ATHENA-DEFENSE

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Un point de vue journalistique

Publié le 13 mars 2010 à 05h00 | Mis à jour le 13 mars 2010 à 05h00

Anne Nivat: ne tirez pas sur le journalisme

Dans ses livres, Anne Nivat raconte les vies... (Société Radio-Canada)

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Dans ses livres, Anne Nivat raconte les vies de gens ordinaires, broyés par des événements extraordinaires. Elle est de passage au Québec, où elle a participé, entre autres, à l'enregistrement de l'émission Tout le monde en parle, qui sera diffusée demain.

Société Radio-Canada

Jean-Simon Gagné
Le Soleil

(Québec) Après 15 années de reportages en Tchétchénie, en Irak et en Afghanistan, la correspondante de guerre Anne Nivat porte un regard sévère sur le journalisme. Selon elle, il faut cesser de prendre les gens pour des idiots. Et redécouvrir le sens des responsabilités.

Même dans le petit monde des correspondants de guerre, Anne Nivat constitue un oiseau rare. Depuis des années, elle prend des risques considérables pour montrer la guerre. Mieux, pour montrer la guerre à travers le regard de gens ordinaires broyés par des événements extraordinaires.

Dans les reportages d'Anne Nivat, on croise la mère tchétchène dont la fille vient d'être mitraillée par des soldats russes. Ou le petit commerçant de Kandahar qui a dû exiler sa famille à Dubaï, après avoir reçu quantité de menaces de la part des talibans. Et chaque fois, on se surprend à penser que ces gens pourraient être nos frères.

«Ma méthode de travail, c'est celle de la discrétion, presque de l'infiltration», explique Anne Nivat, qui sera de passage à Québec lundi. «Je suis une sorte de caméléon. Je deviens Irakienne en Irak. Tchétchène en Tchétchénie. Je m'habille comme les femmes de l'endroit. J'utilise les moyens de transport du cru, souvent des minibus ou des taxis collectifs. Je n'habite pas à l'hôtel, mais plutôt chez les gens. Je m'installe pour des semaines. Cela démontre mon respect pour les personnes qui m'accueillent. Ça les place en confiance.»

Au passage, Anne Nivat s'insurge contre les correspondants de guerre qui sortent à peine quelques secondes de leur hôtel-bunker. «On simplifie tout. On veut faire court. On fait tous la même chose. Ça finit par ressem bler à de la désinformation, analyse-t-elle. Mais moi, plus tard, quand les historiens se pencheront sur notre époque, je ne veux pas qu'ils pensent qu'on ne pouvait pas raconter les choses différemment. Je ne veux pas qu'ils croient que nous étions dupes.»

En 2000, Anne Nivat a remporté le prestigieux prix Albert Londres pour son ouvrage Chienne de guerre (Fayard), sur l'enfer tchétchène. Mais personne ne pourra l'accuser d'avoir choisi la voie la plus facile. Dans un milieu qui ne jure que par la vitesse, elle fait l'éloge de la lenteur et de la complexité. Dans un monde toujours pressé de tourner la page, elle se décrit comme une «passeuse de causes oubliées dans un monde qui n'a pas le temps».

«Pour raconter des histoires, il faut les vivre, soupire-t-elle. Et pour les vivre, ça prend du temps.»

Anne Nivat avoue qu'elle préfère ne pas trop songer au danger. Sous peine de tout laisser tomber. En 2006, la grande journaliste russe Anna Politkovskaïa, avec qui elle travaillait en Tchétchénie, a été assassinée. Abattue à l'entrée son appartement de Moscou. Les maîtres du Kremlin ont versé quelques larmes de crocodile. Pour la forme. Mais il était de notoriété publique que le président russe, Vladimir Poutine, n'aimait guère les reportages critiques de celles qu'il surnommait les «deux Anne».

Le meurtre d'Anna Politkovskaïa ne sera sans doute jamais résolu. L'indignation d'Anne Nivat n'y pourra rien changer. D'où un sentiment de futilité. «Il m'est souvent arrivé d'être découragée ou d'avoir l'impression de travailler pour rien, confie-t-elle. Mais je me dis toujours que le public fait la différence. Qu'il ne faut pas le sous-estimer. Je le vois d'ailleurs dans les lettres et les messages que m'écrivent les lecteurs.»

Immense responsabilité

À la fin, Anne Nivat doit aussi penser à ceux dont elle a raconté l'histoire. «Il ne s'agit pas de personnages de romans. Ils sont vrais, insiste-t-elle. Même ceux qui sont morts. Leur souvenir me rappelle sans cesse que le journalisme constitue une immense responsabilité. Si on l'oublie, il ne faut pas s'étonner de perdre de la crédibilité. Nous l'avons un peu cherché.»

Surtout auprès des lecteurs qui n'ont pas oublié la vraie devise du journalisme : «Consoler les affligés. Affliger les puissants.»

Lundi, à Québec, Anne Nivat prononcera une conférence intitulée Tchétchénie, Irak, Afghanistan : comment couvrir ces nouvelles "croisades"? à l'invitation de l'Institut québécois des hautes études internationales. L'entrée est libre. À 13h, au local 3A du pavillon Charles-De Koninck de l'Université Laval.



14/03/2010
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