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Syndicalisme dans les armées : « Seules sont perdues d’avance les batailles qu’on ne livre pas »

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Ce jeudi,  la Cour européenne des droits de l'homme a condamné la France parce qu'elle interdit les syndicats dans l'armée,  ce mur juridique est donc tombé. Cela ne n’implique pas  l'obligation de création de syndicats ou d’associations professionnelles, mais en reconnaît le droit. Ce processus est désormais en marche et il sera difficile de l’arrêter. Pour certains, la question est celle de savoir si cette perspective est un bien ou un mal et comme toujours la question posée en ces termes ferme le débat et ne peut déboucher que sur des affrontements plus idéologiques que raisonnables au détriment des intérêts de tous.

 

Pour certains, c’est une victoire, pour d’autres,  un  danger,  et démontre à quel point en France nous sommes marqués par une certaine forme d’immobilisme.  La peur, les réactions épidermiques  annihilent souvent toute réflexion, et l’amalgame entre ce que nous savons des syndicats aujourd’hui dans le modèle français, avec tout ce que cela comporte comme image négative et et ce que nous pourrions envisager comme possibilité de progrès pour la défense des droits du soldat citoyen est un élément défavorable. On prête à Bonaparte la citation suivante : « Seules sont perdues d’avance les batailles qu’on ne livre pas » Il ne faudrait pas perdre cette bataille de l’avancée des droits sous prétexte de refuser le combat et que cela est difficile.   

 

Il faut donc revenir à une question simple :  les militaires comme individus ou groupe social sont-ils correctement défendus par les instances officielles mises en place dont on connaît l’efficacité et les limites ?  

La réponse m’apparait évidente, non et  au minimum le doute est permis, puisque la hiérarchie et le politique sont est à la fois juges et parties.

Sur le plan collectif, mise à part la gendarmerie qui a des moyens de pression que ne possèdent pas les autres armes, mais qui connait des problèmes de tout autre nature, les armées ne peuvent que subir sans broncher et constater les coupes successives, les scandales tels que celui de Louvois. Or, les seuls qui ne peuvent s’exprimer, sont ceux-là même qui d’active ou retraités seraient les mieux placés pour donner un avis sur les orientations en matière de gestion  et de de choix pour la défense. Redonner la parole aux militaires et la meilleure façon de désamorcer les crises et de motiver les cadres fatigués de tant de mépris.

Sur le plan individuel, toute collectivité génère des problèmes particuliers ou des conflits et ces problèmes sont parfois ignorés par la hiérarchie.  Il  faut alors à celui que se sent injustement brimé ou condamné,  beaucoup de volonté  et de courage pour saisir  les tribunaux administratifs ou de droits communs et dans la plupart des cas, il (ou elle) est contraint (e) à quitter l’institution. Nous le voyons en matière notamment de harcèlement ou de brimade.

Alors, est-il envisageable d’imaginer une association professionnelle indépendante capable de défendre les intérêts des militaires ? Personnellement j’y suis favorable. Le militaire à qui on est en droit de demander le sacrifice suprême est aussi et d’abord un citoyen et sa position de faiblesse en droit ne saurait désormais se  justifier.

L’adefdromil, créée en 2001 par deux militaires, le capitaine Bavoil (alors en activé de service) et le major Radajewski, avec pour objet statutaire « l’étude et la défense des droits, des intérêts matériels, professionnels et moraux, collectifs ou individuels, des militaires »  présidée aujourd’hui par le colonel (er gendarmerie) Jacques Bessy  a mené  un combat difficile  afin que l’association puisse  faire reconnaitre le simple droit d’ester en justice  au nom de requérants et porter l’affaire devant la cour européenne de justice, avec le résultat que l’on sait.  

Ce machin que certains considèrent avec mépris, voire avec défiance et  agressivité, avec des moyens très limité,  a donc réussi à faire bouger les lignes en concomittance avec une autre affaire celle du lieutenant-colonel Matelly ( voir http://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Hugues_Matelly). Dans les deux cas, la CEDH leur a donné raison et le ministère par un communiqué en date du 2 octobre en prend acte et indique « Le ministère de la Défense va maintenant prendre le temps d’expertiser avec précision la décision rendue et les motifs développés par la Cour. Ce travail d’analyse permettra d’identifier à brève échéance quelles évolutions du droit français doivent être mises en place, et de déterminer les actions à entreprendre pour assurer la conformité de notre droit national aux engagements conventionnels de la France, dans le respect des valeurs fondamentales du statut militaire et, en particulier, celles de l’unicité du statut et de la neutralité des armées. »

Voilà donc où nous en sommes. Le candidat Hollande avait, en son temps, promis que « « Le statut des militaires adopté par la loi du 24 mars 2005 tire des conséquences de la professionnalisation décidée en 1995. Il y a néanmoins deux domaines qui sont encore obscurs : la participation à la vie citoyenne et à la liberté professionnelle. Il est temps de reconnaître aux militaires qu’ils sont des citoyens à part entière. Les seules restrictions, elles sont néanmoins indispensables, sont celles qui découlent des exigences des opérations, de l’indispensable neutralité des Armées et de la totale cohésion qu’on est en droit d’attendre. »

Ainsi, il n’est pas question de donner aux militaires le droit de se syndiquer, comme en disposent les personnels civils de la défense ou encore leurs homologues d’autres armées européennes, comme par exemple en Belgique ou en Espagne »

Le dilemme est donc posé, s’il s’agit de  simplement rénover le système existant afin d’ « assurer la cohérence d’ensemble » par un renforcement de la concertation, lequel visera un « point d’équilibre ne remettant en cause ni les fondements du statut général des militaires, ni les obligations propres à leur métier, ni les responsabilités et la capacité de commandement de la hiérarchie militaire. » alors nous allons au-devant de graves problèmes.

En février 2013,  j’écrivais,  en Allemagne, le Bundeswehrverband (syndicat des militaires de l'armée allemande), regroupe plus de 200.000 personnes, ses ressources financières sont garanties statutairement et son président le colonel Kirsch est un partenaire officiel du ministère de la défense. En France une association de défense des droits des militaires n’est légitimée d’aucune façon alors que  le statut général des militaires français  défini par la loi 2005-270 du 24 mars 2005 incorporée au Code de la défense Partie IV livre 1er, interdit aux personnels militaires des armées, aux pompiers militaires et aux gendarmes l’adhésion à des groupements professionnels, les privant ainsi de toute possibilité de défendre leurs intérêts et d’exprimer leurs revendications, et ce en contradiction totale avec la constitution et la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Ne pas tomber dans les erreurs et les pièges d’un corporatisme aveugle est l’un des dangers  et pas des moindres à éviter tout autant que celui d’être récupéré par un syndicalisme rétrograde ou d’être  manipulé  par une hiérarchie par définition aux ordres du politique.

N’en déplaise à ceux qui pensent que  certaine batailles sont de toutes façons perdues d’avance, celle-ci vaudra la peine d’être menée, il faudra beaucoup de sérénité et de volonté afin de trouver un juste équilibre entre neutralité des armées et respect des hommes qui la compose.

 

https://www.athena-vostok.com/a-propos-de-syndicalisme-mon-coup-de-gueule

 

 Roland Pietrini

 



03/10/2014
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