ATHENA-DEFENSE

Les communiqués   victorieux et  incessants  des agences russes d’information, relayés par un certain nombre de sympathisants Poutinophiles plus que russophiles posent questions. A ce rythme et à les entendre, dans deux ou trois mois le terrorisme sera éradiqué et le territoire syrien débarrassé de   tous les mouvements islamistes et autres salafistes.  En dépit de mon profond respect non exempt de réalisme,  - respect  ne veut pas dire adhésion -    pour un Poutine fin stratège et « adulé » par son peuple, j’ai  cependant quelques difficultés  à avaler un certain nombre d’informations présentées comme des faits d'autant plus incontestables qu'ils sont invérifiables.  Ainsi, peut-on lire, ici, que : "Les avions russes ont réalisé 55 sorties depuis la base syrienne d’Hmeimim et porté des frappes sur 60 positions de l'EI dans 6 provinces de Syrie'', ou bien là, « Selon le président russe, l'armée russe n'attaque que les groupes terroristes en Syrie pendant les offensives des troupes syriennes contre les terroristes" et « Les avions russes ont effectué 669 sorties dont 115 la nuit, frappant 456 sites de l'EI depuis le 30 septembre, a annoncé vendredi le chef d'Etat-major général russe, Andreï Kartapolov » Ce qui est beaucoup en si peu de temps, compte tenu des contingences  de remise en condition des avions, de la nécessité d'être renseigné, et de la hiérarchisation a minima des cibles. 

La Russie,  qui apporte une aide militaire sur le terrain en Syrie depuis janvier 2012, avec des équipes de Spetznatz qui forment l’armée syrienne et y mènent des actions commandos sans grand succès, a été contrainte,  afin de sauver  in extremis le soldat Assad,  de garantir la sécurité du  port militaire de Tartous d’une part et d’autre part l’aéroport Bassel el-Assad de Lattaquié menacé par les islamistes.  Ces  deux points  stratégiques permettent, en effet, d’acheminer l'aide au régime.

Le matériel récent dont des  véhicules de combat du type  BTR-82A adaptés au combat urbain, de l’ artillerie anti-aérienne SA-22 PANTSIR et  au moins neuf T-90 Sans oublier les  lance-roquettes multiples,est de prime abord  réservé à la défense de ces deux plateformes.  

Les  forces aériennes russes qui sont équipées  de SU-25 potentiellement modernisés pour l’appui rapproché,  de  SU-34 et de Su-24 pour le bombardement tactique, d’ hélicoptères MI-24PN et Mi-35M ainsi que des Mi-8AMTSh pour l’appui des troupes au sol et le transport tactique, servent essentiellement à l'appui des forces engagées au sol composées de Syriens,  de Hezbollahs et d' Iraniens, c'est à dire essentiellement des chiites. Des drones ont également été déployés par la Russie qui s’est engagée à partager le renseignement avec la Syrie et l’Iran.

Les soldats syriens ne sont pas formés à l’utilisation de ce matériel récent, excepté les SU-24 et les MI-24.  En parallèle, du matériel de plus ancienne génération est livré aux forces syriennes.

Il faut donc constater que les Russes en l’état  n’ont pas l’intention d’aller au-delà d’un appui musclé aux forces gouvernementales d’Assad. Un engagement  pour être efficace nécessiterait, selon les préceptes  russes, plus de 4 divisions. Or Poutine ne prendra pas ce risque pour des raisons évidentes de politique intérieure. Le retour avec fracas et intelligence dans le jeu international a un prix, il ne dépassera pas le "budget" qu'il s'est fixé.  

A titre de comparaison,  sur les forces en présence,  on estime qu'entre août et octobre 2014, deux mille raids aériens ont été menés par la coalition, arabo-occidentale composée des  États-Unis avec 1 porte-avions en permanence, (USS George H. W. Bush), puis USS Carl Vinson, 1 destroyer (USS Arleigh Burke), 1 croiseur (USS Philippine Sea) ou leurs équivalents, des avions F-22 Raptor, F-16 Fighting Falcon, F-15 Eagle, B-1 Lancer, des drones, MQ-1 Predator et  MQ-9 Reaper, 3 300 hommes et des Forces spéciales. En outre, 7 000 hommes des Sociétés militaires privées américaines. L’Arabie saoudite aligne quant à elle,  4 avions F-15S Eagle, 4 avions Tornado, 4 avions Typhoon, 1 avion E-3 Sentry, 1 avion KE-3, 1 avion Beechcraft 200. La France, per intermittence, 1  porte-avions, 2 frégates (le Jean Bart, puis le Chevalier Paul), 1 sous-marin nucléaire d'attaque lorsque le PAN est sur zone. En permanence, 6 avions Rafale, 6 avions Mirage 2000D, et occasionnellement  (12 rafales marines et 9 avions Super-Étendard du PAN),  1 avion E-2 Hawkeye,1 avion Atlantique 2, 1 avion ravitailleur C-135 Stratolifter, 1 avion E3F AWACS10, des forces spéciales. Les Emirats Arabes Unis, 6 avions F-16 Fighting Falcon, 6 avions Mirage 2000-7. L’Australie, 8 avions F/A18F Super Hornet, 1 avion E-7A, 1 avion KC-30A7, 600 hommes, des forces spéciales. Le Royaume-Uni, 8 avions Tornado,  1 avion C-130J Super Hercules, 1 avion Voyager, 1 avion RC-135W, 4 drones MQ-9A Reaper. Le Canada, 6 avions CF-18 Hornet, 2 avions CP-140 Aurora, 1 avion CC-150 Polaris, des forces spéciales. Les Pays-Bas 8 avions F-16 Fighting Falcon. Le Danemark, 7 avions F-16 Fighting Falcon. Le Maroc, 6 avions F-16 Fighting Falcon. L’Italie, 4 avions Tornado, 1 avion KC-767,  1 avion Gulfstream III, 2 drones MQ-1 Predator. La Jordanie 4 avions F-16 Fighting Falcon,1 avion C-130 Hercules. Le Bahreïn,  4 avions F-16 Fighting Falcon. Le Qatar, 2 avions Mirage 2000, 1 avion C-130 Hercules.  Israël, le soutien occasionnel du Mossad.

Si je détaille ces moyens  ce n’est pas par plaisir d’aligner des chiffres, mais celui de montrer que l’implication russe en comparaison est somme tout limitée et poursuit d’autres buts que ceux de faire la « guerre ». la Russie à elle seule, pas plus que les autres,  ne peut libérer le monde du djihad. 

Au 31 décembre 2014, le bilan annoncé par la coalition était de 1 679 frappes pour un total de 15 465 sorties. Les objectifs traités sont officiellement  de 58 chars de combat, plus de 900 véhicules, dont 184 Humvee et 26 véhicules blindés, 52 bunkers, 673 postes de combat et près d’un millier de bâtiments divers^.

Le 5 juin 2015, le général John Hesterman, chef de la composante aérienne du commandement militaire au Moyen-Orient, affirmait que plus de 10 000 djihadistes de l'EI ont été tués depuis le début des opérations aériennes, soit plus de 1 000 par mois. Depuis août 2014, la coalition a intensifié ses frappes avec 15 675 missions aériennes, dont 4 423 ont donné lieu à un bombardement.

Ainsi, le bilan étant ce qu’il est,  et le résultat étant ce que nous savons, il semblerait, à en croire les Russes,   que ce que n’avait pu réaliser la coalition arabo-occidentale de 2014 à l’encontre  des  forces de l’État islamique en Irak et au Levant, EUX, seraient en mesure de le réaliser avec 10 fois moins de moyens et 1000 fois moins de frappes. De deux choses l’une, soit, la coalition occidentale est composée de bras cassés, d’incapables, de cul de jatte et de faux-culs, et les Russes de combattants surdoués, soit les frappes aériennes sont aussi efficaces que de tenter de vider avec un dé à coudre un  cargo qui prendrait l’eau.

Ils  finiront eux-aussi par s’en apercevoir, et d'ailleurs il me semble qu'ils le savent. Poutine en s'engageant militairement poursuit donc un but géostratégique d'affirmation de puissance qui va dans le droit fil de celui qu'il a suivi en Europe en réponse aux avancées aventureuses de l'OTAN. D’autant plus, qu'en choisissant le camp chiite avec l’Iran et le Hezbollah, et en dédaignant le camp sunnite, il risque  de perdre les atouts diplomatiques qui étaient jusque là les siens.   Poutine est donc sur le fil du rasoir : il marque donc des points pour l’instant  et de manière précaire, en  ayant choisi un camp plutôt qu'un autre. Il vient de commettre probablement sa première erreur d’appréciation. Le  lâche attentat surprise contre un avion civil russe au-dessus du Sinaï n’était pas prévu dans le plan com.

Roland Pietrini

Novembre 2015

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