Berlin décembre 1989
Comme j’ai pris désormais l'habitude et en exclusivité pour mes lecteurs, je vous livre quelques extraits du futur roman, qui je suis en train d’écrire. Ce sera une surprise, mais je peux déjà vous dire que l'action se déroulera sur fond d'effondrement des régimes de l'est et notamment lors de la chute de Ceausescu.
Je rappelle que Piège au Levant est en vente dans toutes les bonnes librairies, chez mon dynamique éditeur Pierre de Taillac, et que je réserve quelques exemplaires dédicacés à ceux qui le souhaitent. Il suffit de me le demander en m’envoyant un message privé. Je répondrais.
Bonne lecture
Roland Pietrini
En ce tout début du mois de décembre 1989, la ville de Berlin respirait un vent étrange de liberté. Le mur ouvert craquait de toute part et les populations de l’ouest voyaient déferler tous les week-ends, une suite ininterrompue de véhicules pétaradants, Trabant grises et autres Warburg emplis de passagers avides de déambuler dans cette ville lumière regorgeant de marchandises inconnues jusqu’alors, débauche de fruits exotiques, de nourriture nouvelles, d’objets de cuisine électrique aussi inutiles qu’attirants, de vêtements colorés, de chaussures en quantité et de toutes les tailles et de style inconnu à l’est. Ces populations des faubourgs de Berlin-Est, de Pankow, ou plus éloignés de Potsdam, d’Oranienburg et d’ailleurs semblaient découvrir ce monde nouveau comme des enfants émerveillés devant une vitrine illuminée de Noël envahie de cadeaux. Ils avaient rêvé d’une société où consommer deviendrait un plaisir et non un besoin et ils en dégustaient les signes extérieurs comme une promesse d’avenir désormais possible, avec beaucoup d’inconscience et d’innocence. Berlin-ouest les attirait comme une oasis verdoyant dans un désert de sable et de cailloux. Le Ku’damm (1) en était la voie sacrée.
Ainsi, l’est envahissait pacifiquement l’ouest, et les Russes de l’armée soviétique encore en place dans les garnisons, interdits de séjour dans ce Berlin-ouest fantasmé, attendaient en périphérie pour troquer tout ce qu’ils pouvaient, carburant, insignes, masque à gaz, baïonnette de Kalachnikov, chapka, casquette d’officier et bottes en échange de parfum, de disques des derniers groupes à la mode, de bas de femme, des bananes, des cigarettes ou du cognac, comme si, ne pouvant dévaliser eux-mêmes cette caverne d’Ali Baba, ils tentaient par procuration d’accéder à quelques miettes de cet ouest décrit comme dévoyé et décadent par la propagande, mais qui miroitait de mille feux.
Le diable avait un sexe, le désir de succomber à la tentation l’emportait sur tous les discours marxistes-léninistes, « l’avant-garde » de la classe ouvrière avait dirigé leurs pas vers un autre matérialisme, le matérialisme dialectique avait vécu avec le matérialisme historique comme linceul. (2)
Tous les repères avaient sautés un à un, le mur restait présent mais des ponts et des avenues reprenaient vie, comme une rivière à sec reprenant son lit, les artères qui portaient si bien leur nom irriguaient à nouveau le Gross Berlin et l’illusion perdurait d’une ville duale, d’un côté l’ouest explosant de vie et de richesses, colorées et outrageusement prospère, de l’autre côté l’est grise et « traurig » par ses aspects staliniens de la Karl Marx allée et ce côté Prussien des monuments du Berlin Mitte.
Serge avait décidé de s’installer provisoirement dans un petit appartement meublé avec une chambre et une petite pièce à vivre près de la Kronenstrase, à deux pas de l’ancien Checkpoint Charlie À l’est les prix étaient très bas. La couleur de la peinture et des rideaux, les meubles au design si particulier, le téléphone gris en bakélite baignaient dans cette odeur particulière des produits d’entretien que l’on retrouvait partout de Potsdam à Vladivostok. Il y avait une douche et des toilettes dans le couloir.
La Friedrichstraße était tout à côté, il y dînait dans un petit gasthaus. Les poubelles fumaient et dégageaient une odeur âcre à cause des cendre encore brûlantes qui y étaient jetées, les rues vers 17h étaient vides, l’éclairage public si faible et irrégulier donnait l’impression que la nuit tombait plus tôt qu’à l’ouest. Sur les trottoirs, les rares passants, silhouettes grises et courbées, se croisaient sans un regard, en transportant toujours un sac ou un cartable, vieux réflexe précautionneux d’un achat possible. L’odeur qui y régnait et la couleur des murs et des trottoirs semblait figée dans une époque qui ne finissait pas de mourir.
C’est dans cette ambiance si particulière que quelques jours avant Noël, Serge avait reçu une invitation de Nelu un ami roumain. Cette invitation aussi soudaine que surprenante, le prenait au dépourvu, mais elle tombait bien. Retrouver la Roumanie où il avait vécu avant ses séjours en RDA et en Pologne le tentait. Après tout la Roumanie restait encore le seul pays stalinien, et voguer à contre-courant, ce n’était pas pour lui déplaire, puisque ce vaste pays inséré entre la mer noire et les montagnes des Carpates semblait échapper aux bouleversements récents. Combien de temps encore Ceausescu le geniul din Carpaţi (le génie des Carpates) résisterait à toutes les tentatives de déstabilisation. Le temps y était-il suspendu ?
C’est ainsi qu’en ce début décembre 1989, après avoir pris un vol direct de Berlin Schönefeld à Bucarest, il atterrit à l’aéroport de Bucarest Otopeni.
Les passagers étaient rares dans ce Tupolev 134 d’Interflug. A l’arrivée le hall était quasiment désert, il n’était pas chauffé et la température comme l’ambiance était glaciale. Son passeport français ne semblait pas intéresser la police des frontières, et il obtint très vite un visa touristique de dix jours renouvelables une fois, puis le passage de la douane, se passa sans encombre.
En 20 minutes à peine il sortit du sas et Serge reconnu Nelu qui l’attendait dans une salle d’attente presque déserte.
…… à suivre
Roland Pietrini
1 raccourci de Kurfürstendamm, avenue commerçante de Berlin s'étendant sur 3,5 kilomètres de la Breitscheidplatz en Charlottenbourg au quartier de Grunewald au sud-ouest.
2 Le matérialisme historique, ou conception matérialiste de l'histoire, est une méthode marxiste d'analyse de l'histoire, dans une perspective matérialiste. Elle induit l’idée, présente dans les écrits de Karl Marx et Friedrich Engels, que les événements historiques sont influencés par les rapports sociaux, en particulier les rapports entre classes sociales, donc par la situation réellement vécue par les êtres humains. Cette conception accorde une part essentielle à l'économie dans les transformations du monde).
A découvrir aussi
Inscrivez-vous au site
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 1193 autres membres