ATHENA-DEFENSE

ATHENA-DEFENSE

Des Soldats, des soldats encore des soldats..

Des soldats, des soldats et encore des soldats

 
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 Un article publié par la Voie de l'épée.. http://lavoiedelepee.blogspot.fr/

 

Alors qu’un journaliste lui demandait ce qu’il fallait pour gagner la guerre en Corée, un soldat américain répondit : « Des Marines, des Marines et encore des Marines ». S’il y a bien une leçon militaire à tirer de l’opération Sangaris en Centrafrique c’est que, pour des raisons opérationnelles, il nous faut plus de marsouins, légionnaires ou chasseurs (et autres bons soldats) que nous n’en avons actuellement, et non plutôt moins comme on cherche à nous le faire croire depuis des années, pour des raisons d’économies budgétaires qui n’ont jamais eu lieu. Dès lors qu’il s’agit de contrôler une zone, de gérer une crise, de traquer des ennemis incrustés dans un milieu complexe, on n’a encore rien trouvé de mieux que de disposer en nombre de ce merveilleux système d’arme d’une rare polyvalence qu’on appelle le fantassin.

 

Je fais partie de ceux qui ont cru effectivement qu’un engagement limité de 1 600 hommes pourrait suffire à rétablir la sécurité à Bangui, mais je ne suis qu’un « pseudo-expert-auto-proclamé » (expression désormais consacrée désignant tout citoyen qui donne un avis sur l’emploi de la force publique et qui peut s’étendre facilement à d’autres champs). Je me fondais sur mon expérience personnelle du théâtre et l’idée que la Seleka n’était visiblement pas une force capable de nous résister. J’ai compris tout de suite mon erreur en apprenant que contre toute logique militaire sinon diplomatique, il n’était pas question d’affronter la Seleka mais de désarmer les milices locales. Cela changeait tout car, selon un paradoxe qui n’est qu’apparent, moins on veut employer la force et plus il faut être fort afin de s’imposer à tous en même temps.

 

Dans ces conditions il était évident dès le départ que 1 600 hommes, même accompagnés de 4 000 soldats africains, seraient insuffisants pour contrôler une ville de plus d’un million d’habitants, sans même parler du reste du pays. Une opération de stabilisation suppose non pas un engagement en fonction d’un moindre coût politique et financier espéré mais en fonction de la superficie, de la population à contrôler/sécuriser et du degré de violence atteint sur place. Empiriquement, en tenant compte des expériences passées, cela imposait d’engager entre 5 000 et 10 000 soldats français et à peu près autant d’autres nationalités (à qui il aurait sans doute fallu fournir un soutien matériel).

 

Oui mais voilà, contrairement à la France des années 1920 ou des années 1940 pourtant épuisée mais qui engageait 100 000 soldats professionnels au Maroc puis en Indochine, la France du XXIe siècle, pourtant jamais aussi peuplée et aussi riche, n’est visiblement plus capable d’un tel effort. Si nous ne déployons pas 10 000 hommes, c’est avant tout parce que nous sommes incapables de les engager ou au moins incapables de les relever, car, et c’est là aussi une constante historique, on n’obtient pas une normalisation de la situation dans un Etat implosé en six mois. En d’autres termes, la France n’est pas plus capable de mener seule une opération de stabilisation d’une certaine ampleur qu’elle ne semble capable d’affronter seule des armées étatiques mêmes plutôt modestes (l’armée syrienne ou même l’armée de Kadhafi) et le succès de l’opération Servalau Mali ne doit pas faire oublier que nous n’y avons affronté que l’équivalent d’une brigade d’infanterie légère. Que ce serait-il passé si les effectifs ennemis s’étaient élevés à simplement 10 000 combattants ?

 

Force est d’admettre désormais que la gestion depuis vingt ans de notre outil de défense et plus particulièrement de ses ressources humaines est un désastre. Au nom des dividendes de la paix, de la professionnalisation, du « dégraissage » de la fonction publique, du sauvetage des grands programmes industriels puis des seules finances publiques, nous avons taillé dans les effectifs militaires à tour de bras. Pour la seule décennie 2008-2018, nous sommes ainsi en train de supprimer 80 000 postes dans la défense, soit un peu moins du cinquième du volume initial, après en avoir supprimé 125 000 dans la décennie précédente (15 000 postes de cadres supprimés et 200 000 appelés remplacés par un surcroît de seulement 90 000 militaires du rang professionnels et de civils). Quand je suis devenu sous-officier en 1983, 575 000 Français servaient dans les armées et services. Ils ne devraient plus y en avoir que 242 000 en 2019, soit une perte moyenne d’un peu plus de 9 000 postes par an (l'équivalent d'un site de Florange chaque mois). A ce rythme, l’armée française aura cessé d’exister en 2045. Si le ministère de l’éducation avait été soumis au même régime, c’est 600 000 postes qui y auraient été supprimés.

 

Comme le budget a été gelé en valeur constante depuis 1991 (alors que les dépenses de l’Etat ont augmenté de 80 % depuis cette époque), on pourrait considérer, en termes économiques, que ces pertes humaines ont été compensées par du Travail plus qualifié (les soldats professionnels) et surtout du Capital (des équipements plus performants) et qu’au bilan, l’outil militaire d’aujourd’hui est plus « productif » qu’il y a vingt ans. Cela n’est même pas sûr.

 

En premier lieu, bien plus que dans les autres ministères où le budget de fonctionnement est largement prédominant, le budget de la défense comprend une forte part d’achats d’équipements dont le nombre reste quand même lié au nombre d’utilisateurs potentiels. Sacrifier ceux qui utilisent les équipements pour aider ceux qui les fabriquent (argument du Livre blanc de 2008) équivaut à saigner un vampire pour étancher sa soif. Lorsqu’on réduit une organisation de moitié ou des deux-tiers, le marché qu’elle représente n’est souvent plus suffisant pour assurer la simple survie. De fait, l’industrie de défense est réduite à de l’artisanat (comment appeler cela lorsqu’on ne fabrique plus qu’un seul avion de chasse par mois ?) et/ou condamnée à exporter environ deux-tiers de sa production. On connaît la suite : explosion des coûts unitaires, emploi direct des préséries avec leurs défauts, maintien en service de matériels anciens à l’entretien coûteux, incapacité à investir massivement dans autres choses que les programmes lancés dans les années 1980 (dans les drones ou les hélicoptères lourds par exemple). Au bilan, la seule armée de terre dispose en 2014 de deux fois moins d’hélicoptères et de quatre fois moins de chars que celle de 1991. Et encore, il ne s’agit là que d’ordres de bataille. Si on tient compte de la disponibilité des équipements, très supérieure en 1991, l’écart est encore plus important. La quantité est une qualité en soi et il n’est finalement pas évident que l’armée de terre de 2014, même entièrement professionnalisée et partiellement rééquipée, serait capable de vaincre celle de 1991, trois fois plus nombreuse. L’armée de terre de 2014 est simplement un peu plus projetable que celle de 1991 et encore cela cela est de moins en moins vrai. Le nombre de soldats projetables devrait en effet bientôt atteindre celui d’avant la professionnalisation complète.

 

Un deuxième aspect, toujours négligé par les comptables qui ont présidé à la révision générale des politiques publiques (RGPP), est qu’une organisation humaine est par définition vivante et les trois armées, qui comptent deux-tiers de personnel en CDD (contre 15 % pour l’ensemble de la fonction publique d’Etat, FPE) avec une moyenne d’âge de 31 ans (pour 41 dans l’ensemble de la FPE) et un mouvement annuel moyen d’environ 17 000 entrées pour 21 000 sorties est encore plus « vivante » que les autres ministères. De fait, les armées fonctionnent sur le volontariat. Que le métier des armes soit moins attractif et le volume des volontaires au recrutement diminue et donc aussi le taux de sélection puis la qualité moyenne des recrues. Peut-être pire encore, les rengagements sont également moins nombreux et la durée moyenne des services diminue et avec elle la somme des expériences et des compétences. Il y a donc un lien direct et beaucoup plus fort qu’ailleurs entre l’attractivité du métier et le capital humain.

 

Or, cette attractivité diminue depuis plusieurs années et en premier lieu par le seul fait des réformes. Dans un premier temps, on a tenté de préserver les unités de combat en « rationalisant » leur soutien, c’est-à-dire concrètement en le réduisant et en l’éloignant des forces. Le résultat a été une désorganisation, une rigidification et une plus grande fragilité. Les armées ne fonctionnent pas comme les autres ministères, elles doivent par définition faire face à des ennemis et à des situations imprévues avec de fortes amplitudes d’action, ce qui est de fait incompatibles avec un système bureaucratique « normal ». En créant les bases de défense et en réduisant les moyens des différentes fonctions de soutien on s’est rendu plus vulnérable à la surprise. L’engagement de l’opération Serval, qui ne concernait que quelques milliers d’hommes, s’est effectué dans un désordre nettement plus grand que ce qui aurait été le cas quelques années plus tôt. Il est fort à parier qu’un engagement plus important engendrerait la même pagaille que dans l’armée israélienne en juillet 2006 lorsqu’elle s’est engagée contre le Hezbollah ou que dans l’armée du Second Empire en 1870, deux armées ayant adopté le même type d’organisation du soutien. Pire, la première surprise grave est venue de l’intérieur, avec l’incapacité soudaine de l’institution à payer correctement ses propres membres. La gestion de ce seul « cygne noir » a semble-t-il suffit à dévorer les quelques gains espérés par la déflation des effectifs. A l'instar des grands managers réduisant le personnel de leur entreprise pour augmenter les profits des actionnaires (et leurs stocks options), nos hauts-fonctionnaires, dont on notera qu'ils sont payés par un système particulier et opaque, s'en sortent eux plutôt bien. Le principal réformateur de la fonction ressources humaines du ministère et grand promoteur du désastreux logiciel Louvois a même été élu manager public de l'année 2011.

 

Avec la mainmise croissante des technocrates (y compris en uniformes) sur les militaires au sein du ministère, la guérilla permanente de Bercy, le rognage permanent sur les conditions de vie et d’entraînement, la réglementation croissante et pénible, tout semble plus difficile à faire en garnison métropolitaine. La vraie respiration des soldats est en opérations extérieures où ils sont libérés de toutes ses contraintes et lourdeurs administratives (mais d’autres contraintes peuvent survenir si la mission n’est ni claire ni même possible).

 

Nous voici-donc entrés dans une spirale de démoralisation avec les coûts humains et financiers que cela comporte (augmentation des accidents, mauvaise gestion de matériels qui ne sont pas les siens, etc.). Dans une structure où un seul fantassin équipé dispose sur lui de quoi tuer des centaines de personnes, la dégradation de ce capital humain peut aussi avoir des conséquences tragiques et stratégiques. Cette implosion humaine se conjugue donc avec l’implosion matérielle, qu’elle nourrit par ailleurs. Dans un contexte général du « fort au faible », le point Omega de cette évolution n’est sans doute pas la capitulation sur un champ de bataille à l’extérieur face à un ennemi mais en métropole dans ce que certains qualifient déjà de « mai 1940 administratif » et qui consacrera la fin de la France en tant que puissance.

 

A moins d’accepter à court terme de nouvelles mauvaises surprises et à long terme l’extinction de notre outil militaire, celui-là même qui a protégé la France pendant des siècles, il est urgent, comme dans les années 1930, d’inverser les équations et de comprendre qu’un sauvetage de notre outil de défense n’est pas incompatible avec la rigueur budgétaire, voire même qu’au-delà de l’effort initial désormais indispensable, il peut contribuer à rétablir les finances publiques. Le 3e New deal (essentiellement militaire) de 1937, a sauvé l’économie américaine avant de contribuer à vaincre le totalitarisme nazi et japonais. La relance militaire du début des années 1980 a également jeté les bases des innovations dont profitent encore les entreprises américaines et la société entière tout en contribuant là-aussi à l’effondrement de l’URSS. L’effort de défense est aussi celui dont le « multiplicateur » économique, il est vrai toujours difficile à mesurer, est sans doute le plus efficace parmi tous les ministères car il influence directement à la fois notre industrie (dans des secteurs peu délocalisables) et l’emploi en constituant par ailleurs le meilleur système de formation professionnelle pour adultes.

 

Il est urgent d’honorer une fois pour toutes nos commandes industrielles et de remplacer de la sorte nos équipements les plus anciens. Cette dépense à court terme sera ainsi paradoxalement une source d’économies à long terme. Il est tout aussi urgent d’arrêter de « déconstruire » nos unités de combat et de reconstituer la cohérence et la plénitude des commandements, de retirer tous ces fils qui lient nos régiments-Gulliver, bref de rétablir toutes ces choses empiriques et non comptables qui font que les armées sont efficaces. Des soldats bien formés et heureux de servir restent encore la meilleure source d’économies autant que le principal instrument de puissance de la nation.

 

Il faut simplement pour cela refuser le déclin et l’abandon de souveraineté. Un soupçon de gaullisme devrait suffire. 

Publié par à 2/21/2014 

 

Que des évidences sur lesquelles nous sommes en accord, mais cela est en quelque sorte validé par Michel Goya.. Alors.. R.PI

 



25/02/2014
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