ATHENA-DEFENSE

ATHENA-DEFENSE

L’armistice franco-allemand et la survie de l’état de guerre (juin 1940)

Renouveler l’histoire de 1940 

 

Suite de l'article précédent intitulé Première partie : la débâcle de mai

https://www.athena-vostok.com/la-debacle-de-mai

 

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David Cameron a surpris le 18 juin 2010 lorsque, répondant à Londres au discours commémoratif de Nicolas Sarkozy, il a révélé que son arrière-grand-oncle, le ministre de l’Information Duff Cooper, avait été le plus ferme soutien du général de Gaulle en la même ville soixante-dix ans plus tôt, devant un cabinet fort divisé à son sujet : http://www.youtube.com/watch?v=Vcq3VEVxlGw .

Pourtant, Halifax était revenu à la charge de la plus dévastatrice manière, d’une part le 17 juin, en faisant dire par son adjoint Butler à l’ambassadeur suédois Bjorn Prytz qu’une majorité existait à Londres en faveur d’une paix raisonnable http://www.delpla.org/article.php3?id_article=102 , d’autre part le 18 en décidant le cabinet, lors d’une absence de Churchill, à prendre contact avec Franco pour lui faire miroiter la cession de Gibraltar s’il s’abstenait d’entrer en guerre –une démarche torpillée aussitôt par Churchill mais la tentative avait été renouvelée lors de son absence suivante, le 26[1] !

La solitude de Churchill dans son choix de résistance (Cooper étant effectivement son ministre le plus antinazi) est confirmée par l’absence, à la fin de juin 1940, de tout encouragement des futurs « deux Grands ». Le fait que Staline, englué dans le pacte germano-soviétique, ne soit guère en mesure, l’aurait-il voulu, d’encourager Churchill à tenir bon, est relativement connu. Beaucoup moins le silence de Roosevelt. Sa célèbre correspondance personnelle avec Churchill, commencée au début de la guerre (et communiquée aux autres membres du cabinet de guerre britannique), s’interrompt brutalement le 15 juin et ne reprend, du côté américain, que le 13 août.

Ainsi s’explique en partie le rapport des forces, dans l’Hexagone, entre les partisans de Pétain et les premiers gaullistes. Sur la question de la continuation de la guerre, de Gaulle est sur la même longueur d’ondes que Churchill, Cooper et peu d’autres dirigeants sur la planète. Tous trois mesurent la portée d’une paix signée avec une telle dictature, en un pareil moment : l’anéantissement définitif de la puissance française et une compromission ternissant à jamais le drapeau britannique. Ils font en quelque sorte un pari mystique : le cauchemar va se dissiper si nous tenons bon… et s’il ne se dissipe pas, autant mourir.

Mais Halifax ne l’entend pas de cette oreille. Tout aussi froid devant la mystique gaullienne que devant la foi churchillienne, il rembarre Duff Cooper le 18 juin vers midi trente, lors de la réunion du cabinet à laquelle Churchill n’assiste pas, et fait décider que de Gaulle ne parlera pas à la BBC. Mais Cooper, faisant équipe avec de Gaulle et le député conservateur Edward Spears, revient à la charge dans l’après-midi et la soirée. Finalement, de Gaulle parle mais son texte a été sévèrement altéré. D’où une bataille autour de la publication de ce texte… dont la version définitive date du début d’août ! Et la tendance des gaullistes à lui substituer une fameuse affiche, qui seule dit à Pétain leur façon de penser (le rejet radical, et de son armistice, et de son gouvernement), et apparaît elle-même en août.

Le Reich hitlérien, conforté par une paix générale en mai ou juin 1940 pour peu, par exemple, que Chamberlain ait gouverné dix jours de plus, n’aurait peut-être pas duré mille ans. Mais il aurait dominé durablement le continent européen, en aurait transféré la population juive à Madagascar pour un génocide lent à l’abri des regards, aurait prolongé la période coloniale en la colorant d’une idéologie raciste extrême, et très vraisemblablement abrégé les jours du communisme non viable instauré en Russie. Le monde serait aujourd’hui bien différent… même, si, tel qu’il est, il garde du nazisme d’amples stigmates.

 

 

                                                                         François Delpla

 

 

 

Pour aller plus loin :

 

 

Ces analyses sont développées dans trois livres de l’auteur de cet article, en sus des deux cités dans les notes :

 

L’Appel du 18 juin 1940, Grasset, 2000.

Petit dictionnaire énervé de la Seconde guerre mondiale, Paris, L’Opportun, 2010.

Mers el-Kébir, 3 juillet 1940 : l’Angleterre rentre en guerre, Paris, De Guibert, 2010.

 

 

Et sur son site : http://www.delpla.org

 

Un historien américain d’origine hongroise, John Lukacs, a exprimé dès 1973 des vues pionnières sur le talent de Hitler et le verrou churchillien. La version française de son dernier livre, qui résume tout son travail, The Legacy of the Second World War (Yale University Press, mars 2010), est parue en français en 2011.

En revanche, le livre d’Ian Kershaw Fateful Choices/ Ten Decisions That Changed the World, 1940-1941 (2007; version française : Choix fatidiques. Dix décisions qui ont changé le monde, 1940-1941, Paris, Seuil, 2009), présente une interprétation bâtarde de la crise du cabinet britannique, à mi-chemin des mémoires de Churchill et de leur révision scientifique, en présentant un Halifax qui s’incline sportivement devant la logique des arguments du premier ministre.

 



[1] Cf. Delpla (François), Churchill et Hitler, Paris, Le Rocher, 2012, p. 256. Là encore, le message s’adresse à Berlin –dont Madrid est alors le très humble valet et l’informateur régulier, pour qu’on y sache qu’il existe à Londres des gens « raisonnables ».



09/04/2015
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