ATHENA-DEFENSE

ATHENA-DEFENSE

Le renseignement derrière le rideau de fer

Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, sur  le  seul  territoire de la RDA, ex-zone d’occupation soviétique, d’une superficie de 108000 km2 soit 1/5 de la France, étaient concentrées 5 armées soviétiques à 4 ou 5 divisions chacune et 1 armée aérienne. Cela équivalait à un ensemble stratégique et tactique dépassant l’imagination. Directement issue des forces engagées lors de seconde guerre mondiale, le GFSA (groupement des forces soviétiques en Allemagne) puis le GFO (groupement des forces Ouest) fût constamment modernisé et fut considéré comme prioritaires en terme d’effectif,  d’équipement  et de logistique par le Kremlin.  

 Il faut se rappeler que 12 janvier 1945 les Soviétiques lancent une offensive massive avec 4 Fronts ( le front est un groupe de plusieurs armées), 3 fronts biélorusses commandés par les maréchaux Tcherniakovski, Rokossovski et Joukov et 1 front ukrainien dirigé par le maréchal Koniev, Staline joue la compétition entre ses maréchaux. En 10 jours la Wehrmacht est pulvérisée. Le 25 avril 1945 les forces américaines et soviétiques se rejoignent sur l’Elbe à Torgau par ailleurs centre de la célèbre cour martiale la  Reichskriegsgericht qui envoya de 1943 à 1945  au poteau d’exécution ou à la pendaison plus de 1000 condamnés à mort. Hitler fête ses 56 ans le 20 avril, le 30 avril 1945 le drapeau rouge flotte sur le reichstag, le 30 avril le fûhrer se suicide… une page atroce et sanglante se tourne.

 

Le 5 mars 1946 lors du discours de Fulton, initié par  Truman qui désire réarmer les démocraties occidentales, Churchill prononcera cette célèbre phrase : «De Stettin sur la Baltique à Trieste sur l'Adriatique, un rideau de fer s'est abattu sur le continent.. » Nos alliés soviétiques sont devenus désormais une menace sur l’occident la compétition et l’affrontement occident-monde soviétique durera jusqu’à nos jours et les répliques en sont encore d’actualités.

Très vite le besoin en renseignement et notamment en zone d’occupation soviétique devient essentiel, Berlin et son statut particulier sera l’abcès de fixation d’une Europe qui se reconstruit, partagé entre deux systèmes radicalement différents et opposés. La guerre froide ne se démentira pas jusqu’à la chute de l’empire soviétique des années 90. 

 

Le CRA (centre de renseignement avancé) de Baden où se situe l’Etat Major du 2° Corps d’armée français et du commandement des forces françaises en Allemagne est chargé de suivre l’évolution des forces en RDA, la MMFL (mission militaire française de liaison près du haut commandement soviétique en Allemagne) est son principal organe de recherche humaine au-delà du rideau de fer. Chaque mouvement important des troupes est observé et analysé. L’arrivée des nouveaux matériels, chars, avions, hélicoptères, shelter électroniques, lanceurs nucléaire et chimique est suivi à partir des principaux axes de pénétration venant d’URSS (voie ferrée et ports). Les casernes (objectifs) sont localisées, les sites de bivouac sont répertoriés, les opérations dites de relève (la relève du contingent à lieu tous les 6 mois par quart des effectifs) sont surveillés à partir des principaux aéroports militaires soviétiques de RDA, les trains (trains de relève) sont décomptés, l’instruction des troupes fraîches est  regardée de très près. Dans les convois le décompte des matériels inclus l’identification des plaques d’immatriculation, ainsi certaines unités sont connues parfaitement et le recoupement des observations permet la reconstitution fine de l’ODB ( ordre de bataille).   Les axes de pénétration vers l’ouest sont identifiés préfigurant ainsi une manœuvre d’invasion vers l’ouest. Au profit de la FATAC (Forces aériennes tactiques et des FAS (Forces aériennes stratégiques)  les sites radars et sol-air sont suivis, les matériels radars identifiés, évalués, paramètrés, les aérodromes de desserrement son contrôlés y compris certaines portions d’autoroutes. Cette recherche constante du renseignement au niveau français est complémentaire de celles réalisées par nos alliés des Missions de liaison (US et Britanniques en RDA) et Otan en RFA.

 

Les moyens techniques (stations d’écoutes appartenant aux armées mais aussi à la DGSE), à partir de Berlin et du rideau de fer en Allemagne, écoutent et analysent les réseaux radios et les signaux électroniques Soviétiques, Est-allemands et Tchèques. Deux régiments spécialisés de Contre mesure électronique et d’écoutes, le 44°RT et le 54° RT orientent leurs antennes vers l’Est. Il est faux de dire que les alliés ont une vision erronée de la menace, il est plus exact de penser que certains chiffres sont plus mis en valeur que d’autres et notamment lors du vote du budget de la défense aux Etats-Unis, afin de renforcer le lobbying du complexe militaro-industriel américain.  Mais ce qui fait la dangerosité de la menace sur « l’échelle de richter » d’un conflit majeur en Europe, ce n’est pas seulement et uniquement le nombre et la qualité de l’arsenal militaire, mais la capacité « moral », le bras armé n’a de valeur que par les hommes qui la servent et la dirigent, le renseignement inclus donc l’évaluation de la volonté politique des dirigeants, et la « santé » des exécutants.

 

Ainsi, dans les années 80 ce sont,  en terme de moyens,  325000 hommes 7000 chars, 8000 véhicules blindés, 3500 pièces d’artillerie,  plus de 1000 lanceurs nucléaires et chimiques dont certains à capacités biologiques,  750 avions – intercepteurs et bombardiers - 400 hélicoptères de transport et d’attaque.

Ces divisions regroupées en GMO (groupe de manœuvre opérationnel) sont à effectifs complets, à structure et équipement guerre. Leur organisation tactique leur confère une autonomie complète an terme de couverture anti-aérienne mobile, d’appui, artillerie, génie franchissement, mobilité et contre-mobilité.


Cet ensemble de RDA est complété par les 5 divisions installées en
Tchécoslovaquie et les 2 en Pologne. Les forces armées Est-Allemandes, quant à
elles,  sont organisées en deux régions militaires à 4 divisions dont deux
blindées et deux mécanisées  avec des réserves en homme et matériels sans
commune mesure avec la réalité d’une menace occidentale. Mais la propagande à
l’Est parle de combat pour la paix et de militarisme uniquement à l’Ouest.

Quelques hommes, par un aléa de l’histoire, les membres des missions militaires
de liaison ont effectué une surveillance de ces forces pendant plus de 40 ans
sans que l’on parle beaucoup de leur action, ce qui était naturel puisqu’ils
travaillaient dans le domaine de la recherche du renseignement, à la fois
technique, tactique et stratégique et que leur action était couverte bien
évidemment par le secret défense. Et pourtant les commandants en chef de chacune
des armées alliées, les services de renseignement évaluaient que  plus de 90
pour cent des informations fiables, portant sur les forces soviétiques en
Allemagne, leur articulation, leur emploi, leur degré de préparation provenaient
de ces Missions.

 

  
Il est nécessaire de s’étendre un instant sur l’histoire de la MMFL, pour mieux comprendre comment était recueilli le renseignement militaire à l’Est. La MMFL est une survivance de l’histoire. Un organisme très particulier. Nous
sommes en 1945,  la France occupe une partie de l’Allemagne de l’Ouest et un
secteur à Berlin. L’Europe est exsangue, la conférence de Yalta a eu lieu du 4
au 11 février 1945, la France n’y est pas conviée, les Etats Unis se méfient
d’un pays dont les élites ont si facilement à leurs yeux abdiqués en 1939, et
puis de Gaulle est un allié difficile à manipuler. Roosevelt ne l’apprécie pas,
seul son conseiller Harry Hopkins mesure avec les diplomates britanniques qu’une
France de nouveau humiliée ne pourra participer efficacement à une stabilisation
de l’Europe. A défaut de fauteuil on offrira donc à la  France un statut de
vainqueur, qui au début ne fût qu’un strapontin. Staline quant à lui, a une
seule préoccupation, celle de protéger son glacis continental. Depuis Napoléon
Bonaparte, personne n’a réussi à atteindre Moscou, mais dans cette guerre,
L’URSS  a déjà 20 millions de morts dont 7 millions de civils  pour une
population de 167 millions d’habitants, à comparer aux 407 000 morts américains
dont quasiment aucun civil, quant à l’Allemagne aujourd’hui encore, elle ne sait
pas qu’elle a perdu dans le conflit qu’elle avait provoqué, 3 millions 250 000
soldats et 3 millions 810 000 civils pour 68 millions d’habitants.


La France participera donc à l’occupation de l’Allemagne, grâce à Churchill, il
faut rendre justice à nos « amis » britanniques, sans leur aide qui ne fut pas désintéressée, nous n’aurions pas eu ce statut de vainqueur.  C’est dans ce
contexte que très vite, il fût d’évidence de maintenir des éléments de liaison entre les
différents commandements Soviétiques, Britanniques, Américains et Français.
C’est ainsi qu’est créée la Mission Militaire Soviétique de Liaison auprès des
forces françaises à Baden, qui est l’équivalent de la Mission Militaire
Française de Liaison près du haut commandement soviétique en Allemagne.
L’accord de 1947 fût baptisé Noiret-Malinine du nom des deux généraux adjoints des commandants en chef respectifs des forces françaises et Soviétiques. 


Cet accord est signé alors que l’URSS radicalise son attitude en Europe orientale et impose par des élections bidons un régime stalinien aux pays sur lesquels il a posé sa botte. L’accord franco-soviétique entre militaires n’est donc pas un accord politique, il n’est d’ailleurs mentionné dans aucun livre d’histoire, il s’agit  simplement d’un accord technique qui a pour but de résoudre plus rapidement les problèmes inhérents à cette fin de guerre sur les territoires occupés, gestion des prisonniers,
rapatriement des morts aux combats, problèmes divers de circulation, échange
d’information. Ce document est rédigé sous la forme de 13 articles. En résumé il fixe et cela est important, le nombre des personnes accréditées à pénétrer en territoire soviétique, 18 pour la France dont le chef de mission, 5 officiers et 12 auxiliaires, c’est ainsi que les sous-officiers prendront place rapidement dans le dispositif lors
de sa montée en puissance.


L’accord précise que les chefs de missions sont accrédités auprès des
commandants en chef des troupes d’occupation des zones correspondantes, et non
pas auprès des représentants politiques ou diplomatiques. Ce qui donnera par la
suite lors de la création de la RDA un statut ne donnant aucun droit aux
autorités politiques de la RDA d’agir sur les membres des missions.
Le lieu d’installation des deux missions est fixé à Baden pour les Soviétiques à Potsdam pour les Français. Le huitième article, le plus important précise que les deux missions auront la possibilité de se déplacer dans chacune des zones d’occupation.

Des laisser-passer identiques en français pour les Russes, en russe pour les
Français seront détenus par les missionnaires lors de leurs déplacements sur
tout le territoire des zones délimitées, conformément aux décisions des alliés
occupant l’Allemagne. Les « courriers » et les agents de liaison auront la possibilité de se déplacer librement entre les deux Etats majors des forces et possèderont la même immunité que celle qui est accordée aux courriers diplomatiques.

Le même accord est reproduit et appliqué dans les mêmes termes entre les
Britanniques et les Soviétiques à l’exclusion du nombre de personnels
accrédités. BRIXMIS, la Mission britannique avec 31 personnes officiers et sous-officiers est de loin la Mission la plus nombreuse.  USMLM la Mission américaine  est
composée de  14 personnes. Les Soviétiques sont donc au nombre de 63 en zone
occidentale, ce qui représente la somme totale des personnels occidentaux
présents dans la zone occupée soviétique, zone qui deviendra par la suite la
République Démocratique Allemande. Les accords sont donc basés sur la stricte réciprocité des mesures, des droits et devoirs concédés. Très vite les accords sont détournés au profit d’une mission qui deviendra prioritaire, le renseignement.

 

A partir des années 60, le durcissement des relations américano-soviétique, le
rideau de fer qui partage l’Europe en deux et la construction du mur de Berlin
en 61 se traduisent par  des dispositifs militaires soviétiques en RDA
renforcés. Le GFSA est devenu le fer de lance d’un dispositif
tactico-stratégique de plus en plus organisé et menaçant face à l’Ouest. Cela
entraîne un besoin en renseignement évident pour les forces alliées, et par
conséquence les missions s’organisent (cela avait débuté au début des années 50)
pour la recherche du renseignement, en détournant les accords d’origine et en ne
retenant que ce qui arrange tout le monde  la pseudo libre circulation. De
liaison il ne reste que le nom et un semblant de contact qui furent cependant
précieux au cours des évènements internationaux à venir.


La RDA constitue la tête de pont du dispositif du pacte de Varsovie face à
l’ouest, le système des frappes nucléaires de moyenne portée est suffisant pour
à partir de le RDA menacer l’ensemble des capitales européennes  Paris,
Marseille, Rome…Les missions de liaisons ont désormais pour objectif prioritaire de suivre la transformation et l’évolution des forces, de connaître son ODB, d’observer ses déploiements et de suivre l’amélioration tant qualitative que quantitative  des ses matériels.

Les Missions sont désormais seules à circuler à l’Est et les différentes crises  (insurrection de Budapest 1956, construction du mur de Berlin 1961, Prague 1968, décembre 1979 invasion de l’Afghanistan, Etat de siège en Pologne décembre1981)  renforce l’importance des membres des Missions qui se retrouvent en première Ligne. Sentinelles de l’occident face à l’EST, les missions localisent les différents sites militaires, étudient les structures des grandes unités, leurs effectifs, leurs matériels,  la présence sur le terrain est désormais constante, les personnels sont formés aux techniques particulières de recherche du renseignement, les équipements utilisés évoluent, véhicules, appareils photos, magnétophones etc.. Cette action va croissante et  n’est pas exempte de risques. Lorsque les objectifs sont connus, il faut en répertorier la géographie, les accès, les possibilités d’observation, suivre chaque extension, identifier les unités, relever les immatriculations des véhicules, les compter, suivre les déplacements….

La moindre modification de structure engendre un suivi particulier, chaque
sortie fait l’objet d’une note de renseignement. A Baden le CRA oriente la MMFL
mais il faut bien le reconnaître que faute de moyens suffisants, les personnels
de la MMFL font de l’exploitation primaire voire plus.
Les Missions alliées se partagent le territoire de la RDA en le découpant par
zone, 3 zones tournantes, trois équipages tournent en permanence en RDA, 24 h
sur 24 en toute saison  par tout temps. Le local autour de Potsdam est  assuré
pour les Français par des sous-officiers expérimentés (Adjudant, adjudant-chef
ou major) qui ont le privilège de cumuler la responsabilité d’être chef
d’équipage et observateur avec un sous-officier (sergent) détaché du 13 RDP ou
du   1° RPIMA comme conducteur  afin de recueillir les signaux d’alerte.. Les
missions en RDA profonde sont assurées par des équipages à trois un Officier deux
sous-officiers dont deux observateurs. Chacun passe à son tour en place conducteur. Ces hommes pour la plupart issus de l’ ‘armée régulière se révèleront comme  des spécialistes du renseignement particulièrement affûtés et pointus. Le séjour de 3 ou 4 ans, malgré les risques,  leur permet d’accumuler une expérience particulière unique et précieuse, certains partiront naturellement en poste dans les pays appartenant au pacte de Varsovie, d’autres effectueront plusieurs séjours, tous seront marqués à jamais par leur passage dans cette unité particulière, ils entretiennent encore aujourd’hui des liens privilégiés, et restent conscients d’avoir fait partie d’une communauté du renseignement unique dans l’histoire.   La MMFL est sous le commandement d’un colonel de  l’armée de l’air, possédant toujours la qualification de  pilote de chasse, ou de reco. L’adjoint est un officier de l’armée de terre, tous linguistes. La MMFL a eu, il est vrai, un chef de Mission exceptionnel  appartenant aux troupes de marine.  Pour certains il n’est pas antinomique d’avoir fait partie de la  DGSE ou d’unités du service action.   La MMFL est divisée en deux sections, une section air et une section terre dirigé par deux officiers supérieurs.  La section Air est dirigée par un officier supérieur breveté pilote, la section terre est commandé par des officiers provenant de toutes les armes, comme les chefs d’équipages et observateurs, ce qui a fait à la fois la force et la richesse d’un tel système qui tout empirique qu’il fut, était certainement le meilleur.  En outre certains des  observateurs (officier et sous-officier)  volent en complément de leur mission terrain dans une zone de 40 km autour de Berlin (BCZ) pour couvrir de nombreux objectifs  soviétiques et Est-allemands à bord de L 19 et de Broussard avec des pilotes de l’Armée de l’air (missionnaires) ou de l’Alat (un pilote détaché de l’escadrille Alat de Baden). Un certain nombre de missions plus discrètes sont aussi assuré, comme simple « passager » sur avion de recueil électronique dit Gabriel ou lors de transit dans les couloirs aériens RFA/Berlin.

 

A la fin des années 80, pour avoir misé de manière importante sur le renseignement
issu de sources techniques, satellites et écoutes essentiellement,  les
Américains mais aussi les Britanniques et dans une moindre mesure les Français
ont perdu parfois le sens du terrain qui en découle. Une photo satellite, ne
rendra jamais compte d’une vision dynamique et précise d’un mouvement d’unité
dans sa marche à l’ennemi. Les yeux et la connaissance physique de
« l’ennemi » permettent de corriger une vision doctrinale de l’adversaire idéal
étudié par les Etats-majors, à partir de documents tactiques récupérés ici ou là.
D’autant plus que les Soviétiques sont passés maître dans l’art de la déception,
c’est à dire dans l’art de leurrer et de créer des unités fantômes, soit par la
construction de réseau radios fictifs faisant croire qu’une unité est en un lieu
alors qu’elle est ailleurs, soit en fabriquant des leurres de matériels
sensibles, (chars, artillerie) offrant ainsi des cibles fictives à nos forces.

Les Serbes de mars à juin 1999 se sont montrés d’excellents élèves en
appliquant ces méthodes, et l’opération « Allied Forces » eu quelques
difficultés à dénombrer la réalité des objectifs touchés. Le bilan estimé était
loin de celui qui fût par la suite constaté lors du repli des forces serbes.

Chaque mission fait l’objet à son retour d’un High light à USMLM puis  d’un compte rendu appelé note de renseignement.. En retour le CRA de Baden, mais aussi le BRRI, la FAtaC B2, le SGDN voire la DGA et les alliés, lisent les rapports et les exploitent. Les Britanniques sont chargés des cartes et des technicals report.

La fiche de critique et d’orientation est un élément important de communication
entre les exploitants qui se trouvent à Baden et la Mission à Berlin, mais les
effectifs y  sont insuffisants et il faut reconnaître qu’un certain nombre de
renseignements notamment techniques sont inexploités faute de personnels
compétents et de temps. Les exemples de ces déficiences  touchent tout autant les
liaisons entre les différents services et l’organisation du renseignement
Ainsi, il a fallu attendre les années 1987, pour qu’une ligne directe soit
installée entre la MMFL et l’ASTRAB  (Antenne du Service Technique de Recherches
Avancées de Berlin) ou « grandes oreilles » dépendant de la DGSE. Ce service
d’écoutes était en mesure d’apporter des renseignements de grande valeur de
source électronique. Mais jusque là, le circuit obéissait à une protection du
secret d’autant plus ridicule qu’elle sanctionnait en interne l’unique organisme
chargé de la recherche humaine sur le terrain. Il ne fallait pas moins de quinze
jours pour qu’une information issue des écoutes parvienne à la Mission par le
circuit habituel, STRA (Service technique de recherches avancées, DGSE Paris
puis retour ASTRAB et MMFL. Autant dire que ce type de renseignement devenait
inexploitable à son arrivée. De même, aucune connexion n’existait entre le recueil de renseignement effectué par la MMFL et les postes des attachés de défense à l’Est, y compris auprès du poste militaire en Pologne pourtant directement concerné par les mouvements des Unités et ses évolutions sur sa frontière Ouest

.
Alors que les Américains sont les moins nombreux sur le terrain, le soutien
immédiat des exploitants se trouve sur place à Berlin, à proximité de la Clay allee et sont forts d’une cinquantaine de civils et militaires. Ils appartiennent à la DIA (Defense Intelligence Agency) et à la CIA. Ils profitent des renseignements techniques, écoutes et satellites. Les équipages sont immédiatement débriefés à leur retour, et réorientés, ils ne vont pas sur le terrain au hasard mais obéissent à des
directives précises, ils sont capables de mener des opérations coup de poing en
fonction des priorités. Les phases de repos entre les sorties sont plus longues,
les opérationnels sont traités avec égard,  mais il faut reconnaître qu’ils
subissent aussi les pressions de leur hiérarchie. Les Britanniques qui avaient compris avant tout le monde l’intérêt des Missions, ont des méthodes différentes et démontrent un professionnalisme évident avec un panache qui caractérise certaines de leurs actions. Pourtant, le système de recueil de renseignement français n’a aucun complexe et traite d’égal à égal avec ses alliés. La MMFL est respectée et appréciée par les autres Missions alliées. La Mission française compense  son handicap par une prise d’initiative décentralisée et par une réelle liberté d’action. Tout, absolument tout, repose sur la valeur des hommes, évidemment des officiers et notamment des  sous-officiers qui sont l’âme et la mémoire de la mission.

 

La mission est au contact, ce qui veut dire qu’elle est sensible aux évènements graves ayant lieu en Europe et hors d’Europe, le recueil des signaux d’alerte est la première des priorités.

 

Les missions ont suivi tous les grands soubresauts des aléas de notre histoire. Du blocus de Berlin-ouest  de 1948 à la chute du mur de Berlin de 1989,  en passant par le soulèvement de la population à Berlin-est, par l’invasion de la Hongrie et de la Tchécoslovaquie, le partage de Berlin en 2 et le mur, jusqu’à la crise afghane, l’état de siège en Pologne et un peu plus tôt au début de 1980 les gesticulations diverses et les agit-prop de la crise des euromissiles.  Souvenons-nous, le 13 décembre 1981 l’Etat de siège est proclamé en Pologne par Jarusleski. Il  applique un plan d’occupation au cœur même de son propre pays, et tente de
sauver ainsi ce qui peut être sauvé, c’est à dire l’impunité de la Pologne, la suite de
l’histoire montrera l’importance de son rôle.


48 camps d’internement sont crées pour emprisonner les membres du syndicat solidarnosz, Walesa en  tête, les chars T 55 sont positionnés à Varsovie et dans les grandes villes sur les points stratégiques. Un silence s’abat sur la Pologne et les chants ne retentissent plus lors des messes sur les parvis des églises. Toutes les
liaisons téléphoniques extérieures et intérieures sont coupées. Les grèves sont
interdites, ainsi  que les rassemblements, les syndicats sont dissous, l’armée
occupe les usines, le couvre feu est imposé à 22h. Sur les routes de RDA,  les petites Fiat (fiat 500 ou mowe Fiat construites en Pologne) chargées de victuailles et de marchandises ne circulent plus.   Les missions sont 24h sur 24 h sur
le terrain, elles doivent évaluer le degré  de préparation des forces et leur articulation
pour le cas où les forces soviétiques renforcées par une voire deux divisions
NVA se prépareraient pour envahir la Pologne.



En cette période de forte tension, le travail des missions et l’action de recherche du renseignement est essentielle pour donner des délais à l’occident et réfléchir sinon à sa défense, au moins à son attitude.  

Il est difficile en ces moments de délimiter  ce qui relève du renseignement ouvert et
du renseignement fermé. Les uns sont au contact, les autres sont dans la clandestinité, les chancelleries et les ambassades ont aussi un rôle majeur à jouer. Pour obtenir des résultats, il faut parfois aller au plus prés, avec les risques que cela comporte.  Si la règle des Missions est celle de « voir sans être vu » et singulièrement pour les missions d’observation des objectifs et des sites radars et aérodromes, il est nécessaire. Parfois de franchir certaines limites lorsque le jeu en vaut la chandelle. L’ambiance de certaines missions est parfois tendue, puisque le risque existe et qu’il est assumé. Il faut savoir jusqu’où ne pas aller.

 

Dans l’histoire de cette guerre de l’ombre qui ne dit pas son nom, les Missions alliés,  outre des blessés ont eu à déplorer deux morts. Un français et un américain. Un allemand de l’Est y a aussi laissé la vie lors d’un accident.  


Avec les Soviétiques les blocages ( c’est à dire les tentatives d’immobilisation et de détention des équipages des Missions) sont principalement le fait du hasard, avec
les Allemands de l’Est rarement, ils sont chez eux, ils ont des services
spécialement préparés et entraînés pour contrer les actions des Missions de
liaisons. Dans chacune des régions, des départements spéciaux de la Stasi dont
les membres sont équipés de voitures et de moyens spéciaux surveillent, et
tentent de suivre les équipages des missions pour les prendre en flagrant délit de violation des accords, jusqu’à  créer des incidents graves ou exploiter le moindre incident.
Depuis des années ils ont perfectionné leurs méthodes, ils connaissent les
itinéraires, ils répertorient les postes d’observations, ils s’entraînent à
effectuer des blocages à l’aide de camions lourds, ils savent parfaitement quels
sont les centres d’intérêts et étudient les procédures de recherche. Mais ils ont des véhicules moins performants que les puissants VGL (véhicule de grande liaison de type Mercédès, opel, range rover, modifiées et équipées comme pour de grands raids, treuils à main ou électriques, réservoirs supplémentaires). Ils subissent  eux aussi des contraintes administratives et de hiérarchie, qui les rendent parfois peu efficaces. Fort heureusement, la coopération entre eux et les Soviétiques est moins importante que nous pourrions imaginer. Il existe cependant au niveau du GFSA la section VIII/5 à Potsdam qui est censée recevoir des informations de la part des différentes sections spécialisées de la Stasi. Dans certaines sections il existe des « profileurs » qui essayent de définir la personnalité de certains des membres des équipages des missions. Ils connaissent, les noms, les  grades, ils ont des portraits des personnes appartenant aux Missions le plus précis possible. Politiquement ils ont des priorités, celles de prendre en faute, et pour cela,  ils n’ont qu’un seul choix créer des incidents graves afin de d’obtenir l’expulsion d’un officier ou d’un chef
d’équipage. Ils savent que c’est le seul  moyen de  désorganiser profondément le travail d’espionnage des Missions.

A  l’instant même ou un équipage franchit  le pont de Glienicke (pont des espions entre Berlin-Ouest et Potsdam) et pénètre en RDA, le KGB et le SB connaissent la composition de l’équipage. Le Vopo (policier) dans sa guérite devant la villa où les équipages passent obligatoirement note les entrées et les sorties et effectue les recalages nécessaires. Dans les années 1980, la Stasi effectue moins de filatures, relativement peu efficaces, mais renforcent les protections rapprochées des objectifs sensibles (terrains de manœuvre, aérodromes), et surtout forment les personnels pour signaler le passage de ces voitures particulières reconnaissable à leur couleur verte anti-reflet et aux rideaux aux vitres arrière et de portières. Les  dénonciateurs et collaborateurs « spontanés » de toutes catégories, garde barrières, pompistes, ouvriers des LPG et fonctionnaires doivent signaler et noter tout passage des missionnaires.   Les risques sont constants, les ignorer ou les négliger, peut entraîner des conséquences graves pour la réussite de la mission de renseignement et la sécurité des équipages ( par tradition les officiers et sous-officiers sont appelés missionnaires et les occupants des véhicules comme dans un avion constituent un équipage)



 

Alors que les accords Noiret-Malinine ne reconnaît pas in extenso la souveraineté de la RDA, celle-ci a été reconnue par la France en 1971, l’échange d’ambassadeur se fera en 1974. Le premier ambassadeur est-allemand en France fût Ernst Schulz ancien résistant allemand contre les nazis.

Le 22 mars 1984, un équipage de la MMFL composé d’un officier et de deux sous-officiers expérimentés est localisé,  suivi et pris en charge par une opération montée par le SB. Alors que l’équipage arrive sur un objectif NVA se préparant pour la manœuvre J.UG 84, le piège se referme, la voiture poursuivie est percutée délibérément par  un camion Oural 375 avec remorque au volant duquel se trouve un conducteur de la NVA le caporal Baumann né le 15 septembre 1963 à Eisleben, à ses cotés un membre des services secrets Est-allemand, (STASI) Paul Schmidt sous son nom d’emprunt. Le conducteur du VGL, l’adjudant chef Mariotti  est tué sur le coup. L’officier chef de bord est évacué en urgence vers un hôpital allemand, tandis que le sous-officier observateur, blessé à la tête, reste sur place pour garder son
camarade mort et protéger le contenu du VGL en attendant l’arrivée des
voitures de secours de la MMFL. 

La guerre de l’ombre n’est pas à sa première victime, il y eu d’autres tentatives d’intimidation, d’autres percussions, d’autres tirs essuyés. Le 24 mai 1985, un officier, le major Nicholson appartenant à la Mission américaine (USMLM) est abattu près de son véhicule. Le conducteur menacé par la sentinelle, verra son officier se vider de son sang avant que des secours interviennent une heure après le tir à tuer.
Ce drame eu lieu près du petit terrain d’instruction de chars de Techentin près de Ludwiglust. En ce même endroit, six mois auparavant un équipage français avait essuyé des coups de feu de la part d’une sentinelle soviétique. L’’équipage s’était intéressé à un engin blindé bâché (un T 80) et s’était aventuré à pied sur le terrain. L’officier français et l’adjudant chef avaient échappé de peu aux trois rafales de kalachnikov de la sentinelle qui avait tiré sans sommations. L’Américain, lui a eu moins de chance.

 


Suite à ces incidents majeurs, au très haut niveau opération américain, comme au niveau français, (certains ont découvert l’existence de la MMFL lors de sa dissolution le 31 décembre 1990), on dénote une certaine méconnaissance du travail des Missions, et certains chefs proposent de reconnaître la réalité des zones grises, essentiellement les zones pancartées ( les pancartes anti-mission, non reconnues par les Missions alliées sont censées interdire la circulation dans des zones considérées comme sensibles par les Soviétiques et les Allemands de l’Est). Ces zones,  hors ZIP (zone d’interdiction permanente) sont celles précisément où sont effectuées l’essentiel du travail de recueil et de recherche du renseignement. Il a fallu beaucoup de volonté en 1984 de la part de Roland Lajoie (général USMLM), pour faire comprendre que l’occident avaient plus à perdre qu’à gagner d’un tel deal avec les Soviétiques.  Les Britanniques quant à eux défendent avec
énergie et constance la présence de leur Mission. L’ « Intelligence »
anglo-saxonne n’est pas un vain mot.  Ainsi,  les missions vont survivre jusqu’à
la fin, chacune des puissances y trouvant encore un intérêt. Pour les
occidentaux dont nous sommes, c’était le seul moyen de mesurer le réel degré de
préparation des forces soviétiques face à l’Europe. Pour les Soviétiques, c’était
à la fois la possibilité de maintenir à l’Ouest une forme d’espionnage légal et
aussi l’opportunité de montrer leur force tout en sachant qu’en cas de
conflit il ne faudrait que quelques instants pour éliminer les équipages
observateurs présents sur le territoire de la RDA.

 


En 1980, lors d’un briefing de la CIA, le président Ronald Reagan aurait demandé, quelles étaient les options possibles pour les relations américano-soviétiques ? Les
spécialistes de la CIA présents auraient répondu avec le naturel qui est le
leur :

« Il faut écarter la guerre nucléaire parce qu’elle causerait tant de dommage
que nous en serions aussi les victimes, et que le monde deviendrait différent.
Il faut écarter une guerre classique, parce que ce serait trop dangereux, les
Soviétiques ont  plus de chars et d’avions et de soldats que le monde occidental
entier réuni. Et Reagan aurait répondu, mais alors qu’avons-nous de plus
qu’eux ? La réponse fut immédiate : L’argent président ! Et Reagan de
poursuivre :  Dépensons beaucoup d’argent, à ce rythme, ils feront faillite.

C’est ainsi que le budget de la défense américain dépassa 400 milliards de
dollars soit le budget global de l’Allemagne Fédérale qui est dans les années
1980 la troisième puissance mondiale. Aujourd’hui le budget de la défense
américain à lui seul représente la somme des budgets de la défense de toutes les
autres nations réunies.

 L’histoire de la MMSL (Mission militaire soviétique de liaison près des
commandements alliés en Allemagne de l’Ouest) reste à écrire. Son travail fut
discret mais particulièrement efficace. Elle  était pour les Soviétiques un
élément indispensable pour maintenir un contact discret avec les agents du KGB,
de la Stasi et des autres services secrets du monde de l’Est, les observations
militaires qu’ils étaient censés entreprendre étaient plus une couverture qu’un réel
besoin. Ils répertoriaient les objectifs sensibles tant civils que
militaires, au profit des Spetnatz, (commandos de renseignement et des
destructions dans la profondeur du dispositif ennemi), ils mettaient à jour les
cartes afin de préciser les cibles éventuelles pour leur aviation de
bombardement et leurs missiles…Ils profitaient de l’accès à l’ouest sur toutes les
informations militaires complètes qu’ils pouvaient obtenir sans beaucoup d’effort, et sans risques contrairement aux Missions alliées de Potsdam.
Le nom et le type des unités, celui des cadres, (les mouvements et les
mutations sont parfois connus par les déménageurs, avant les intéressés
eux-mêmes) le type de matériel utilisé, ses performances, l’organigramme des
unités apparaît dans la presse, le déroulement des manœuvres et notamment Reforger. ….

Les 63 membres soviétiques des trois missions soviétiques à l’ouest ne subissaient
pratiquement aucune pression, de la part des services occidentaux, ils étaient rarement contrôlés et circulaient en toute impunité dans un pays libre et démocratique, où photographier un pont, une gare ou un aéroport,  n’est pas un délit. Les rares blocages dont ils furent l’objet demandaient de telles précautions et une telle mise en place de moyens légaux, qu’ils sont restés au niveau de la formulation et de menace gratuite plutôt qu’un moyen de rétorsion et de réciprocité. Ils eurent tout le loisir de s’intéresser aux mouvements politiques, de suivre l’évolution économique du monde libre. Ils se déplaçaient parfois en civil, au mépris de toutes règles.
L’une des conséquences induites fut que les Soviétiques ne pouvaient ignorer le retard économique qui se creusait entre l’occident et le monde socialiste. Ils savaient que derrière la manipulation des chiffres, l’Allemagne vaincue au-delà de la propagande,  était devenue par la seule force de la démocratie et de l’aide américaine, la troisième puissance mondiale, derrière le Japon autre vaincu. Déjà dans les années soixante dix, Andropov, alors chef du KGB avait fait diligenter une enquête secrète pour évaluer le PIB de l’URSS avec les mêmes mesures étalons que celles qui étaient utilisés en occident.  Le résultat fût catastrophique, L’URSS était déjà dépassé par les deux vaincus de la seconde guerre mondiale. Dans les années quatre vingt, ce décalage s’est accentué et l’URSS ne peut désormais plus ignorer son retard dans les domaines clés de l’information, de l’informatique et de l’espace militaire. Aujourd’hui le monde a changé radicalement, les dangers sont multiples et universels, mais il n’est pas exclu qu’un conflit majeur puisse un jour ou
l’autre se révéler. Les zones à risque et à forte concentration de moyens sont
multiples, Iran, Corées, Inde / Chine, Pakistan , Afghanistan, ..  Le renseignement
doit remplir son rôle,  celui de l’évaluation des menaces.. Les sentinelles de la
guerre froide ont rempli leur mission  à une époque où le danger venant de l’Est
était évident.. Nous avons aujourd’hui besoin  tout autant de sentinelles dont
le regard devra être encore plus universel et plus performant.




La dissolution de la MMFL de Potsdam intervient le 31 décembre 1990, les archives sur ordre son détruites, on ne tirera aucun enseignement de ce savoir-faire, contrairement aux Britanniques qui bien évidemment ont une autre conscience du renseignement.

 



27/01/2011
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