ATHENA-DEFENSE

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A propos du BCRA et de la DGSE

70e anniversaire du BCRA

Mardi 17 janvier 2012 s’est tenu pour la première fois une cérémonie organisée par la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) pour célébrer dans la cour de hôtel des Invalides à Paris le 70e anniversaire de la création du Bureau central de renseignement et d’action (BCRA). C’est le 17 janvier 1942 que le BCRA a été institué et a pris le relais du 2e Bureau et du Service de renseignement de la France libre du général de Gaulle. Cette nouvelle structure a travaillé en liaison avec les services britanniques mais a su marquer sa différence sans jamais sacrifier à l’exigence d’efficacité.

A ce temps de mémoire participaient le ministre de la Défense et des Anciens combattants, Gérard Longuet, mais aussi Daniel Cordier, compagnon de la Libération et ancien secrétaire de Jean Moulin, Stéphane Hessel figure de la Résistance, le fils du célèbre colonel Passy, Daniel Dewavrin, Rose de Beaufort, fille du capitaine de frégate et compagnon de la Libération, Honoré d’Estienne d’Orves. En cet instant beaucoup auront pensé aussi à Pierre Brossolette.

Des élément du 44e RI, l’unité qui rassemble les personnels militaires affectés à la DGSE et des personnels du Service action étaient présents ainsi que le représentant à Paris de l’Intelligence service. Le Chœur de l’armée française a interprété le Chant des partisans.

Des unités ont reçu également la croix de la valeur militaire avec palme pour des engagements opérationnels récents.

Le patron de la DGSE, Erard Corbin de Mangouxa indiqué: ” La DGSE tient à rendre hommage à ceux qui n’ont jamais cessé de croire en la France et qui lui ont rendu son honneur. La DGSE héritière du BCRA est aujourd’hui héritière des valeurs qu’il a défendues et pour lequel il a combattu. Il ne peut y avoir dans une démocratie des services spéciaux qui ne soient encadrés et portés par les valeurs de la République”. Le ministre de la Défense a ajouté: ” Dans ce monde particulier, une opération réussie est une opération qui demeure discrète et méconnue du public. C’est une exigence opérationnelle. Soyez fiers d’appartenir à un service aussi prestigieux”.

« Dans ce monde particulier, une opération réussie est une opération qui demeure discrète et méconnue du public. C'est une exigence opérationnelle et ce peut être aussi, je le mesure, une certaine frustration. Soyez fiers d'appartenir à un service prestigieux, placé en toute première ligne de notre défense collective, engagé sur les points chauds de la planète, seul service spécial de l'appareil d'Etat. (...) Pour votre contribution à la sécurité de la France et des Français, ici, sur notre territoire, mais aussi en tout point du globe, pour la préservation de nos intérêts, pour l'humilité de vos engagements alliée à l'importance pourtant stratégique de vos missions, je tiens à vous exprimer aujourd'hui directement, au nom du gouvernement et en mon nom personnel, la reconnaissance et l'hommage de la Nation." 

 

Le  ministre de la Défense Gérard Longuet commémore ainsi avec la DGSE, le 70 ème anniversaire de la création du BCRA, le Service dont elle serait l'héritière. En effet, le Sdece a hérité de l’histoire compliqué des différents services dits "secrets" de la guerre de l’ombre. Le BCRA, créé en juillet 1940 par le général de Gaulle, désigné sous différentes appellations au fil des années, sera fusionné en 1943 au sein de la (DGSS).

 

 En novembre 1942, le débarquement allié en Afrique du nord suivi de l'invasion de la zone sud par les Allemands conduit des agents du service de renseignements de Vichy à rejoindre Alger. La rivalité entre de Gaulle et le Giraud impose pendant quelque temps une dualité entre les services spéciaux,  entre le BRAL, bureau de renseignements et d'action de Londres (ex-BCRA), dirigé par, André Dewavrin dit Col passy et le BRAA, bureau de renseignements et d'action d’Alger, dirigé par le colonel Louis Rivet et le Cdt Paillole, giraudistes. La réalité fût encore plus complexe : Un entretien avec François Broche paru sur le site de la fondation Charles de Gaulle permet d’avoir un certain éclairage sur cette période.

 

Les secrets du BCRA dévoilés par François Broche"

Voir le sommaire de ce numéro

http://www.charles-de-gaulle.org/pages/revue-espoir/le-dernier-numero.php

 

François Broche est né le 31 août 1939 à Tunis, journaliste et historien il est  spécialiste de la France Libre et de la Seconde Guerre mondiale.

Ancien président du comité éditorial de la revue "Espoir", il est conseiller de la rédaction de "L'Ena hors les murs", revue des anciens élèves de l'Ecole nationale d'administration.

Longtemps, la seule source sérieuse d’information sur les services secrets de la France Libre a été les Mémoires de Passy, leur créateur et leur chef de 1940 à 1944. Ce document capital, d’abord publié en trois volumes après la guerre, depuis longtemps épuisé, a été fort heureusement réédité en 2000, avec une présentation magistrale et une minutieuse annotation de Jean-Louis Crémieux-Brilhac sous le titre : Mémoires du chef des services secrets de la France Libre (Odile Jacob). A propos de la querelle Brossolette-Moulin, le grand historien de la France Libre remarquait, en passant, que le récit que Passy donnait de ces événements était « aussi remarquable par ses précisions que par ses omissions ». Il n’est évidemment pas contestable que, quels que soient les services qu’il a rendus à la France Libre, qui furent immenses et lui valurent d’être fait Compagnon de la Libération au printemps 1943, Passy a largement réécrit l’histoire, par exemple en prenant parti pour Brossolette contre Moulin et, d’une manière générale, en plaçant le BCRA au centre de l’épopée française libre. Mais n’est-ce pas le péché (véniel) de tout mémorialiste ? En outre, n’avait-il pas quelque excuse lorsque l’on se souvient qu’il avait été l’objet, dès la Libération, d’accusations « infâmes » (le mot est du général de Gaulle) non seulement contre sa personne (Passy = cagoulard), contre ses méthodes pendant la guerre (BCRA = Gestapo), mais à propos de soi-disant détournements de fonds qui lui auraient permis de s’enrichir personnellement – accusations qui lui valurent 120 jours d’arrêts de forteresse.
C’était donc un homme blessé, atteint dans son honneur, qui avait pris la plume, et le miracle était que son témoignage était de premier ordre : « Les Mémoires de Passy – les premiers qu’ait publiés un Français libre – constituent, avec leurs révélations, leur foisonnement et leurs partis pris, un document irremplaçable, écrit Jean-Louis Crémieux-Brilhac. Ils éclairent une phase épique de notre histoire, et le rôle de l’homme, qui fut grand. » Bien entendu, ni ces Mémoires, ni les attaques portées contre leur auteur ne pouvaient épuiser un sujet aussi vaste et aussi mystérieux que l’histoire véridique du BCRA. Revenant sur l’interdiction faite à Passy de poursuivre en justice ses accusateurs, de Gaulle consentit, dès la Libération, à la publication d’un Livre blanc du BCRA. L’ouvrage fut rédigé par trois anciens du service : Vitia et Stéphane Hessel et Daniel Cordier. Ce fut un coup d’épée dans l’eau, en partie à cause du silence de certains des plus proches collaborateurs de Passy (André Manuel, Pierre Fourcaud) et aussi de l’attitude relativement critique du Général envers l’ancien chef de ses services secrets.

« Une impression terrible »
Le jeune historien Sébastien Albertelli a soutenu en 2006 une thèse sur « les services spéciaux de la France Libre », sous la direction de Jean-Pierre Azéma . De cette somme scientifique, il a tiré un ouvrage de 600 pages qui vient de paraître : Les Services secrets du général de Gaulle (Perrin). « Le BCRA, remarque-t-il, a été largement perçu à travers le double prisme d’une légende noire et d’une mémoire en défense, un mouvement de balancier s’opérant entre ces deux pôles. » Depuis les années 1980, et surtout depuis 1998, année où les Archives nationales ont débloqué plusieurs centaines de cartons émanant directement du BCRA, complétés par les fonds du Service historique de la Défense, les archives du général de Gaulle et celles de deux éminents anciens du BCRA (Passy et Daniel Cordier, alias BipW), le BCRA peut faire l’objet d’études sérieuses. Dans un souci de rigueur digne de tous les éloges, Sébastien Albertelli a croisé cette masse documentaire avec les archives de personnalités déjà disponibles (Henri Frenay, Emmanuel d’Astier, le général Cochet), celles du commissariat national à l’Intérieur, et surtout celles du SOE et de l’OSS : « L’abondance et la diversité des ces sources, explique-t-il, permettent de ‘’distinguer l’ordre du fantasme de celui des phénomènes attestés’’. »
Alors que, dans les pays anglo-saxons, l’étude des services secrets est devenue un courant historiographique à part entière, en France elle est longtemps demeurée marginale, abandonnée au travail journalistique pour lequel l’auteur se montre très sévère, car il lui semble « à la fois peu soucieux d’exposer ses sources au regard critique et davantage intéressé par les affaires ou les scandales que par le fonctionnement de ces organisations et leur place dans l’Etat ». Cette époque est révolue : le BCRA fait désormais partie de l’histoire de la France Libre, puis de la France Combattante, et aussi de l’histoire de la Résistance intérieure, ajoute Albertelli, en citant l’action de quelques grands résistants qui « embrassait les deux rives de la Manche » : Moulin, Brossolette, d’Estienne d’Orves, Morandat, Scamaroni…
On sait que les services secrets de la France Libre sont nés non dans la douleur, mais dans ce qu’il faut bien appeler la froideur. Le 1er juillet 1940, Charles de Gaulle, qui vient d’être reconnu par Churchill comme « chef de tous les Français libres », reçoit un jeune officier de 30 ans débarquant de Norvège, polytechnicien et professeur de fortification à Saint-Cyr, le capitaine Dewavrin. L’entrevue manque pour le moins de chaleur : « D’où sortez-vous ? », lui demande de Gaulle, avant de lui lancer : « Vous serez chef des 2e et 3e bureaux de mon état-major », décide de Gaulle. Dewavrin, qui ne s’appelle pas encore Passy, confiera qu’il retira de ce premier contact « une impression terrible ».

« Coordonner des actes sporadiques »

Bien qu’ignorant tout du renseignement, Dewavrin prend sa mission très au sérieux, avec peu de moyens et peu d’hommes. Albertelli met à juste titre l’accent sur la petite équipe des débuts – tous des anciens de la campagne de Norvège : Duclos, Beresnikoff, Lagier, Lecot, rejoints dès septembre 1940 par une « recrue de choix », le lieutenant André Manuel, que l’historien considère comme le créateur du BCRA, au même titre que Passy. Une « équipe d’amateurs » (Albertelli), mais intelligents, courageux, patriotes. Leur mission, dans le cadre du 2e bureau, était de recueillir les renseignements sur les Allemands en France et d’en produire des synthèses. Le 2e bureau de juillet 1940 deviendra officiellement Service de renseignement (SR) en avril 1941, puis Bureau central de renseignement et d’action militaire (BCRAM) en janvier 1942, et enfin BCRA en juin suivant. Ce changement d’appellations traduit un spectaculaire élargissement de ses activités, notamment un passage relativement rapide du renseignement à l’action.
Albertelli retrace les premières missions accomplies en France dès l’été 1940 par les hommes de Passy – Moreau, Mansion, Fourcaud, Duclos, d’Estienne d’Orves à la fin de l’année, et surtout Renault, alias Raymond, le futur Rémy, le plus célèbre agent secret de la France Libre, mais aussi, selon l’auteur, « le principal ordonnateur de sa propre légende ». Dans les mois qui suivent, ces missions connaîtront des fortunes diverses : les « désastres de l’été 1941 » (Albertelli) sont porteurs de leçons et préludent à des résultats notables, principalement dans le domaine de la transmission des courriers.
Dès l’été 1940, Passy songe à doubler le renseignement de l’action paramilitaire, surtout destinée à stimuler l’esprit de résistance, et, pour commencer, comme il l’écrit dans ses Mémoires, à « coordonner les actes sporadiques ». D’emblée, il se heurte à un sérieux écueil : l’action des Britanniques en France dans le cadre du Special Operations Executive (SOE), dont beaucoup de responsables étaient victimes de « solides préjugés antigaullistes » (Albertelli). Les négociations entre le SR de la France Libre et les services anglais ressemblèrent fort, aux dires de Passy, à une union entre un « aveugle » (britannique) et un « paralytique » (français) : le premier disposait de moyens importants, mais il avait quitté la France en juin 1940 sans laisser derrière lui la moindre organisation ; le second était pauvre en moyens, mais non en hommes, « prêts à retourner dans leur propre pays afin d’y observer l’ennemi, son dispositif et ses déplacements » (Passy).
Ces négociations auraient pu déboucher sur un accord équitable, si la disproportion des forces entre les deux partenaires n’eût été aussi grande. Tout compromis était difficilement envisageable entre un de Gaulle intransigeant sur le respect de la souveraineté française et un Churchill peu enclin à accepter une coopération sur une base égalitaire. « Le BCRA, écrit Albertelli, défendit avec d’autant plus d’âpreté la vision gaullienne de la souveraineté nationale qu’il entendait s’imposer comme l’une des administrations principales de l’Etat gaulliste en formation. » Cela dit, il est évident que, sans l’appui de l’Intelligence Service, le BCRA n’aurait pu obtenir les résultats dont il se créditera à la fin de la guerre.

« Une administration incontournable »
Il importait en outre, pour Passy, de contrôler, sinon de brider les velléités d’entente avec Vichy qui animaient Pierre Fourcaud, l’un de ses principaux adjoints, personnage fougueux, ayant des vues politiques personnelles, activement soutenu par deux hommes clés de la résistance vichyste à l’occupant : le colonel Groussard et le commandant Loustaunau-Lacau. De Gaulle composa un temps avec ce trio dont Albertelli décrit avec précision les intrigues, mais il n’était, bien entendu, pas question dans l’esprit du chef de la France Libre de dédouaner le Maréchal, principal artisan et symbole de la collaboration.
En octobre 1941, Passy réorganisa les services, désormais divisés en cinq sections :
- la section R (Renseignement), dirigée par André Manuel (Pallas);
- la section A (Action), dirigée par Raymond Lagier (Bienvenüe) ;
- la section Evasions, qui sera vite rattachée au commissariat à l’Intérieur, faute d’une véritable collaboration avec son homologue britannique ;
- la section du Chiffre, dirigée par Georges Lecot (Drouot) ;
- enfin une section CE (contre-espionnage), confiée à un jeune officier des « Menées antinationales » de Marseille, Roger Warin, dit Wybot, chargé de procéder à l’interrogatoire préliminaire de tous les volontaires, démasquer les éventuels agents ennemis et d’orienter les autres vers les sections où ils seraient employés avec le maximum d’efficacité. A partir du printemps 1942, Wybot entreprit de créer sur le terrain un réseau de contre-espionnage, chargé de rechercher à la fois les agents ennemis et les sympathisants de la France Libre.
« Chef incontesté du BCRA » (Albertelli) - dont, après la guerre, de Gaulle confiera à Claude Guy que l’on ne pouvait nier « les titres à la reconnaissance du pays » - Passy avait à compter avec une équipe qui ne comptait pas que des exécutants dociles : l’ombrageux Manuel, l’ambitieux Wybot étaient d’abord difficile. De nouvelles recrues apparurent : Jean Labaume, Tony Mella, Bruno Larat, Fred Scamaroni, Stéphane Hessel. Au sein de la France Libre, l’offensive contre Passy était relayée par des cercles de plus en plus influents : on lui prêtait des sentiments antidémocratiques et un tempérament de conspirateur, et certains demandaient sa tête au Général. Mais celui-ci, parfaitement lucide sur les ressorts secrets de son adjoint, n’approuvait pas ces attaques : « Il exerce un métier extrêmement difficile, disait-il au vice-amiral Ortoli, nouveau chef de son état-major particulier, et, comme vous le savez, il est attaqué par des moyens pas toujours très honnêtes. Attaqué, il se défend avec ses armes à lui, et les armes d’un service comme le sien ne sont pas toujours immaculées. » Les conflits internes furent bientôt résolus par l’arrivée à l’état-major du Général de Pierre Billotte, qui exercera désormais un contrôle sur les activités du BCRA, en établissant des liens de confiance avec Passy.
Dès l’été 1942, le BCRA s’impose définitivement comme « une administration incontournable de l’Etat gaulliste » (Albertelli), sous la direction du commissaire national à l’Intérieur (Diethelm, puis Philip) ; doté de deux adjoints de très haut niveau (dont le courage à toute épreuve les conduira au suicide patriotique), Bingen et Brossolette, Passy se consacra à résoudre le problème inquiétant du sous-effectif chronique qui diminuait la crédibilité du service aux yeux des Britanniques. Pour cela, il lui fallait lutter non seulement contre l’hostilité de certains dirigeants du mouvement (Muselier), mais tenter de convaincre de Gaulle que l’action clandestine en France était une pièce maîtresse de sa politique, dans la perspective des futurs débarquements alliés : « Il y a mieux à faire en France que du renseignement », expliquait dès octobre 1941 le capitaine Sémidéi (Servais), chef de l’action en France.

« Une compétition acharnée »

Le plus difficile fut d’établir le contact avec les mouvements de résistance – tâche qui devait être confiée à Jean Moulin, dont l’arrivée à Londres constitue « un événement majeur pour le SR » (Albertelli). Dans ce dispositif, Rémy et sa Confrérie Notre-Dame étaient appelés à jouer un rôle essentiel. Venant de l’extrême-droite monarchiste, il avait beaucoup évolué, accordant une importance croissante aux syndicalistes et aux communistes, dont il appréciait l’organisation, la discipline, l’efficacité. Tout en défendant bec et ongles son territoire contre les prétentions et les intrigues des Britanniques et des Américains, encore accrues après le débarquement en Afrique du Nord, le BCRA devait également résister aux manœuvres des services giraudistes, dirigés par le colonel Ronin, ancien chef du SR-Air de Vichy, qu’assistaient le colonel Rivet et le commandant Paillole, qui s’ingéniaient à reconstituer les services secrets de Vichy à Alger. Sébastien Albertelli retrace les principales étapes de la « compétition acharnée » qui s’engage entre services gaullistes et service giraudistes et qui, à elle seule, mériterait une étude encore plus détaillée.
En même temps, la perspective d’un prochain débarquement en métropole (prévu pour le printemps 1943) imposait la nécessité de renforcer les liens avec la Résistance intérieure, « l’un des derniers gages de légitimité d’essence démocratique dont de Gaulle pouvait se prévaloir ». Brossolette et Passy se rendent en France pour mettre sur pied un « Comité de coordination militaire », mais la mission Arquebuse-Brumaire soulève de vifs débats à Londres, dans un contexte particulièrement difficile pour le BCRA de plus en plus décrié, cible désormais privilégiée pour les antigaullistes de tous bords et aussi pour les chefs des mouvements, dont le plus virulent est incontestablement Henri Frenay. Les désastres de juin 1943 (arrestation du général Delestraint, de Moulin et des principaux chefs de l’Armée secrète) et l’écartèlement géographique entre Londres et Alger posent le problème de l’unification des services et du contrôle de l’action en France : « Le BCRA est chancelant, écrit Passy à André Pélabon, chef de la section du BCRA en AFN. Beaucoup de crises intérieures. Chacun veut faire sa petite politique. (…) Ici, personne ne commande plus. (…) Je suis assez dégoûté de ce boulot et aimerais bien aller prendre une unité. »
Passy n’a plus le moral : il supporte mal les querelles entre ses deux principaux adjoints (Bingen et Brossolette, qui s’accusent mutuellement de vouloir gouverner en s’abritant derrière l’autorité d’Emile Bollaert, successeur de Moulin à la Délégation générale en France) ; il s’inquiète des succès remportés par la Gestapo dans la traque des réseaux et se demande quel sort les nouvelles autorités d’Alger réserve nt au BCRA. Sur ce dernier point, il est déçu par les deux décisions prises à Alger le 4 octobre 1943 : la création du Comité d’action en France (COMIDAC) et la création du Service de renseignement et d’action (SRA), confié au général Gabriel Cochet, dont les pouvoirs étaient étendus. Du coup, Passy demande à de Gaulle sa mutation dans une unité combattante, tout en engageant contre Cochet un combat où il reçoit le soutien de Billotte et Pélabon : « BCRA versus Cochet », écrit Albertelli. Passy dénonce l’amateurisme de son nouveau chef, son manque de ferveur gaulliste, son entourage discutable (« un ramassis extraordinaire d’officiers souvent intelligents mais rarement impeccables »). Cochet réplique en demandant à de Gaulle de choisir entre Passy et lui : il n’a pas gain de cause. En novembre, de Gaulle tranche : le BCRA, désormais dirigé par Jacques Soutelle, dont Passy est l’adjoint, échappe au démembrement et à la mise sous tutelle.

« Une étape décisive »

Ainsi l’automne 1943 marque non seulement « une étape décisive », comme l’écrit Albertelli, mais une véritable refondation des services spéciaux gaullistes : il se mue en une vaste administration où l’amalgame entre gaullistes et giraudistes s’effectue sans trop de heurts sous direction gaulliste. Passy, certes, s’effaçait, mais n’était-ce pas ce qu’il avait souhaité pour lui-même ? L’important, à ses yeux, était qu’à la veille des débarquements en métropole, ses vues triomphent. Directeur des services spéciaux au sein de la nouvelle Direction générale des Services spéciaux (DGSS), il continuait de diriger et de coordonner les activités de renseignement, d’action et de contre-espionnage. Un grave conflit avec François d’Astier de La Vigerie, délégué militaire du COMIDAC, et son frère Emmanuel, nouveau commissaire à l’Intérieur, entraîne sa nomination à la tête de l’Etat-major des forces de l’Intérieur et de la Liaison administrative (EMFILA), sous les ordres de Koenig. Il ne s’entendra pas mieux avec ce dernier et finira par quitter le BCRA – avant sa nomination à la tête de la DGER (ex-DGSS) en mai 1945.
« Pour Passy, écrit Sébastien Albertelli, préparer l’avenir consistait à donner à la France le service de renseignement dont elle avait besoin en s’inspirant du modèle de l’Intelligence Service et en mettant à profit l’expérience acquise dans le cadre du BCRA. Moins que des techniques nouvelles, ce sont deux principes d’organisation qu’il retenait de cette expérience. le premier était celui de l’unité des services. (…) Le second principe sur lequel Passy insistait était celui d’un rattachement des services secrets au pouvoir politique. » Le premier imposait une direction unique ; le second, la mise sur pied d’une « agence d’informations extérieures et de contre-espionnage » rattachée directement au gouvernement et non à un ministère particulier. Il fut entendu : le 28 décembre 1945 le conseil des ministres adopta un décret créant le Service de documentation extérieure et de contre-espionnage (SDECE), dont Passy prit la direction – pour quelques semaines, car il quitta ses fonctions un mois après le départ du Général. Mais ceci est une autre histoire.
Au terme de son volumineux ouvrage, où il ne laisse dans l’ombre aucun aspect d’une histoire complexe et mouvementée, Sébastien Albertelli ne peut que confirmer le rôle capital joué par le BCRA dans l’édification d’un véritable Etat, s’appuyant sur une administration solide. Sans rien dissimuler des ambiguïtés de son chef, il fait justice de l’accusation d’avoir édifié un « Etat dans l’Etat », même si certains responsables des services secrets ne résistèrent pas à la tentation d’influer sur le cours de la politique conduite par de Gaulle. Cette histoire qu’il est aventureux de résumer en une simple recension, tant elle abonde en anecdotes et en péripéties, ne peut être séparée de l’histoire de la France Libre, dont nul ne peut nier que, sans le BCRA, elle eût été tout à fait différente.

* Sébastien Albertelli, Les Services secrets du général de Gaulle, le BCRA, 1940-1944, Perrin, 617 pages, 28 euros.

 

 

 



18/01/2012
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