ATHENA-DEFENSE

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Budget de la défense : la paille et le grain – 1990 – 2020

                                 

 

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 La guerre post moderne?

 

 

En euros constants, le ministère de la défense a perdu 20 % de son budget en 25 ans, il est passé de 36.8 milliards en 1989 à  31.4 milliards en 2017, alors que le PIB de la France durant cette même période est passé de 1 billion de dollar US à 2,465 billions. (Source banque mondiale). En 2014, la France a consacré 2,2 % de son produit intérieur brut (PIB) aux dépenses militaires, selon les chiffres de l'Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (Sipri), qui permet de les comparer avec ceux des autres Etats.

La Russie  consacrait en 2015,  5.4% de son PIB à sa défense,  ce qui représentait  4% du total mondial, la Chine, 1.9%. Elle était à  13% du total mondial. Les Etats-Unis avec 3.3% de son PIB est à 36% du total mondial. Quant à la France, avec 2.2% (chiffres du SIPRI incluant les retraites) 3% du total mondial, elle était en 2015 en 7° position derrière les E.U, la Chine, l’Arabie Saoudite (13.7% du PIB pour 13% du total mondial), la Russie, le Royaume-Uni (qui dégringole) et l’Inde. (1)

Il n’est pas inutile de rappeler ces quelques chiffres avant la parution de la prochaine loi de programmation 2019 – 2025.

La France, puissance nucléaire et membre permanent du conseil de sécurité de l’ONU, se situe parmi les 7 puissances mondiales qui compte en matière de défense, sauf que lorsque l’on compare les outils des uns avec les autres, le bilan est plus que mitigé.

Nous traînons depuis des dizaines d’années des  déficits capacitaires qui restent parfaitement identifiés, ils sont, à la fois la conséquence de notre penchant culturel à toujours penser que l’ennemi est forcément moins intelligent que nous  et que ses équipements,  aussi pléthoriques qu’ils peuvent l’être,  sont moins efficaces que les nôtres. Cela est aussi dû à l’insincérité constante de nos budgets, au manque de cohérence dans les programmes majeurs, menant à leurs étalements ou leur remplacement en cours de programme  (FREMM, FTI, un seul porte-avions, ce qui est un non-sens). Parfois le politique cède sous la pression de nos industriels, qui poussent sans cesse à l’innovation pas toujours justifiée et correspondant à nos besoins. Ces trous capacitaires  qui mettent à mal la cohérence des forces ne seront pas tous rectifiés lors de la prochaine loi de programmation.

Il est possible d’en citer quelques-uns.

Dans le domaine aérien, les retards et l’inadéquation aux besoins de l’A400M qui peut à peine larguer 30 parachutistes de plus qu’un Transall, et qui de toute façon ne pourra jamais remplacer un transporteur lourd du type An 124 russe ou C17 américain, ce qui nous fait dépendre à grands frais de compagnies privées ukrainiennes ou biélorusses.

 

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Une insuffisance qui est parfaitement identifiée (l’A400M transporte 25-30 tonnes, un Antonov 124 peut embarquer 11 conteneurs au standard maritime de 20 pied, contre seulement 2 pour l’A 400 M.)  "Pour remplacer une heure de vol d’An-124, 5 heures de vol d’A400M sont nécessaires", assure ainsi François Cornut-Gentille.  (2)

Dans le domaine des drones MALE, outre le fait que nos drones ne sont pas encore armés,  (nous sommes les seuls en Europe à avoir fait ce choix faute de cohérence), leur nombre est bien trop insuffisant en regard des besoins, et nous dépendrons encore pour de nombreuses années des USA.

Les reports de certains programmes de modernisation, faute de crédit, par exemple celui de nos avions de patrouille maritime à grand rayon d’action, qui nous sont utiles autant au-dessus des mers qu’au-dessus des déserts,  15 prévus sur les 17 encore opérationnels, nous pénalisent fortement, tout autant que les retards prévus ou fortuits de nos programmes d’armement.

 

La construction de nos sous-marins d’attaque nucléaire,  de type Barracuda, a pris au moins deux ans de retard, ce qui a pour conséquence de prolonger la vie opérationnelle de nos SNA les plus anciens de type Rubis et de surenchérir leur MCO.

Autre exemple, celui de la diminution drastique du nombre de FREMM, (programme franco-italien) ce qui a eu pour conséquence d’en augmenter le coût d’acquisition, soit 10 construits ou à construire (dont deux en version FREDA anti—aérienne, pour compenser la construction des deux dernière FAA annulées)) pour le prix de 17  (prévu au lancement du programme). Et finalement pour lancer un autre projet,  les FTI  (5 exemplaires prévus), plus légères. Le projet est évoqué pour la première fois en juin 2013 , et son contour est alors flou. L’est-il moins aujourd’hui ?

 

Le report aux calendes greques et la valse hésitation de la construction d’un second porte-avions, depuis une décennie,  n’a pas éteint l’espoir que la loi de programmation 2019-2025 permette de  construire le PAN2 en avance de phase et ainsi  de faire chevaucher quelques années le CDG avec son futur remplaçant. Reporter encore la décision risquerait de nous faire perdre nos compétences en matière d’études et de construction pour le futur. Avec les Américains,  nous sommes la seule nation à savoir construire et à utiliser des Catobar. (Catapult Assisted Take Off But Arrested Recovery, avec catapultes et brins d'arrêt sur piste oblique).

 

Depuis fort longtemps, on peut constater l’absence dans l’ALAT d’hélicoptères lourds à forte capacité. Lorsqu’on fait la guerre en jouant sur le don d’ubiquité, (au Mali notamment), il paraît naturel de ce donner les moyens de celui-ci.

Or, en Europe nous sommes la seule nation sans hélicoptères de type MI26 ou Chinook indispensables à cette mobilité et à la projection sur moyenne distance d’une unité de combat de niveau section,  alors que nous sommes les inventeurs de l’aéromobilité. (Le commandant Jean Pouget en Algérie  en fut l’un des précurseurs, qui s’en souvient ?). Après l’abandon du projet franco-allemand X6, un achat sur étagère apparait indispensable.

Ce déficit en voilure tournante (réel pour les 3 armées) est aggravé  par une MCO catastrophique, 50% de nos hélicoptères ne volent pas,  faute de pièces de rechange ou par carence industrielle.

 

Nos  vecteurs d’artillerie, certes modernes, sont  en nombre insuffisants : 13 LRU, 32 AUF1, qui devaient être remplacés par 32 Caesar, dont le nombre passerait ainsi de 73  à 105. En complément 171 mortiers de 120 RT, on en comptait pourtant 361 en 2000, cela apparaît bien peu dans l’hypothèse d’un conflit de type classique post moderne. D’autant  plus que les stocks de munitions sont au plus bas.

 

Nous posséderons 200 chars de combat Leclerc « scorpionisés », soit deux fois moins que l’Allemagne, (Entré en service à partir de 1993, 406 Leclerc reçus, 254 en service en 2012,  226 en 2014, 241 en 2015 et 2016, 200 modernisés prévus en service en 2019) ce qui semble peu et surtout dans le cadre d’un conflit majeur, sans possibilité de combler les attritions éventuelles ou les pertes au combat.   L’Algérie à elle seule dispose de 300 T90 et 540 T72.  Voir mon article : Estimation du nombre de chars dans le monde. https://www.athena-vostok.com/nombre-estimes-de-chars-de-combat-dans-le-monde

 

Le programme Scorpion prévoit à l’horizon 2025-2030, 110 Jaguar, (en remplacement des 249 AMX10RC et 80 Sagaie) et 780 Griffon  et 630 VBCI en remplacement des 2582 VAB. Ce qui sera sans nul  doute à peine suffisant, si l’on veut maintenir une armée cohérente et forte en Europe.  Car il n’est pas exclu que les conflits futurs se déroulent un jour sur notre continent ou sur le pourtour de la Méditerranée.

 

Enfin, pour terminer ce tableau loin d’être exhaustif, une Armée de l’Air avec 225 avions de chasse dont 180  Rafale et 55 Mirage 2000D modernisés  et seulement 15 ravitailleurs modernes A 330 MRTT, semble être taillée a minima.  (Sur les 71 appareils actuellement dans le parc de l'Armée de l’air, 55 Mirage 2000 D seront encore en service en 2030, soit  60 ans après leur lancement qui eut lieu en 1970).

 

La future commande de Rafale  de la tranche 5 devra être décidée dans la prochaine loi de programmation militaire (LPM) pour répondre aux besoins de l'armée de l'air. Mais quel en sera le nombre,  la question reste entière. Le désir du CEMAA est de posséder un escadron supplémentaire d’ici 2025 soit 25  Rafale au minimum de plus, c’est-à-dire une Armée de l’Air à 250 avions de combat.  Il  avait été prévu de commander 286 Rafale dont 58 pour la Marine. Au 24 novembre 2017, 149 avions ont été livrés sur les 180 commandés au titre des 4 premières tranches. Il reste donc à commander 48 rafale au minimum pour atteindre le nombre de 180 dans l’Armée de l’air. Nous verrons ce qu’il en sera.

 

Il est prévisible que les communicants insisteront probablement sur les efforts exceptionnels consentis, mais il sera nécessaire de faire en sorte que chaque budget voté soit intégralement dépensé. Un budget sincère qui ne puisse être constamment retaillé au gré du vent mauvais, selon les diktats de Bercy. On peut toujours rêver... 

De la paille au grain,  la récolte réserve toujours  des surprises et des annonces  aux faits,  le chemin reste tout autant tortueux. Il est plus que nécessaire de juger les politiques sur leurs actes et non pas sur leurs discours. Le nouveau  chef des Armées  n’échappe pas à cette règle, en dépit de ses intentions louables affichées, nous serons un certain nombre à être vigilants.

  

Je ne résiste pas au besoin de citer Pierre Mendès France, qui écrivait en 1962 dans la République moderne : « la démocratie ne consiste pas à mettre épisodiquement un bulletin dans l’urne, à déléguer les pouvoirs à un ou plusieurs élus puis à se désintéresser, s’abstenir, se taire pendant cinq ans. Elle est action continuelle... Si cette présence vigilante ne se fait pas sentir, les gouvernements.... sont abandonnés à leur propre faiblesse... La démocratie n’est efficace que si elle existe partout et en tout temps. »

 

Un mot encore sur la Paille et le Grain,  Mitterrand disait : « J'ai choisi le titre La Paille et le Grain parce qu'il résume assez bien ce que je pense de mon ouvrage. Je ne classe pas la paille parmi les matières viles, tandis que le grain serait noble. A chacun son usage. »

 

A chacun son usage, en effet.  Si la paille sert de litière et finit en fumier d’étable, le grain qui en est issu sert  à nourrir les hommes. Mais l’une comme l’autre sont selon ce que l’on en fait, tout comme les discours,  ceux-ci n’engagent que ceux qui y croient.  (4) Sauf que nous sommes de moins en moins nombreux à croire aux discours.

 

A bon entendeur, salut !

 

 

Roland Pietrini

 

 

 

 

 

 

(1)Budget des armées : classement des nations en % du PIB en 2015

Rang

Pays

Dépenses ($ mds.)

 % du PIB

 % du total mondial

1

                                                                               États-Unis

596,0

3,3

36,0

2

              Chine

214,8

1,9

13,0

3

              Arabie saoudite

87,2

13,7

5,2

4

              Russie

66,4

5,4

4,0

5

              Royaume-Uni

55,5

2,0

3,3

6

              Inde

51,3

2,3

3,1

7

              France

50,9

2,1

3,0

8

              Japon

40,9

1,0

2,4

9

              Allemagne

39,4

1,2

2,4

10

              Corée du Sud

36,4

2,6

2,2

 

(2) en 2013, en à peine deux mois, l’armée de l’air a affrété 115 vols d’An-124, 47 d’Iliouchine Il 76 (un avion de transport russe, plus petit que l’An-124), et 7 vols d’Antonov 225, le plus gros avion du monde, disponible à un seul exemplaire, chez la compagnie ukrainienne ADB.

 

(3) Chaque année, le Ministère de la Défense publie un rapport nommé "Les chiffres clés de la Défense" où une synthèse complète est réalisée afin de présenter, notamment, le budget du Ministère, son effectif (militaires et civils travaillant pour la Défense) de l'année passée de la publication, les déploiements en métropole et en opérations extérieures, ainsi que les équipements (véhicules terrestres, navires, et aéronefs).

 

(4) Cette petite phrase, est due à un homme politique. Henri Queuille, plusieurs fois président du conseil (même pendant deux jours en 1950) et également ministre des finances et de l’intérieur sous la 3eme république. Il fut même ministre et secrétaire d’Etat plus de trente fois ! Un véritable professionnel de la machine politique, et sa fameuse petite phrase est incontestablement le fruit d’une expérience professionnelle riche.

Ce n’est pas la seule d’ailleurs. Henri Queuille dira également : « La politique n’est pas l’art de résoudre les problèmes, mais de faire taire ceux qui les posent.



22/01/2018
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