ATHENA-DEFENSE

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Un lieutenant qui sait écrire.. Réponse au général Bentegeat (2013)

Cet article écrit en 2013 semble susciter de nouveau l'intérêt.  L'aurais-je écris de cette manière aujourd'hui, à quelques détails près probablement. Bonne lecture. Roland Pietrini.

 

 

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Voilà un lieutenant, qui sait écrire ! Mais ce qu’il convient de saluer c’est avant tout son courage.  Il en faut pour sortir du silence, et il le fait avec un ton sincère et somme toute mesuré.

J’ai retenu quelques réflexions de sa part qui méritent un commentaire.

-          « La pensée dans l’armée Française est un arbre à beaucoup de branches mais bien peu de fruits. Que l’on s’écarte trop de la norme, on est condamné. »

Je me  souviens, en effet, « d’un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaitre », un temps ou l’expression libre dans les armées était encouragée. Un temps où dans la rubrique « opinion » d’Armés d’Aujourd’hui, il était possible de s’exprimer, en respectant les formes certes, mais le droit de réponse allait de soi. Cette rubrique avait le mérite d’exister, elle était ouverte au plus grand nombre sans  enlever quoi que ce soit au  cercle restreint des « érudits »  de la défense.

Un temps où la défense, en dépit des multiples critiques et oppositions dans l’air du temps,  (les années 70/80 voyaient fleurir  les mouvements pseudo-pacifistes (1)),  se justifiait par une menace caractérisée, un temps où la France sacrifiait 5% de son PIB à la défense et n’en était pas plus mal pour autant. Un temps où la pensée pouvait s’exprimer hors des interdits

Il était possible en ce temps -là, avec l’accord tacite du commandement d’écrire sous un pseudo. J’ai usé de cette possibilité, en toute responsabilité. Ce temps a bien changé.

Il faut que tu saches (tu de camaraderie respectueuse) Mon lieutenant que la pensée libre est rarement récompensée, surtout lorsqu’elle est considérée comme iconoclaste, et les limites du lèse-pensée en sont fixées de manière souvent bien arbitraire. Il faut savoir aussi  que si on ne fait pas partie du cénacle, du cercle autorisé, on est contraint, au mieux,  à se taire, au pire à être méprisé, à moins qu’on ne soit ridiculisé.  

         - Comme tous  ses  "camarades, il est déçu, et même choqué par la pauvreté de l’enseignement académique qui y est dispensé »

Mon Lieutenant vous apprendrez à vous libérer de l’enseignement académique qui est à la culture ce que sont les carottes à la soupe, utiles mais substituables. Incidemment, je vous encourage à lire le charabia  du trinôme académique. Je cite : Structures de concertation et d'organisation  déconcentrées, les trinômes réunissent au niveau académique sous l'autorité du Recteur, l'autorité militaire territoriale (le délégué militaire départemental du chef-lieu de l'académie) et le président de l'association régionale des anciens auditeurs de l'institut des hautes études de défense nationale (IHEDN). Cela a  pour  vocation de concevoir les activités concourant au développement de  la culture de défense, et notamment d'organiser ou de dispenser à l'ensemble des responsables du système éducatif une formation à l'enseignement de défense. Ce machin a été créé en  1987. Si vous en avez entendu parler, faites-moi signe. Quant l'académie de l'enseignement tue l'enseignement, on crée des générations d'ignorants.

Je suis autodidacte, cela évitera à certain de se poser la question de « c’est qui qui suis là ?». A mon âge je commence à m’y faire, j’ai compris assez jeune que  l’accès à la culture est un effort personnel, souvent solitaire et que les diplômes ne garantissent pas le savoir. Ceci dit les diplômes sont utiles, y compris dans le domaine militaire, mais baser la réussite  d’une carrière sur ce seul critère revient à confier parfois le commandement d’une frégate à un, comment dire, patron de yacht ?  L’actualité le démontre.  Dans  notre système,  les diplômes permettent de passer pour crédible même si on est définitivement un con. On aura fait un grand pas si lors des entretiens avec un DRH,  avant de demander ce que vous avez fait,  quel grade vous avez,  on s’intéresse à qui vous êtes, ce que vous valez, ce que vous voulez.  Je vous l’accorde, ce n’est pas gagné.

Pourtant, je connais la réponse : « Malgré l’existence des Écoles, la grande majorité des officiers sort du rang: "d’après le relevé des nominations insérées au Journal militaire officiel, 70.7% des 16012 sous-lieutenants d’infanterie promus sortent du rang et 29.3% des Écoles» (W. Serman).

Si les lois réservent aux sous-officiers un tiers des sous-lieutenances vacantes, elles ne précisent pourtant pas que les deux autres tiers doivent obligatoirement être accordés aux élèves des Écoles. Effectivement, celles-ci ne fournirent jamais un contingent annuel assez suffisant pour y pourvoir.  Sauf que ces statistiques datent de de 1818 et 1832... Jean-Baptiste Murez. L’antre du stratège. Titulaire d’un Master 2 d’Histoire militaire de l’université de Paris-Sorbonne, actuellement doctorant en histoire contemporaine à l’Université de Liège.    Qu’en est-il aujourd’hui,  qu’en sera-t-il demain ? Pourquoi programmer une carrière à long terme  quasiment à la sortie d’Ecole ? Comme quoi je n’ai rien contre les diplômes lorsque ceux-ci rendent intelligents.

D’ailleurs, dans la vraie guerre, les pendules sont assez souvent remises à l’heure, sans quoi Napoléon n’aurait pas nommé des généraux de 20 ans ? Bigeard serait resté commandant.

-          « A l’Ecole de Guerre, je me suis refait une culture ». Il est malheureux de constater que de cette culture on ne tire que bien peu d’ouverture d’esprit, et je déplore chaque jour que nos chefs n’aient pas saisi (ou l’aient feint) l’évolution de la société du pays qu’ils servent »

Comprends Mon lieutenant, que tout corps social qui a pour seul credo le silence ne peut que se couper du reste du corps social et laisse à une caste le soin de s’exprimer à sa place. N’ayons pas peur des mots,  une caste est un groupe social hiérarchisé, endogame et héréditaire. La caste militaire est  de moins en moins héréditaire, mais de plus en plus endogame, combien de poste sont réservés  par cooptation à l'intérieur d’un groupe, d’anciens de quelque chose.au détriment de ceux qui n’en sont pas. Cela est tout aussi vrai pour les énarques, écoles de commerce, sciences PÔ..  Est-ce juste ou pas ?  La question mérite d’être posée.  Mais la fracture sociale entre nos élites et la plèbe est une réalité telle que les ingrédients pour une jacquerie généralisée sont réunies. Nos élites devraient s’en soucier. Seraient-elles si coupées de leur base qu’à défaut de pain pour le peuple elles lui proposeraient de la brioche ?

-          « Trop enfermés dans le culte pervers d’une obéissance aveugle (« réfléchir, c’est commencer à désobéir »), nos chefs ont laissé la loyauté se faire docilité »

Ou pire, « chercher à comprendre c’est commencer à désobéir » ne fait pas partie de notre culture, un bon soldat est celui qui avant d’obéir cherche à comprendre, pose des questions et exécute sa mission. Si cela est vrai pour l’opérateur (on ne dit plus éclaireur ni G.V mais opérateur), cela devrait l’être aussi pour l’officier supérieur, à l’EMA ou ailleurs, qui plus que quiconque,  sait que l’on va droit dans le mur mais qui par respect  du devoir de réserve, se tait, à moins qu’il ne vise quelques étoiles au firmament de sa  carrière. Ce devoir de réserve qui n’a d’ailleurs aucune réalité juridique quelconque, mais simple devoir moral que l’on s’impose et qui ressemble à de l’auto-censure – ( Le devoir de réserve est une notion souvent évoquée, mais qui pourtant n'existe pas dans le droit administratif de la fonction publique en France. Le texte de référence est la Loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires (loi Le Pors). Dans ce texte il n'est nulle part fait mention d'un "devoir de réserve", ni d'une "obligation de réserve".) à ne pas confondre avec l’obligation de ne pas divulguer des informations protégées. DR –CD - SD etc..

Alors dire que le budget de la défense et que la loi de programmation est une vaste fumisterie qui ne sera jamais respectée, relève de la liberté  d’expression.  Et tout ceux qui en sont convaincus, d’active ou pas, devraient avoir le droit de l'exprimer.

-          «  Mettre des uniformes français à la télé, au cinéma, partout, et donc commencer par lever l’énorme montagne administrative qui bloque la coopération « militaro-audiovisuelle » afin d’intégrer l’armée dans la nation ? »

Excellente remarque Mon lieutenant, sauf que, après avoir ridiculisé pendant des décennies le port de l’uniforme et recommandé qu’il ne soit pas porté, le fossé s'est creusé entre la nation et son armée.  Le soldat n’est plus dans la ville hors manifestations patriotiques< ;   Vous étiez trop jeune (ce n’est pas un reproche, mais un privilège)  pour connaître des villes de garnison où les sorties étaient obligatoires en tenue. Qui a interdit les vareuses retaillées ? Les tenues de tradition ? Les treillis Cam qui avaient de la gueule ? Les effets retaillés ?  Qui nous a habillé comme des sacs ? Le commandement n’était-il pas complice de cette uniformisation stupide contre laquelle on semble revenir..  Je vous dirais bien que j’ai été élève sous-officier à Saumur, il y a bientôt 60 ans au risque de passer pour un vieux con, et qu’à l’époque l’Ecole de cavalerie était dans la ville, en symbiose totale.  Ce qui n’empêchait pas de faire le coup de poing avec les « blousons noirs de l’époque » et d’effectuer quelques expéditions punitives. Ce qui nous valait une punition collective, mais ce qui faisait bien sourire les flics avec qui on faisait les patrouilles de nuit déguisé en PM. casque blanc et matraque.

-          « Mais par communication, j’entends aussi les réseaux sociaux. Les réseaux sociaux et internet au sens large ont un impact bien différent que celui de ce seul pauvre « caporal stratégique » qui nous fera perdre la guerre parce qu’il a filmé un dommage collatéral »

C’est pourquoi des blogs tenus par des anciens militaires et anciens gendarmes, existent.  Le Sirpa pourrait s’appuyer sur eux, leur donner de l’information, les inviter à cette immense tâche de communication. Bien au contraire on s’en méfie, on les ignore, on les méprise..  Si vous voulez des adresses je peux vous en donner - Si vous me lisez !

Et d’ailleurs pourquoi confier le Sirpa à un officier supérieur ?  « avec un master 2 à HEC pendant l’Ecole de Guerre, pour un officier motivé par cette perspective, qui pourrait s’y consacrer pleinement au lieu d’attendre son commandement en essayant de comprendre un système qu’il quittera dès lors qu’il le maitrisera ? » Pourquoi, pas, en effet, mais pourquoi ne pas utiliser le potentiel de quelques-uns qui en ont la fibre. J’en connais et j’en suis.

Et oui Mon lieutenant : « La mentalité des chefs n’a pas changé, ils sont toujours fiers de « faire des miracles avec rien ». Et c’est bien là le problème. Le rôle des généraux, c’est de défendre leur armée auprès (contre) des politiques.

Mais, il n’est pas certain qu’ils ne puissent se passer de l’action de quelques-uns moins timorés que d’autres, en dehors des associations d’anciens combattant ou médaillés qui n’ont aucun pouvoir tant ils se sont enfermés dans des réflexes d’obéissance dépassés. N’est-il pas temps d’inventer autre chose ?

(1)   Voyage officiel de François MITTERRAND en Belgique. A Bruxelles, au cours d'un dîner officiel, il s'en prend aux pacifistes : "moi aussi, je suis contre les euromissiles. Seulement je constate des choses simples : le pacifisme est à l'ouest et les euromissiles sont à l'est. Je pense qu'il s'agit-là d'un rapport inégal".

 

Roland Pietrini

Lt de réserve, ancien major d'active.

 

 

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Texte du LTN Arène, un jeune lieutenant fraîchement sortie de l’ESM, à l’article du Général Bentégeat paru dans la presse et posté sur ce blog.

Ce texte est également lisible sur le site de la Saint-Cyrienne

En 2007, le Lieutenant-colonel Paul Wingling, de l’US Army, écrivait dans la revue officielle de l’armée américaine un article intitulé « la faillite des généraux ». Cet article remarquable prouve tout d’abord l’énorme liberté d’expression de l’armée américaine, où chacun est le bienvenu pour débattre et faire avancer les choses sans craindre, si l’esprit est respecté, de quelconques répercutions sur sa carrière. Si le titre de cet article fait référence à des problèmes parfois spécifiques à l’armée américaine, il est néanmoins tout à fait approprié à la situation dont vous faites état.

La pensée dans l’armée Française est, je le déplore, un arbre à beaucoup de branches mais bien peu de fruits. Que l’on s’écarte trop de la norme, et l’on est condamné, comme Galula, à s’exiler pour faire progresser ceux qui le veulent vraiment avant de se faire redécouvrir 60 ans après par ses compatriotes (qui, au lieu d’avoir l’humilité de se taire, viennent même s’en vanter). Sorti il y a peu de Saint-Cyr, j’y ai été, comme tous mes camarades, déçu, et même choqué par la pauvreté de l’enseignement académique qui y est dispensé. Des cours disparates sur des matières sans unité réelle, on ne tire que très peu d’apport culturel (sauf pour la filière RIS qui vient de disparaître…), et la capacité de réflexion des jeunes officiers s’en trouve d’autant plus diminuée. Si bien qu’il existe un véritable fossé de connaissances (dont les frontières s’écartent au rythme croissant des fautes d’orthographes sur chaque diaporama Power Point, outil si réducteur de la pensée…), entre officiers subalternes et officiers supérieurs. J’entends souvent les colonels fraichement diplômés, ou les généraux plus anciens dire : « à l’Ecole de Guerre, je me suis refait une culture ». Il est malheureux de constater que de cette culture on ne tire que bien peu d’ouverture d’esprit, et je déplore chaque jour que nos chefs n’aient pas saisi (ou l’aient feint) l’évolution de la société du pays qu’ils servent.

Car la qualité fondamentale de l’officier, celle qui fait de lui l’homme capable de s’adapter aux changements de paramètres sociétaux pour obtenir les meilleurs résultats, c’est bien l’ouverture d’esprit.
En effet, comme on nous le répète sans cesse « le cœur du métier, c’est l’homme ». Mais avez-vous compris qui est l’homme d’aujourd’hui ? Non. Nos chefs ont manqué l’élément essentiel qui est au centre de notre société : la communication. Elle est, que l’on s’en réjouisse ou non, maîtresse de tout.
Elle est celle qui contraint le politique méfiant qui ne voit en l’armée qu’une économie de dépense publique dont personne ne se soucie. Elle est celle qui explique au citoyen et le saisit de sorte que le politique ne peut plus considérer la défense que comme une variable d’ajustement budgétaire. Elle est celle qui attire le jeune en manque de repère vers une vie hors norme.

Mais cela, nos chefs ne l’ont pas vu, ou n’ont pas voulu le voir.

Trop enfermés dans le culte pervers d’une obéissance aveugle (« réfléchir, c’est commencer à désobéir »), nos chefs ont laissé la loyauté se faire docilité. La défiance du politique envers les armées n’est pas nouvelle. Face à cela l’on pouvait très bien, et c’est même une nécessité, se battre avec leurs propres armes. Cela ne veut pas dire désobéir, mais contraindre le politique à n’utiliser la défense que pour ce qu’elle est et non pour ce qu’elle coûte. Mais cela peut signifier des esclandres. Des démissions. Des vagues dont on a horreur dans notre institution. Bref, cela signifie du courage.

Et si l’on ne veut pas en arriver à ces extrêmes là, auxquels on arrivera j’en suis convaincu, si l’on ne voulait pas en arriver à cette civilianisation des tâches « non guerrières » que vous décrivez, il fallait être clairvoyant. Il fallait être ouverts d’esprit. Il fallait comprendre que pour réhabiliter l’armée dans l’inconscient collectif il faut mettre des uniformes français à la télé, au cinéma, partout, et donc commencer par lever l’énorme montagne administrative qui bloque la coopération « militaro-audiovisuelle ». Dois-je rappeler qu’il existe au Pentagone un département entier consacré aux relations entre l’armée et Hollywood ? Comment, si l’on comprend le rôle clé de la communication, laisser des généraux de tous bords se succéder tous les 2 ans à la tête du SIRPA ? Pourquoi ne pas lancer un appel d’offre aux officiers supérieurs, d’un mandat de 5 ans ou plus à la tête de la communication de l’Armée de Terre, avec un master 2 à HEC pendant l’Ecole de Guerre, pour un officier motivé par cette perspective, qui pourrait s’y consacrer pleinement au lieu d’attendre son commandement en essayant de comprendre un système qu’il quittera dès lors qu’il le maitrisera ?

Mais par communication, j’entends aussi les réseaux sociaux. Les réseaux sociaux et internet au sens large ont un impact bien différent que celui de ce seul pauvre « caporal stratégique » qui nous fera perdre la guerre parce qu’il a filmé un dommage collatéral. Internet, c’est le choix. Le choix est un changement fondamental entre la jeunesse d’aujourd’hui et la jeunesse d’il y a encore 15 ans. Les jeunes, il y a encore 15 ans, lorsqu’ils n’étaient pas totalement satisfaits, restaient « faute de mieux ». Aujourd’hui, ils cliquent, chattent, twittent, et vont signer ailleurs. Pourquoi ? Parce qu’on a pas compris comment évolue la société. Ou qu’on s’est borné à la voir telle qu’on voudrait qu’elle soit. Nous n’avons pas d’impact sur le produit de départ mais une obligation de qualité sur le produit d’arrivée. En d’autres termes, plus vite on comprends et on accepte à qui on a affaire, mieux on sera capable de le modeler pour faire de lui un soldat, un combattant, et pas un contractuel au rabais qui vient valider les statistiques. L’image joue aujourd’hui un rôle crucial. Le jeune soldat veut pouvoir rentrer chez lui en étant fier de ce qu’il fait. Vigipirate, par exemple, doit être vu comme une opération de communication gratuite où le jeune soldat est fier d’arborer un faciès de soldat du XXIe siècle qui attire les questions de ses congénères qui lui portent ainsi une vraie considération ! Mais comment voulez-vous qu’il soit fier quand on lui interdit de porter le drapeau français à l’intérieur des frontières (même les Allemands on un drapeau cousu sur l’épaule !) ? Comment voulez-vous qu’il soit fier quand l’équipement qu’on lui fournit est proprement honteux (je vous renvoie au RETEX du 2eREP sur le Mali stipulant que les seuls équipements ayant résisté à un mandat de 4 mois sont les équipements achetés personnellement) ? Comment voulez-vous qu’il soit fier qu’en 4 mois de mandat il ait dû voler les chaussures d’un insurgé qu’il a tué parce que celles qu’on lui donne sont mortes (alors que 2 paires tempérées, une paire été, une paire hiver par combattant déjà payées et livrées sont retenues à Mourmelon sous le libellé « stock guerre ») ? Comment voulez-vous qu’il soit fier quand on n’arrive pas à lui acheminer d’eau mais qu’on lui envoie un hélicoptère plein de rasoirs jetables parce qu’un officier supérieur a vu des photos de soldats non rasés ? Comment voulez-vous qu’il soit fier quand il n’est plus payé ?

Le jeune qui vient s’engager vient pour beaucoup de raisons diverses, mais nul ne s’épanouit dans un travail qu’il n’aime pas. La différence, c’est qu’aujourd’hui on ne fait plus contre mauvaise fortune bon cœur. Si on ne nous propose pas mieux, on va voir ailleurs.

L’Armée de Terre a manqué sa professionnalisation. Nous allons commencer à le voir à partir de maintenant, car elle se maintenait jusque là par la compétence d’anciens qui, par la force des choses, se font de plus en plus rares. Car l’avènement du « taux d’attrition », véritable saint-patron de nos armées et première préoccupation réelle des unités, a engendré un virage démagogique dont l’armée de terre ne pourra que difficilement se remettre. Tous les moyens sont bons désormais pour garder les jeunes, qu’ils correspondent ou non à l’emploi à honorer, pourvu que les chiffres soient respectés. Mais cela est complètement contre productif : trop dorloté (je ne parle pas ici des violences physiques qui n’avaient plus leur place chez nous), le jeune engagé est très vite déçu par la vie en compagnie où il s’ennuie – en partie aussi parce que leurs supérieurs sont accaparés par des tâches administratives qui ne devraient pas être dans leurs prérogatives, et ne re signent pas. Il en résulte une perte croissante des compétences qui ne va que s’aggraver à mesure que le vivier de « vieux soldats » s’épuise. Et comment maintenir un niveau de compétence suffisant quand on doit former sans cesse des nouveaux qui partiront 5 ans après ? Et ceux qui restent ne sont pas assez endurcis moralement pour supporter les vicissitudes de la vie militaire.

La première chose qu’il fallait changer lors de la professionnalisation, c’était l’état d’esprit. Mettre un terme à « un beau soldat c’est déjà la moitié d’un bon soldat ». On confond encore dans cette armée l’entretien de la tenue avec le culte de l’apparence. On confond rigueur et rigorisme. Et les contacts croissants avec les armées étrangères en sont à chaque fois une nouvelle démonstration. Une journée avec une section anglaise suffit. Sport le matin : les anglais arrivent tous dans une tenue différentes mais dans laquelle ils sont à l’aise pour tirer le meilleur parti de leur séance, les Français arrivent tous dans la même tenue, la moitié s’arrache les cuisse, certains on trop froid, etc… Tir l’après midi : les anglais s’entrainent avec le matériel avec lequel ils combattent, pas nous. Parcours naturel : on a fait les fiers le matin en sport en débardeur alors qu’il gèle, les Anglais n’ont rien dit et arrivent maintenant tous en treillis rangers T-shirt et vont casser la glace de l’étang. Soir : nettoyage armement, le Français n’a pas le droit d’écouter de musique, doit rester trempé à gratter son famas avec des ustensiles fournis inadaptés pendant que l’Anglais est en civil et se détend en nettoyant son arme, comme un soldat professionnel qui nettoie son outil de travail. Car à la fin de la journée, son arme est propre, il a travaillé ses performances physiques, la manipulation de son équipement de combat, et sa rusticité. Le Français a montré qu’il ne réfléchit pas, et qu’il n’est pas meilleur. Sauf que le soir, le Français va sur internet se chercher un autre emploi.

La mentalité des chefs n’a pas changé, ils sont toujours fiers de « faire des miracles avec rien ». On peut être fier d’être capable de continuer en situation difficile quand on a plus rien, on ne peut accepter de devoir faire tout avec rien. Et c’est bien là le problème. Le rôle des généraux, c’est de défendre leur armée auprès (contre) des politiques. Mais comment voulez-vous le faire quand ils sont à ce point déconnectés ?

Nous allons payer très cher leur manque de pragmatisme. Il y a de l’autre côté de la Manche un pays qui connaît les mêmes difficultés financières que nous. Un pays où les officiers sont extrêmement loyaux, mais qui ont choisi de dire « non » lorsqu’on leur demande d’honorer un théâtre sur lequel ils ne peuvent pas agir de manière professionnelle, afin de mettre les politiques en face de leurs responsabilités. Dans 10 ans, l’armée anglaise aura gardé ses savoir-faire techniques et tactiques qu’elle aura continué à entretenir à moindre échelle, et elle sera dotée de 2 porte-avions de classe Queen Elizabeth. Dans 10 ans l'armée anglaise aura gardé ses savoir-faire techniques et tactiques qu’elle aura continué à entretenir à moindre échelle, et elle sera dotée de 2 porte-avions de classe Queen Elizabeth. Dans 10 ans, je ne donne pas cher de notre armée qui est d’ores et déjà, en hommes comme en matériels, moins nombreuse que l’armée Suisse.

 

Lieutenant « Arène »

 

 

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Afghanistan, Libye, Mali, Syrie peut-être demain, nos armées volent d’un engagement à un autre, heureuses et fières de servir, oubliant, dans l’ardeur des opérations,  les perspectives moroses de la loi de programmation militaire ; ignorant surtout la révolution silencieuse qui bouleverse l’organisation du ministère de la défense et pourrait, si l’on n’y prend garde, ébranler les fondements de l’institution militaire.
La place et le rôle des chefs militaires au sein de ce qui fut longtemps le ministère des armées ont été parfois contestés au cours des dernières décennies. La haute fonction publique, soutenue par les cabinets et le contrôle général des armées, a toujours lorgné vers les postes de responsabilité de ce ministère atypique. Le général Lagarde, il y a 30 ans déjà, disait aux stagiaires de l’Ecole de Guerre : «  on aurait tort de n’y voir qu’un conflit d’intérêts corporatistes. Ce sont deux visions qui s’affrontent : d’un coté, le notre, la subordination de toutes les activités à la préparation opérationnelle, de l’autre, celui des civils, le primat de la gestion budgétaire. Cette dernière approche peut séduire, car elle est plus perméable aux pressions politiques… ». Nous n’en crûmes pas un mot. Nous avions tort.                                            
La relève des généraux par des hauts-fonctionnaires à la tête d’institutions, comme le SGDN ou la DGSE, aurait pu nous alerter, mais le caractère interministériel de ces postes pouvait expliquer le changement de portage. Surtout, en parallèle, le développement de l’interarmisation recentrait les armées et le ministère sur leur raison d’être, la préparation et la conduite des opérations. La guerre du Golfe avait montré  l’urgente nécessité de dépasser les intérêts particuliers de chaque armée (Terre, Marine et Air ) en les subordonnant aux impératifs des opérations interarmées. Et, depuis vingt ans, nos engagements incessants dans les Balkans, en Afrique, au Moyen-Orient et en Afghanistan avaient progressivement donné une place centrale, au sein du ministère, au chef d’état-major des armées.

Consacrée par les décrets de 2005 et 2009, cette évolution stabilisait et consolidait la charnière politico-militaire en donnant au CEMA les moyens d’exercer son rôle de conseiller militaire du gouvernement. Certains s’en étaient inquiétés, craignant que le ministre de la défense peine à imposer son autorité à un « proconsul » trop puissant. C’était ignorer le poids incontournable, au sein du ministère, du Délégué général pour l’armement, assis sur son socle industriel et social, et du Secrétaire général pour l’administration, détenteur des leviers de la finance et de la gestion.                                                  

La  défiance de principe à l’égard du loyalisme des officiers est non seulement infondée mais surtout incompréhensible pour des générations de militaires élevées dans le culte de l’obéissance républicaine. A une époque tristement marquée par l’affaire Dreyfus et l’affaire des fiches, Jaurès avait fait litière de ces accusations en démontrant la constance de la soumission des chefs militaires aux responsables politiques.

Aussi les vraies raisons qui conduisent aujourd’hui à retirer au chef d’état-major des armées une part importante de ses responsabilités pour les confier à des fonctionnaires civils se résument-elles dans une formule lapidaire : « il faut recentrer les militaires sur leur cœur de métier ». En clair, les généraux ou amiraux seraient des techniciens du combat, peu aptes à gérer des hommes, des finances, des relations internationales, voire des services logistiques.

Cette vision réductrice de la fonction militaire va à l’encontre de traditions millénaires qui exaltaient les rôles de stratège, d’administrateur ou de logisticien comme autant de facettes indispensables au bon exercice du métier des armes. Elle est surtout antinomique des exigences des conflits modernes où l’intelligence de situation, à tous les échelons, requiert une vision large, bien au-delà de la maitrise technique des armes, où le dialogue international est la règle, où l’administration d’un secteur, le contact avec la population et la manœuvre logistique sont des facteurs essentiels du succès.

L’évolution sémantique est révélatrice des changements de mentalité. Venues d’Europe du nord où le refus de la guerre et la foi absolue dans le « soft-power » ont marginalisé les armées, certaines expressions, ignorées dans le monde anglo-saxon, se sont imposées progressivement en France. « L’outil militaire » ou « l’expert militaire » renvoient à une vision technicienne du métier des armes. La tentation d’y recourir est d’autant plus grande que la haute technologie est présente partout sur les théâtres d’opérations. On en vient à oublier que ce sont des hommes et des femmes qui conçoivent et conduisent ces opérations, qui endurent et qui souffrent et qui risquent leur vie ou leur intégrité physique pour protéger leurs concitoyens.

La prudence et la réversibilité s’imposent donc dans la mise en œuvre de réformes qui peuvent affecter profondément l’exercice futur du métier des armes. Dans un système où les chefs militaires n’auraient plus la capacité d’influer sur les choix majeurs des responsables politiques, on prendrait le risque d’une triple évolution, souvent constatée dans les pays européens où les militaires sont tenus en suspicion : syndicalisation, politisation des élites et découragement des meilleurs.

Dans l’univers aseptisé des officiers « recentrés sur leur cœur de métier », on ne rencontre, bien sûr, ni Napoléon, ni De Gaulle, mais c’est aussi Foch, Lyautey, Leclerc ou De Lattre à qui on ferme la porte.
 
Général d'armée (2S) Henri Bentégeat
 

 

 



23/11/2013
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