Armée de terre française, bilan 2019 et perspectives 2020-2025
1° Partie : la gestion des ressources humaines
En 2019, l’Armée de terre a amorcé sa remise à niveau indispensable après plus d’une décennie de pénurie et d’engagement opérationnel qui ont fortement entamé son moral et son potentiel. Cela s’est traduit par le début des livraisons et notamment par celle emblématique, en fin d’année 2019, de 92 Griffons, démarrant ainsi le processus de formation et d’équipement des futures unités Scorpion.
Simultanément, le système d’information (SICS) montera en puissance et aura pour objectif d’assurer la cohérence des systèmes en service. Il fournira automatiquement une situation tactique exacte et en continu du chef de groupe débarqué jusqu’au chef de corps. Ce processus mènera nécessairement à une nouvelle doctrine d’emploi des forces depuis la préparation jusqu’à la conduite, sans oublier l’entrainement aidé par une simulation embarquée.
En 2025, la force opérationnelle terrestre, maintenue à 77000 soldats, devrait donc être plus efficace et entrera, comme l’a indiqué le général Barrera, major général de l’armée de terre « dans l’ère SCORPION, celle d’un parc médian connecté et mieux protégé ». […] « cette transformation capacitaire offre de nouveaux moyens à nos hommes pour dominer l’adversaire par l’information, le feu et la rapidité d’exécution ». Dominer l’adversaire, j’y reviendrai.
Il n’en demeure pas moins que le plus difficile sera de remettre l’homme au centre des préoccupations.
Ce n’est qu’œuvre de simple bon sens de reconnaitre que le meilleur des systèmes d’armes est celui de la valeur des hommes. Pour l’avoir négligé ou oublié, l’histoire a montré que des armées parfaitement équipées se sont retrouvées totalement désemparées et démontées face à d’autres moins bien équipées mais mieux préparées, mieux encadrées, plus entraînées.
L’efficacité de l’armée française et singulièrement celui de l’armée de terre repose sur la qualité de son corps d’encadrement intermédiaire, celui des officiers et des sous-officiers, mais des points d’inquiétude nouveaux attirent l’attention.
Un de ces points est celui de l’encadrement trop faible de notre armée de terre. Il est aujourd’hui de 11 pour cent en moyenne dans nos armées, 8 pour cent dans les forces terrestres, bien inférieur à celui constaté chez beaucoup de nos alliés, qui est d’environ en moyenne de 12 à 14 pour cent. Ce taux particulièrement bas touche en premier celui des cadres de contacts expérimentés, en l’occurrence, les sous-officiers, notamment dans les grades d’adjudants et adjudants-chefs qui faisaient avec les majors l’ossature de nos armées.
Ce taux était relativement satisfaisant pour une force de 66000 hommes et l’est nécessairement moins dès lors que la FOT est passée à 77000, et cela sans tenir compte de l’encadrement des réservistes (22000). De plus, l’inconnue est totale pour ce qui concerne la facture en personnel du service national universel.
Il faut aussi tenir compte qu’il faut de 8 à 10 ans, plus dans certaines spécialités pour former un cadre de contact expérimenté ou un expert. Ce déficit chronique est inquiétant mais risque de durer un certain temps, surtout si une partie des personnels formés quitte l’institution, attirés par d’autres statuts plus favorables, gendarmerie, protection civile, voire organisme de sécurité privé afin d’atténuer les exigences du métier, qui demandent beaucoup de sacrifices pour les familles, notamment.
Ce problème d’encadrement est aussi la cause d’une approche purement comptable de la gestion humaine ce qui a provoqué des effets inattendus. Le 1,1 milliard d’euros d’économie sur la masse salariale prévu entre 2008 et 2011 s'est traduit en fait par une augmentation de 1,1 milliard durant la même période. (Rapport de la cour des comptes)
À cela il faut rajouter le naufrage Louvois et le fait que le ministère a dû payer les allocations de chômage des militaires rendus à la vie civile.
Lorsqu’on a une approche purement comptable en oubliant certains paramètres, notamment humains, concoctée par des experts formés à l’école de Bercy, il n’est pas étonnant que le résultat soit à l’inverse parfois des espérances.
Ainsi, le combat de l’encadrement et donc de la compétence est devenu un combat majeur. Dans cette affaire, comme dans d’autres, le CEMA comme le CEMAT en ont certainement mesuré tous les enjeux.
Il faut aussi souligner que la trajectoire de 6 000 emplois supplémentaires sur la période 2019-2025, essentiellement ciblés sur le renseignement et la cyberdéfense est une nécessité mais ne résoudra pas le problème du sous-encadrement.
C’est pourquoi le volet de la LPM consacré à « l’amélioration du quotidien du soldat » mérite d’être salué. Le ralentissement des mutations, le souci de la formation, l’intérêt porté aux familles sont une bonne chose. Mais était-il si urgent et nécessaire de commencer par le haut de la pyramide ? Cela devra être accompagné aussi par une considération renouvelée, car le soldat, de tous temps, s’est sacrifié en raison du respect qu’on lui porte.
Cette dimension quasi affective entre la Nation et le soldat est fondamentale et se doit d’être ressentie par ceux qui en sont les acteurs, réaffirmée par des actes dans l’institution et au dehors et pas seulement par des mots.
L’équilibre entre sujétions et compensations qui est au cœur de la condition militaire, doit être le souci permanent des chefs mais ceux-ci ne pourront pas grand-chose si la représentation nationale ne s’engage pas dans la garantie de cet équilibre. Il faut constater que les députés et sénateurs s’en préoccupent, mais il conviendra de le traduire dans les faits.
Le combat du recrutement, de la formation, de l’intégration et de la fidélisation est l’un des défis majeurs auquel l’armée de terre sera confrontée durant cette loi de programmation et de la prochaine.
Roland Pietrini
A suivre
Seconde partie à venir : le niveau capacitaire.
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