ATHENA-DEFENSE

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Centrafrique: Un point de vue de Human Rights Watch

Selon Peter Bouckaert, en mission pour Human Rights Watch à Bangui, les forces de Sangaris sont «tétanisées» face aux tueries.

Directeur des urgences au sein de l’ONG Human Rights Watch (HRW), Peter Bouckaert est l’un des meilleurs observateurs de la situation en Centrafrique, pays qu’il a sillonné à plusieurs reprises depuis le mois de novembre. Basé à Genève, mais de retour à Bangui depuis la semaine dernière, il analyse la nouvelle phase du chaos centrafricain, alors que la tension reste très forte et que rien ne semble encore pouvoir arrêter les tueries, malgré les changements intervenus récemment à la tête du pouvoir.

Pourquoi la situation reste-t-elle volatile malgré la neutralisation des ex-rebelles de la Séléka qui avaient pris le pouvoir en mars ?

Le rapport de forces a effectivement changé avec l’arrivée des soldats de l’opération française Sangaris en décembre, qui a affaibli les ex-rebelles désormais cantonnés dans des bases à Bangui comme à Bossangoa, dans le nord-ouest du pays. Mais ils sont encore armés et la Séléka ressemble à un lion en cage qui voit bien comment les milices d’autodéfense civiles anti-balaka ont profité de son affaiblissement pour attaquer la population musulmane et ceux parmi les ex-rebelles qui ont accepté de rendre leurs armes. On se trouve donc à un moment très périlleux de la crise où les consignes de désarmement des forces étrangères se heurtent à la multiplication des lynchages de musulmans ou d’ex-rebelles devenus plus vulnérables.

Ce ne sont pas seulement les anti-balaka qui les attaquent. Aujourd’hui, il y a une colère presque impossible à contrôler au sein de la population chrétienne, qui a réellement vécu dix mois de cauchemar après l’arrivée des rebelles au pouvoir en mars. Mais en réalité, dans presque toutes les familles, chrétiennes mais aussi musulmanes, on a rencontré des gens qui ont été tués par balles ou qui ont péri de maladies après leur fuite dans la brousse pour échapper à la violence. Reste que c’est la communauté musulmane qui, en ce moment, est en train de payer le prix des exactions de la Séléka.

La collusion supposée entre la Séléka et les musulmans est-elle réelle ?

Il est vrai qu’une partie de la communauté musulmane a soutenu les ex-rebelles. Il y a eu même des éléments armés chez les Peuls qui ont participé à des tueries aux côtés de la Séléka. Mais la vérité, c’est que tout le monde est armé en Centrafrique, chrétiens comme musulmans. La seule différence, c’est que les musulmans sont une minorité, ils ne représentent pas plus de 15% de la population du pays. Ils sont nombreux dans le nord-est, mais dans le reste du pays, leur style de vie les rend particulièrement vulnérables. On a ainsi soit des commerçants, souvent riches et donc enviés, qui vivent au milieu d’une majorité chrétienne, soit des éleveurs peuls nomades, depuis toujours en conflit avec les agriculteurs qui se plaignent de voir leurs champs saccagés par les troupeaux. Ces ressentiments anciens et leur position minoritaire en milieu chrétien ont conduit depuis septembre à un exode massif des musulmans des zones rurales. Mais même en ville, ils sont encore attaqués par les anti-balaka, qui n’hésitent pas à tuer les enfants à coups de machettes. Des quartiers entiers de Bangui ont ainsi été rayés de la carte.

En réalité, il n’y a plus de refuge pour les musulmans de ce pays.

On a parfois l’impression que l’intervention française a indirectement accéléré les massacres des musulmans…

La France s’est trompée en n’anticipant pas les périls côté anti-balaka, ni l’explosion de violences qu’allait provoquer la perte du pouvoir de la Séléka. Les Français pensaient pouvoir se limiter à désarmer les ex-rebelles au cours d’une mission qui leur semblait simple au départ, conçue pour un succès rapide. Or rien ne s’est passé comme prévu et l’opération Sangaris se retrouve confrontée à un bain de sang dans le pays. Face à cette nouvelle réalité, les militaires français donnent surtout l’impression d’être tétanisés. Quand on leur a signalé que les musulmans allaient être massacrés dans le quartier de PK13 à Bangui, ils nous ont répondu qu’ils ne souhaitaient pas prendre parti dans ce conflit ! Mais prévenir un massacre, ce n’est pas choisir un camp. En réalité, ce sont les forces africaines de la Misca qui prennent l’essentiel des initiatives, mais aussi des risques. En particulier, les troupes rwandaises, burundaises et celle du Congo, qui ont réussi à sauver des gens en faisant preuve de beaucoup de courage, alors que les forces françaises ne quittent pas souvent leurs blindés et s’aventurent peu en dehors des grands axes pour voir ce qui se passe dans les quartiers populaires.

 

Source : www.singatioubangui.org



02/02/2014
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