ATHENA-DEFENSE

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Une tranche de vie aux Etats-Unis en 1944

Depuis le 24 décembre 1944 je suis aux Etats-Unis. L'Afrique du Nord est oubliée, je tire un rideau sur cette période qui m'a vu naître, a bercé mon enfance et m'a permis de grandir. Mon projet de partir de Tunisie n'a pu se concrétiser en 1940, mon beau frère Marion et ma sœur Jeanette devaient m'amener à Paris pour finir mes études. La guerre a brusquement interrompu cette idée, et le décès de ma sœur a été si brusque et si inattendu qu'il m'a fallu trois ans et 1943 pour que je prenne conscience de la chance qui s'offrait à moi : faire une nouvelle vie.

Aussi, ceci dit passons aux choses sérieuses. Il faut que chaque jour, en me réveillant je me dise, tu es là où tu désirais, aussi oublies, fonce, fonce, fonce… La vie t'appartiens, n'acceptes aucun compromis

 

Rassemblement : des officiers français arrivent. Nous sommes en classe, pour les consignes qui vont régir le temps où nous serons aux USA. Les choses sérieuses commencent :

Professeurs, américains, parlent français oui assez, mais la technique est en Anglais. Un livre en Anglais pour chacun.

Discipline : en classe, au camp, en ville est régit par le camp qui nous accueille. Aussi la police militaire MP est présente partout. La garde au camp est faite par eux et en sortie, en ville elle est seule compétente. Vous avez intérêt de ne jamais vous faire prendre, la fuite est votre seule issue possible

La communauté noire en Alabama est soumise à certaines règles. Les quartiers noirs sont en marge de la ville des blancs. Faire très attention de ne pas aller chez eux, les éviter car en cas de problèmes vous serez renvoyés en A.F.N.

Avec la population blanche, correction, gentillesse, propreté. Attention aux jeunes filles, les Américains sont tatillons et pensent, et cela est vrai, que nous faisons ombre à leur virilité

L'école : en classe vous êtes ici pour apprendre, nous sommes en guerre, vous devez vous préparez à combattre, les échecs ne sont pas prévus, ni admis.

Vous avez une nouvelle visite médicale et des piqûres complémentaires (après celles au départ de Casablanca)

Vous êtes logés en baraquement tout confort, chacun un lit avec drap, couvertures neuves, chacun un placard pour votre paquetage qui est important. Le linge est ramassé chaque semaine, aussi voici des étiquettes en tissu à votre nom, les coudre sur chaque vêtement, chemises, pantalons etc.…

Les W C sont communs, six à la suite, les douches idem. Avec les Anglais à Tripoli c'était la même chose.

Nous nous souhaitons bonne chance et au travail. Puis ils disparaissent. Cela dit nous sommes prêts à affronter notre avenir.

Visite guidée des lieux : théâtre, cinéma, P X, mess, église, un village dans le camp et dans notre quartier. Mais nous ne sommes pas seuls, paraît il, trois cents maximum ici, et aux alentours d'autres quartiers, plusieurs milliers. Aussi plusieurs mess etc., etc.…Plusieurs nationalités.

Lever : 5 h 30, prêts à 6 h00, lavés habillés. En rang, le plus ancien prend le commandement, nous avons un gradé, un caporal Macabian, malchance pour lui. Mais dans l'ensemble la discipline est et sera l'affaire de tous.

Le matin, repas à l'américaine, très copieux, cela me change du café pain sec de Casablanca.

A midi, repas et à 19 heures souper copieux.

Les classes, c'est du sérieux. Les appareils de radio et d'émission n'auront plus de secret, phonie et morse, les apprendre par cœur, surtout ce qui est à l'intérieur, condensateurs, fils de toutes sortes, et j'en passe. Ce n'est pas croyable, je ne me doutais pas que dans cet appareil c'était si compliqué. Et pourtant dans les semaines à venir, les pannes faites par notre professeur devront être réparées dans un temps record. Il y va de notre survie en B17, forteresse volante vous serez seuls et c'est le lien avec la base. Radio navigant est un métier. Les journées sont bien remplies, les jours passent vite, très vite.

Cinq heures et demi à dix neuf heures nous sommes occupés. Le matin jusqu'à douze heures école, l'après midi, apprendre et révision pour le lendemain et exercices physiques. Notre liberté au camp après le souper jusqu'à vingt et une heures, car à vingt deux heures extinction des feux. Je vais au PX ou au cinéma (Pour le reste, quartier libre). Libre également du samedi midi au dimanche soir vingt quatre heures maximum, mais il vaut mieux être avant : because les MP. Ici les sorties sont à Montgomery ou Birmingham Cinquante kilomètres en triangle. Nous traversons juste Selma. Nous prenons le car avec d'autres soldats américains ou autres nationalités et en principe j'en profite pour faire un petit somme. Je sais que cela sera le seul avant dimanche soir. Les deux villes sont de style peu différent. Les maisons en banlieue sont magnifiques avec colonnes imposantes. Les colons blancs devaient être bien riches ! C'est vrai que les esclaves noirs n'avaient pas de syndicat pour se faire payer. En ville cela se ressemble, pas de grands immeubles, une belle église et d'autres lieux de culte, la religion est présente et nous en ferons l'expérience en fréquentant les Amerlos. Samedi, night club, le matin la messe, la ségrégation est partout en 1944 1945. Les églises séparées avec celles des blancs, mais aussi les cars, les lieux et le reste.

Je sors le samedi, seul, je me sens plus à l'aise. Ce soir là, j'aperçois à travers une devanture une jeune femme, buvant un martini. Tiens, voyons voir, je m'approche, quelques mots en souriant, elle me sourit, j'ai de la chance. Nevi, un gars de l'orchestre a vu le danger que je représente et arrive vers moi. Pas le temps de comprendre, trois hommes, des militaires foncent en jurant en corse madonache mi ils veulent te corriger et en un tour de main je me retrouve dehors avec mes trois gardes du corps. On te surveillait, Serra de Bonifacio, Poli de Piana, Ghaviani de Lauretto de Cassinca, au bout d'une route de montagne à 15 kilomètres de Bastia. Dans la boîte, le ménage est fait. Les MP ne sont pas loin, il nous faut prendre le large, sans nous concerter, la fuite. La nuit n'est pas terminée et tous les quatre nous la finissons dans d'autres lieux plus accueillants. Nous n'avons pas dormi, il fait jour, nous allons à la messe puisque nous sommes à Birmingham, la cathédrale est là. Les prières commencent et malheur les chants finissent par m'endormir profondément, une Américaine auprès de moi me réveille doucement et please direction le presbytère. Je suis un habitué. Ici le petit déjeuner est prêt, la jeune fille me sert délicatement café, lait, pâtisserie. Je ne dois pas bouger because je suis fatigué. Un militaire français ou américain ou d'autres nationalités sont choyés. C'est ainsi. Que c'est loin l'AFN, Blida, Casablanca. Ainsi je ne me suis pas trompé.

La base de Selma m'attend, je fais en sorte d'arriver à 22 ou 23 heures maximum, vérification de mes papiers par les MP et je rentre au lit. Tiens mon lit est en portefeuille, je le sens, je le vois, quelle malchance pour Macabiau le caporal. Il sourit, un balai est là, je le casse sur la tête. Demain la classe et le professeur a préparé des pannes sur nos appareils de transmissions. Coupures de fils ou un condensateur périmé et autres choses. Il le fait avec délice et malice. Je le regarde du coin de l'œil. A moi de lui prouver que le petit français est plus malin que mon amerlo de professeur. C'est un jeu entre nous. Le premier trimestre 1945, école de Selma et école de Maxerl Field, le morse n'a plus de secret pour moi, je me spécialise. Vitesse, ne pas faire d'erreur en transmettant chiffres, codes, enfermés dans un box représentant notre coin dans le B 17.

La fatigue se fait sentir, surtout ne pas y penser. Apprendre, je suis ici pour être capable d'être opérationnel

Et que dire alors de nos sorties de nos samedis, de nos dimanches, elles sont encore plus fatigantes Notre quête aux rencontres amoureuses se solde souvent avec tous les interdits à des frustrations pour des jeunes de 20 ans, c'est la misère sexuelle. Un dimanche soir, de retour sur Selma je dors si profondément que je me retrouve au dépôt : le chauffeur ne m'a pas réveillé. Je l'insulte. Et là malheur je suis à l'opposé de Selma, mon camp. Entre lui et moi, les quartiers noirs. Il est 21 heures, j'ai 2 heures, 3 heures maximum devant moi avant 24 heures. Je n'ai pas d'autres solutions, traverser sans me faire tuer. A la première maison, je me présente : friend, mon écusson, un sourire avec ma demande, en montrant mon camp tout allumé. Yes, Yes, ils appellent d'autres noirs, leur voisin, ils me font une haie d'honneur, et je traverse les endroits si dangereux en trois quart d'heure. Après je sers des poignées de mains chaleureuses à quelques centaines de mètres du poste. Si les MP savaient ce que j'ai fait, la prison, le retour en AFN. Je vais dormir et silence, silence même aux gardes du corps « mes Corses » je ne peux en parler. Les mois passent et nous sommes pas mal dégrossis, nous sommes informés que bientôt nous serons à Scott Field dans l'Illinois pas loin de Saint Louis (Missouri).

Louis Georges PIETRINI

 né le 14 avril 1925

 

Ce récit a été repris dans une version plus complète et plus récente, voir les dernieres  contributions..



12/02/2010
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