Kafka ou les silences de la grande muette. Une lettre d’un caporal chef ordinaire.
Quelle que soit l'appréciation que l'on peut avoir de cette histoire, force est de constater que les droits ne peuvent être que difficilement défendus au profit des plus démunis devant les arcanes de l'administration. Les chances pour obtenir ne serait-ce qu'une réponse sont infimes, de la part d'un système qui n'est plus depuis longtemps au service des hommes mais fait pour protéger une administration incapable de gérer les réalités de drames personnels. Les approches sont des approches uniquement juridiques et comptables. C'est un fait. Question, si cet accident était arrivé au fils d'un haut gradé, la réactivité aurait-elle été la même? La question est ouverte.
« L’armée nous dit tout le temps qu’elle s’occupe de ses hommes quoi qu’il arrive, mais c’est écrit en petit caractère car ça dépend de la situation.
Le dimanche 14 novembre 2010, de retour d’un quartier libre, j’ai fait une chute dans l’enceinte de mon régiment (le 68° Régiment d’Artillerie d’Afrique à La Valbonne ). Des séquelles sont rapidement apparues car je ne pouvais plus marcher, et une grosse boule dans le dos était apparue. Le service médical de la garnison m’a rapidement emmené aux urgence de l’hôpital militaire DESGENETTE à Lyon. Après avoir subi tout les examens, j’ai eu comme conclusion une compression de la moelle épinière.
Suite au résultat, il a fallu me sectionner 4 vertèbres pour évacuer le sang et tenter de réparer les dégâts.
Je suis resté deux semaines sans arriver à réfléchir après l’arrêt de la morphine, puis j’ai décidé de connaître ma position en service, et m’informer sur les démarches pour faire reconnaître mon accident de service. Après avoir vu plusieurs interlocuteurs, j’ai finalement eu un entretien avec la juriste, qui m’a informé que j’aurai du faire un compte rendu dans les 24 heures suite à l’accident pour que je puisse faire la demande de reconnaissance. Il est bien difficile d’écrire (car l’armée reste arriéré, et donc refuse les compte rendu tapé), en sortant de plusieurs heures d’opération, sous morphine et avec la pensée que mes jambes ne bougeaient plus et le souci que ça me causait, de faire un compte rendu des événements concernant ma chute. Après avoir lutté contre la mauvaise foi de la juriste, avec mon représentant des militaires du rang, le motif du retard du CR à été accepté.
Cette fois ci, une autre excuse était invoquée : je n’avais rien à faire un dimanche soir au régiment. Pourtant les textes militaires expliquent bien que si le militaire habite à plus de 150 KM du régiment, l’armée doit pouvoir lui fournir un couchage pour être présent les matins. Il était donc naturel que je me présente un dimanche soir au régiment, car j’habitais à plus de 150 KM, et ceci afin d’être présent le lundi matin pour l’appel de 07 H 30. La encore, la juriste n’a rien lâché, je ne devais pas être présent, un point c’est tout.
Puis j’ai découvert que je devais partir en reconversion, alors que mon contrat était loin d’être fini. Les personnes bien placées au chaud dans les bureaux m’ont annoncé que j’étais réformé car je n’étais plus en mesure de remplir mon premier métier qui était soldat (en fauteuil, ça fait tache). Mais pour pouvoir être réformé médicalement, je devais passer devant un conseil de médecins, hors je n’en ai vu aucun, J’ai ensuite reçu notification que ces mêmes médecins n’avaient trouvé aucune séquelle de mon accident.
J’ai décidé de demander mon dossier pour savoir qui « m’avait vu en consultation ». C’est a ce moment la que je me suis encore heurté à un mur, l’accès à mon dossier m’a été refusé. J’ai donc pris une avocate, et la réponse de l’armée à été que le dossier avait été envoyé à Bordeaux et était introuvable.
En parallèle, j’ai fait appel à d’autres organismes comme l’aide aux blessés de l’armée de terre (la CABAT). Vu qu’en 2010 la France était en pleine guerre d’Afghanistan, la CABAT a fait traîner mon dossier pour me dire au final que mon cas n’était pas une priorité face aux blessés de guerre, et donc que mon dossier était remisé au fond de la pile.
Face à une telle machine, mes moyens financiers à sec, j’ai fini par abandonner.
C’est en 2013 que j’ai reçu un appel d’un général travaillant avec l’association « Qui ose gagne » et qui avait eu vent de mon dossier, Il a réussi à faire réapparaître mon dossier et demander une nouvelle expertise.
L’expertise a eu lieu auprès d’un médecin indépendant de l’armée à Grenoble. Sa conclusion a été remise en aout 2013 à l’armée. Depuis c’est silence radio. Quand j’appelle le médecin, il me dit que ses conclusions seront connues quand l’état les aura vues, mais l’état ne répond pas.
A ce jour, l’armée n’a toujours pas rendu de verdict sur mon dossier, ne me verse aucune pension d’invalidité, bien que mon invalidité ait été constaté dans le civil à 80% et plus.
La télé a montré un reportage sur les blessés de guerre. Plus de 75% sont reclassés dans les bureaux, alors que 25% quittent l’institution. Mais les 75% sont des gradés qui ne peuvent pas être virés, et donc l’armée est obligée de les reclasser. Les 25% sont pour la plupart des militaires du rang, tout comme moi, qui se retrouvent face à une armée qui regarde ses sous, et qui ne tient pas sa promesse lorsqu’elle annonce qu’elle est une belle et grande « famille » où les uns et les autres se protègent et se soutiennent.
Voilà mon histoire, celle d’un caporal-chef qui avait 8 ans de service, mais qui n’est pas le seul à être dans cette situation. Il y a d’autres soldats qui sont dans le même cas que moi, mais que l’armée cache.
David Dufaug
http://www.armee-media.com/2014/01/17/temoignage-dun-caporal-chef-sur-cette-armee-qui-abandonne-ses-blesses-par-david-dufaug/
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