsi sur le site officielle de l’armée de terre nous pouvons lire que : « En septembre 2014, le général CEMAT a reçu pour mission du ministre de la Défense de bâtir un nouveau modèle pour l’armée de Terre » et un peu plus loin : « Le modèle Au contact permet à l’armée de Terre de proposer une nouvelle offre stratégique qui s’inscrit pleinement dans le plan Cap 2020 de l’état-major des armées »

 

Le terme « offre » et singulièrement « offre stratégique », s’il n’est pas choquant en soi, souligne cependant l’incapacité de ces mêmes communicants de traduire ce qui s’inscrit en fait dans une continuité, l’affaiblissement de notre outil de défense. Il s’agit pour eux  de « vendre » un concept qui ferait face à une « demande » de sécurité adaptée aux menaces. Ainsi, « Une nouvelle architecture d’armée, plus souple et dynamique » s’impose. Ce discours,  tant rodé qu’il en devient lassant implique à imprimer aux forces  plus de souplesse. Au passage,   il est légitime de se demander jusqu’où l’étirement des muscles va être possible,  alors que la plupart des armées font de la musculation et se renforcent,  nous continuons  à nous assouplir comme si cette armée sollicitée sur le territoire national, comme à l’extérieur, avait encore besoin de plus de souplesse.

 

En fait, pourquoi pas,  réflexion faite le nouveau modèle est parfaitement séduisant et cohérent. Mais il y a un inconvénient majeur, ce modèle en l’état de projet est sans garantie de financement. Car,  dans notre propension, j’allais dire prétention à proposer des projets ambitieux, pour lesquels nous mettons en face un budget fantôme, nous sommes devenus champion du monde toute catégorie. La  mise en réserve récente de  470 millions d'euros supplémentaires du budget de la Défense en 2016, porte le montant de la réserve de précaution à 1,9 milliard d'euros de crédits de paiement sur le programme 146. On sait ce que veut dire mise en réserve...  Il est donc légitime de s’interroger sur les promesses de François Hollande de sanctuariser le budget de la Défense au regard du contexte sécuritaire. Quant aux promesses d’après 2017,  elles n’engagent aucun candidat de  la présidentielle déclaré ou à venir,  et surtout pas l’actuel.

 

Or, l’outil  défense est exsangue  qu’on en juge par quelques exemples non exclusivement limités à la seule armée de terre :

 

Dans la Marine,  nous possédons 3 BPC, ce fameux couteau suisse, exporté depuis vers l’Egypte,  dont la capacité à être des porte-hélicoptères n’aura échappé à personne, sauf que les nôtres n’ont pas d’hélicoptères à mettre dessus. 

 

Nous possédons un  unique et magnifique porte-avions nucléaire qui tous les 7 ans est placé en  IPER (Indisponibilité Périodique pour Entretien et Réparations), laissant ainsi pendant près de dix-huit mois la France sans aviation embarquée (GAE). Ce choix, qui remonte à  2008, a été pérennisé lors du flop de la coopération franco-britannique.  Nicolas Sarkozy avait renvoyé à 2011/2012 sa décision concernant la construction ou non d'un second porte-avions français. Les britanniques ont joué perfide comme à leur habitude.  On sait ce qu’il en est  donc advenu faute de budget suffisant. Ce non-choix  a offert une soi-disant priorité aux frégates dont le nombre de 18 est vite passé à 17 puis, les ambitions ayant été progressivement réduites à 11 commandées, tout en décidant  d’inclure dans ce total les frégates légères furtives (FLF) de type La Fayette, considérées jusqu’alors comme des navires de second rang en raison de la faiblesse de leur armement. Nous aurons finalement sauf révision possible,  8 FREMM, 10 de moins qu’au départ,  dont deux destinées à la lutte anti-aérienne car entre temps le nombre de nos FREDA est passé de 4 à 2. Les apparences sont ainsi presque sauves mais ne trompent personne. Les marins feront avec un nombre  de frégates rationné, ou plutôt sans. C’est là comme ailleurs l’histoire des courbes qui s’inversent tout en augmentant.  L’Italie, partenaire industriel d’importance a finalement pu maintenir sa cible initiale à 10  (elles sont plus puissament armées) soit 2 de plus que la France. Le cout d’acquisition des  Fremm a donc  augmenté, ce qui obéit à une logique industrielle.

 

Mais cette nouvelle réduction de cible (il faudrait s’en réjouir), doit en effet permettre de lancer le programme des frégates de taille intermédiaire (FTI), dont 5 exemplaires doivent être commandés. Enfin, on le dit. (vieille réminiscence de mon atavisme corse), on dit aussi que c’est mieux pour l’exportation.  Bref, nous voilà donc a priori plus fort en étant plus faible ce qui en langage de  communicant se traduit par  plus souple, on connait la chanson.  

 

Pourtant, et ce n’est pas le moindre des paradoxes, nous possédons le second  domaine maritime mondial en termes de surface juste derrière les Etats-Unis, domaine que nous sous-exploitons par ailleurs en  absence de vision à long terme et  nous venons d’étendre notre domaine de 579.000 km2 soit l’équivalent du territoire français. Conséquence,  nous réduisons  notre capacité de présence et de souveraineté sur toutes les mers du globe, alors que la puissance sous-marine et de surface des pays comme la Chine, la Russie, l’Inde, les Corées, le Japon, l’Australie, pour ne citer que ceux-ci augmentent de manière exponentielle. 

 

Il faut se convaincre que nos six sous-marins de type barracuda suffiront,  car 6, se traduit par une présence de  3 en mer quand tout va bien.

 

Si je devais être moqueur, je dirais qu’heureusement nos moyens de renseignements ne diminuent pas,  ce qui permet sans risque d’erreur de constater le réarmement des autres, et la potentialité des nouvelles menaces,  tout en se lamentant sur l’épuisement et l’inadaptation des  nôtres.

 

Car le nœud gordien  de notre défense est loin d’être tranché. La nécessité de maintenir notre outil nucléaire à niveau impose d’ores et déjà une augmentation du budget dédié,  et tenir tous les objectifs dans un budget qui serait contraint est fantasmatique. Affirmer le contraire est un mensonge biblique.  Il est vrai que nous en avons pris l’habitude,  il est tout aussi  vrai, qu’en France, singulièrement,  on n’adapte pas les moyens à la stratégie mais la stratégie aux moyens, ce qui donne l’ampleur de notre ambition et pourtant nous le savons, la défense et notamment par sa R§D est un moteur économique majeur.

 

Nous sommes aussi champions du monde de l’imagination créative, ce qui est un pléonasme, celle par exemple de  créer des commandements nouveaux, sans jamais leur donner les moyens dédiés. La dernière création en date étant celle du  COM TN (commandement territoire nationale)   qui « concrétise la prise en compte par l’armée de Terre de l’évolution de la menace sur le territoire national, à travers notamment un rééquilibrage de son offre stratégique » cette même offre, ne change pas fondamentalement la donne, la  force opérationnelle terrestre comptera 77.000 hommes alors qu’elle n’en compte que 66.000 actuellement, ce qui est insuffisant. Ainsi, les  régiments devront désormais, en plus de leur mission de formation et les Opex, assurer une mission de type DOT, (défense opérationnelle du territoire), qui demande une disponibilité supplémentaire.  

 

La DOT,  au risque de passer pour « has been » permettait, grâce à la conscription et au réservoir de personnels formés de dédoubler les régiments avec des moyens de mobilisation adaptés.

 

Depuis cette fameuse suspension du service national, dont on mesure les effets aujourd’hui,  sur le plan sociétal, on a foutu en l’air un outil jugé obsolète et surdimensionné, compte tenu de l’ère de paix absolue qui allait caractériser notre époque post guerre froide.  Mais, cette réserve formée et immédiatement disponible  permettait en cas de coup dur, d’assurer des missions de protection des cibles sensibles, et de contre-terrorisme. Michel Goya,  que l’on ne peut taxer de langue de bois,  le dit avec conviction : « Force est d’admettre désormais que la gestion depuis vingt ans de notre outil de défense et plus particulièrement de ses ressources humaines est un désastre. Au nom des dividendes de la paix, de la professionnalisation, du « dégraissage » de la fonction publique, du sauvetage des grands programmes industriels puis des seules finances publiques, nous avons taillé dans les effectifs militaires à tour de bras. Pour la seule décennie 2008-2018, nous sommes ainsi en train de supprimer 80 000 postes dans la défense, soit un peu moins du cinquième du volume initial, après en avoir supprimé 125 000 dans la décennie précédente (15 000 postes de cadres supprimés et 200 000 appelés remplacés par un surcroît de seulement 90 000 militaires du rang professionnels et de civils » j’acquiesce mon colonel.

 

Les 11000 non suppression de postes ou les 18750 postes de moindre déflation  ne sont que le constat de cet échec de la pensée, de la démission des politiques, de choix dictés par une approche uniquement comptable, une bérézina  qu’il fallait bien déguiser et vendre sous  forme d’une nouvelle « offre » stratégique.   

 

Il est vrai que la bataille de la Bérézina  peut être présentée aussi comme la dernière victoire de Napoléon dans la débâcle que fut la retraite de Russie.  

 

L’armée de l’air, quant à elle,  de l’aveu même de son CMAA, ne peut répondre à son engagement sur trois fronts, avec 40 aéronefs,  non pas à cause de son dimensionnement initial, mais à cause de l’incapacité des industriels à faire voler ce qui devaient voler et à fournir  (voir l’A400M Grizzly) les avions correspondants aux besoins.

 

Un récent rapport sur la MCO disait que cela allait mieux, si j’étais taquin je dirais : là aussi ? Nous voilà rassurés.

 

Pour le Rafale, le taux de disponibilité est passé de 44,40% au 31 décembre 2012 à 47,70% un an plus tard. La tendance serait la même pour la flotte des Mirage 2000D (de 34,60% à 38,70%). Ces deux types d’appareils de combat sont les plus sollicités pour les opérations au Sahel et, depuis septembre 2014, en Irak.

 

S’agissant des Mirage 2000C, leur taux de disponibilité est en progression sensible, passant de 27,30% au 31 décembre 2013 à 46,30% un an plus tard. Celui des Mirage 2000-5 du groupe de chasse 1/2 Cigognes s’est toutefois effrité (37,50% contre 39,60%).

 

Le montant des crédits d’entretien programmé du matériel (EPM) pour l’ensemble des Mirage 2000 a été de 293,50 millions d’euros en 2014 pour 153 avions. L’EPM des Rafale a coûté 226,40 millions en 2014, soit 4,8 millions de plus par rapport à 2013, mais avec 10 exemplaires de plus entrés en service.

 

Ce qui veut dire, et  je prends mes précautions,  qu’un avion sur trois serait en mesure de voler, voire moins. Pour les CASA de transport c’est Byzance, la moitié peut voler. Pour l’A400M pas de statistiques, cela vaut mieux. Pour les 14 C-130 Hercules, le taux de disponibilité s’effondre passant de 40,80% en 2012 à seulement 28,80% en 2014. Les Transall hors d’âge sont passés de 46,50% en 2012 à 40,10% deux ans plus tard. Ces chiffres sont donnés lors des auditions devant les commissions du Sénat et de l’Assemblée nationale.

 

Si on me démontre que cela va encore mieux pour  2015 et 2016, je suis prêt à avaler mon chapeau. Pour gagner du temps,  je dirais que, toutes armées confondues, sur 100, le pourcentage de ce qui peut flotter, voler et rouler est inférieur à la moitié. Je suis prêt à faire amende honorable si ce n’est pas le cas, et j’en serai ravi.

 

Quant aux effectifs en personnels réels et opérationnels, je ne voudrais pas mettre le doigt dans l’engrenage des statistiques. Celles-ci  ne pouvant être divulguées.

 

Sans vouloir alimenter une polémique stérile,  puisque tout va mieux, je dirais un mot d’un autre axe majeur de l’offre stratégique, celui de  l’aéromobilité. Après la dissolution de la 4e Brigade aéromobile, la création d’une brigade d’aérocombat, « capable de faire manœuvrer des unités de contact » s’imposait. Je ne voudrais pas être désagréable et défaitiste mais :

 

Comme le dit si justement le général Bosser : «  L’armée de Terre disposant de 95 % des hélicoptères de combat » il lui a  paru judicieux de concentrer, sous les ordres d’un chef unique, la sécurité des vols, la navigabilité, le maintien en condition des hélicoptères, les écoles de formation de pilotes, et l’outil consacré à la troisième dimension que constitue la brigade d’aérocombat », « À sa tête, un état-major sera capable de mener des opérations de troisième dimension : raids en profondeur, flanc-garde ou opérations à caractère interarmes, comme l’utilisation d’hélicoptères de manœuvre pour transporter une force, saisir un pont, récupérer des otages, exfiltrer des personnes » Voilà qui est bien.

 

Sauf que nous ne possédons toujours pas d’hélicoptères lourds, nous sommes d’ailleurs les seuls en Europe (ni d’hélicoptères légers d’ailleurs).  Pire, le général Tanguy Comalat, prononçait à propos de l’entretien et de la disponibilité des hélicoptères de l’armée de terre la phrase suivante « Pendant la Guerre Froide, on a connu le « tout militaire » ; aujourd’hui, il fait bon parler de « business plan » ou d’approche strictement financière. La vérité́ à mon sens se trouve entre les deux » Entre les deux cela veut-il dire, mon général,  qu’il est normal que le taux de disponibilité de l’hélicoptère d’attaque Tigre soit passé de de 30% en 2012 puis à 22% l’année suivante pour tomber à 17,40% en 2014,  pour un parc âgé en moyenne de seulement 6 ans. La palme de la disponibilité technique est revenue au NH-90 TTH, avec 53% des 13 appareils livrés aptes à « effectuer dans un délai inférieur à 6 heures une des missions correspondant à son emploi.  Le taux de disponibilité des Caracal s’améliore légèrement, passant de 35 à 35,90%. pour 19 machines disponibles.  En 2015 et en 2016 le taux ne se serait pas amélioré. La  faible disponibilité de nos matériels est l’un des plus grands scandales de la république, car c’est  la conséquence d’une approche stricto comptable et de choix dans le domaine industriel et  de la politique d’équipement de nos armées. D’autant plus que les commandes et le dimensionnement ont été calculés au plus juste sans jamais tenir compte des taux d’attrition possibles. Les  7 Tigre et les 6 NH90/TTH supplémentaires prévus par l’actualisation 2015 ne changeront pas fondamentalement la donne.

 

Voilà donc la réflexion sévère qui est la mienne sur nos capacités réelles ou supposées. On a parfaitement le droit de ne pas être en accord. Mais je serais vigilant sur les effets d’annonce et sur les discours futurs en matière de sécurité et de défense de nos prétendants au poste si convoité de président de la république et de chef des armées.

 

L’offre stratégique qu’ils nous feront  en matière de politique étrangère,  le rôle de la France dans le monde et en Europe,  la place des armées dans la Nation seront, pour ce qui me concerne,   tout aussi déterminant dans mon choix que le reste.  En tout cas autant que celles qui concerneront le couleur de leur cravate, le taux d’endettement, la politique à mener dans les cantines scolaires, l’enseignement de l’arabe, du corse ou du breton, du chinois ou du russe et pourquoi pas, ses préférences  dans son choix de porter le caleçon, le boxer ou le slip.

 

Mais de grâce, afin de l’aider et d’aider nos grands chefs,  n’employez pas,  messieurs les communicants,  le terme « offre » pour  parler apparemment  de choses qui vous dépassent.

 

Les militaires aiment les verbes à l’infinitif. Les trois piliers du CEMAA articulés autour des verbes : « vouloir », « pouvoir » et « agir », qui doivent guider l’action commune, ont besoin du même engagement de la part de nos politiques. Cela  passe aussi par une œuvre pédagogique puissante envers le citoyen. C’est pourquoi, il me semble que les anciens militaires qui ont aussi une expérience de la vie civile et de l’entreprise doivent s’engager dans un effort d’explication et de dialogue. Il faudra se souvenir que :

 

« La guerre... Et très vite, la débâcle. Inattendue, radicale, monstrueuse, comme un torrent qui emporte tout. Depuis ce jour, je sais que tout peut disparaître en quelques heures, que rien n’est jamais impossible. » (Hélie de Saint Marc, Notre histoire, 1922-1945)

 

Non, rien n’est impossible même l’espoir.

 

 

 http://www.lepoint.fr/editos-du-point/jean-guisnel/le-casse-tete-financier-de-la-modernisation-de-la-dissuasion-nucleaire-12-05-2016-2038674_53.php

 

 

Roland Pietrini

 

 

 



06/06/2016
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