ATHENA-DEFENSE

ATHENA-DEFENSE

Contribution à l’histoire du renseignement militaire et de son évolution après la chute du Mur.

 

 

Ce sont des documents exceptionnels, soumis à votre lecture,  rédigés par le général Patrick Manificat(1) auxquels vous allez avoir accès. Je l’en remercie pour plusieurs raisons.

 

- Il aurait pu,  compte tenu de sa position, les réserver pour un média plus  prestigieux, il m’a fait confiance et a fait confiance à Athena-défense et aux dix années de travail qui sont les miennes pour installer Athéna dans le paysage restreint des blogs sérieux mais néanmoins accessibles au plus grand nombre.

 

- Il aurait pu édulcorer certains propos en utilisant la langue de bois, et ce fameux devoir de réserve à extension multiple qui a le mérite de protéger les faibles et  de mettre en lumière souvent ceux qui n’ont de connaissances que livresques ou universitaires.

 

 

- Or si Patrick Manificat est un soldat et donc un homme de destin, il est aussi un auteur (2), et tout auteur est un communicant,  et s’il estime que s’exprimer sur des sujets aussi délicats est œuvre salutaire, c’est aussi pour mesurer le chemin parcouru.

 

Car en dépit des difficultés, des rigidités culturelles, le renseignement a fait d’énormes progrès, il est passé de l’improvisation, du bidouillage, du sous-emploi, de l’inorganisation à quelque chose de structuré avec des formations, un recrutement digne de ce nom.  De cette évolution il en fut l’un des acteurs. Un acteur de terrain ce qui est noble.

 

L’auteur de ces articles a servi au 1°RPIMa, dans les commandos parachutistes  de choc,  au 11°Choc, à la MMFL où nous nous sommes croisés, il fut le chef du BRRI. Il sait la différence entre renseignement et espionnage ou plutôt les non-différences parfois. Ces territoires furent l’Afrique, les Balkans, la RDA, l’Asie...

Parmi les  articles prévus, certains seront d’accès réservés aux seuls abonnés identifiés.

 

 

Je vous invite donc à vous inscrire et à voyager dans ce qui fut la réalité du renseignement des années 1980 -1990. Merci encore à vous Patrick.

 

Roland Pietrini

 

La première série d'article et les suivants, paraitront  à raison de trois ou quatre par mois, ils seront susceptibles d'ajustement.  Le prévisionnel est le suivant: 

 

 

1.   2° Bureau ou Quai d’Orsay ? Etat des lieux au lendemain de la guerre du Golfe.

 

2.    A prendre ou à laisser chez nos Alliés.  Les visites aux USA-RFA et GB pour étudier leur bureau renseignement.

 

3.    Les yeux et les oreilles de Tsahal. Le renseignement en Israël.

 

4.    Premières armes à la DRM. Organisation de la sous-direction Recherche.

 

5.    La géologie du renseignement tchadien. Séjour au Tchad pour réorganiser la chaine du renseignement.

 

6.    Palinodies en Yougoslavie. Séjours en Yougoslavie pour organiser la chaine du renseignement.

 

7.    Après la Croatie, la Bosnie.   Séjours en Bosnie pour organiser la chaine du renseignement.   

 

8.    Après la Bosnie, la Serbie.     Séjours en Serbie pour organiser la chaine du renseignement.

 

9.    Une mine par habitant. Séjour au Cambodge pour organiser la chaine du renseignement

 

10.  Anarchie en Somalie. Séjour en Somalie pour organiser la chaine du renseignement.

 

 

1.      Le général Patrick Manificat, saint-cyrien de la promotion « Vercors » (1960), a servi dans diverses unités parachutistes, d'abord au 11ème Bataillon parachutiste de choc à Perpignan, puis comme instructeur au Centre national d'entraînement commando de Mont- Louis-Collioure. Il a notamment commandé le Groupement opérationnel du 1er Régiment parachutiste d'infanterie de marine à Bayonne, le Centre d'entraînement des réserves parachutistes de Cercottes et le 11ème Régiment parachutiste de choc. Par la suite, après avoir été professeur à l'Ecole supérieure de guerre et auditeur à l'Institut des hautes études de défense nationale, il a dirigé le Bureau Renseignement de l'armée de terre et la sous-direction Recherche de la Direction du renseignement militaire. Outre les opérations spéciales du 1er RPIMa et les opérations clandestines du 11°Choc, le général Manificat a participé à de nombreuses interventions. Il a également passé trois ans derrière le Rideau de fer à récolter les renseignements sur les forces soviétiques et est- allemandes au sein de la Mission militaire de liaison près le haut commandement soviétique à Potsdam (MMFL). Il a terminé sa carrière à la tête de l'Ecole nationale des sous-officiers d'active de Saint-Maixent.

 

2: ouvrages du général Manificat :

 

les centurions d'alexandre: Carnet de route du bras armé des services spéciaux français 1975-1981

 

Au cœur de la Guerre Froide La mission militaire de Potsdam (1947-1989)

 

Le pont des espions de la guerre froide

 

Propousk missions derrière le rideau de fer, 1947-1989

 

 

 

 

 

  1 - Deuxième Bureau ou Quai d’Orsay ?

 

 

 

S’interroger sur la pertinence d’une organisation n’a rien d’infamant  et inventorier ses failles, ses lacunes ou ses dysfonctionnements n’a rien d’une entreprise d’autodénigrement lorsqu’ils ont pour principal objectif d’améliorer l’outil objet de la critique. C’est bien dans cet état d’esprit que je prenais le 10 août 1991 la fonction de chef du bureau Renseignement-Relations internationales (BRRI). La guerre froide avait rendu l’âme, celle du Golfe venait de se terminer. Je trouvais un bureau qui tournait rond, une équipe compétente, une infrastructure remarquable mais il y avait de la réorganisation dans l’air car on venait de redécouvrir dans les armées la primauté du renseignement pendant qu’au BRRI les relations internationales avaient littéralement étouffé le renseignement.

 

 

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photo internet

 

Qui se souvient encore des Shadoks apparus sur le petit écran il y a 50 ans ? Dans une série télévisée qui a partagé les Français, ces êtres anthropomorphes construisaient des machines improbables qui ne fonctionnaient jamais. Mais en essayant continuellement de les mettre en marche, ils finissaient par réussir. D’où le syndrome Shadok décrit par un universitaire canadien qui concluait : plus ça rate, plus on a de chances que ça marche…

 

C’est un peu ce qui était arrivé au renseignement militaire français durant ces trente dernières années : beaucoup de ses lacunes ont fini par disparaître et aujourd’hui, on peut affirmer qu’il fonctionne. Mais comme nous allons le voir, il revient de loin, tout du moins pour l’armée de terre.

 

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Le temple de Janus

 

Nous sommes en 1991, voyons quelle est la position des pièces (du renseignement) au départ du coup. Janus, dieu au double visage, surveillait à la fois les entrées et les sorties des portes de Rome. De la même façon, l’armée de Terre demandait jusqu’ici au BRRI de faire tout et son contraire, le renseignement et les relations internationales. Mais, alors que le temple de Janus n’était ouvert qu’en temps de guerre, le BRRI ne fonctionnait, lui, qu’en temps de paix puisqu’en temps de guerre, il restait dans son bureau du boulevard Saint-Germain.

 

Rappelons d’abord que le BRRI appartenait à l’état-major de l’armée de terre. Dispersé dans différents bâtiments du boulevard Saint-Germain, l’EMAT, cet organisme tentaculaire, comprenait à l’époque une bonne vingtaine de « bureaux » et trois cents officiers. Tout ce monde s’entassait dans des soupentes inconfortables, pleines de mobilier disparate. La température y était sibérienne l’hiver et torride l’été. Les sonneries des téléphones interdisaient aux officiers traitants tout sommeil prolongé et interrompaient aussi bien la sieste que la rédaction des fiches d’analyse, de synthèse ou de présentation, expression écrite de l’opinion du rédacteur qui, aujourd’hui encore, doit être impérativement soumise à la sagacité du chef de bureau.

 

 

 

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attachés militaires le 14 juillet.

 

La partie RI (Relations Internationales) de BRRI avait évité à son chef un bureau mansardé. Son travail consistant aussi à recevoir les attachés militaires étrangers, un effort particulier avait été consenti au profit de son installation : en comparaison des autres, elle était royale grâce à l’occupation des deux étages d’un petit hôtel particulier situé le long de la rue Saint-Dominique et modernisé avec goût par mon prédécesseur.

 

 

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insigne tissu de la brigade de renseignement

 

 

La Chouette et le Quai d’Orsay

 

Le BRRI était donc à la fois le Deuxième bureau de l’armée de Terre et son Quai d’Orsay. Il avait à mener deux types d’activités, à la fois complémentaires et contradictoires, le renseignement et les relations internationales. Ces dernières avaient pris un tel essor qu’elles ne permettaient pas de remplir correctement la première tâche : exploiter le renseignement. L’insigne était pourtant ambitieux : sur un fond sombre, une chouette éclairait un globe terrestre. Le noir était sensé représenter l’ignorance, le blanc l’innocence, la chouette la vigilance et le globe le champ d’action, à moins que ce ne soit une boule de cristal ?

 

Le « client » le plus exigeant du bureau en était le chef d’état-major de l’armée de Terre (CEMAT), car il voyageait souvent à l’étranger et recevait beaucoup de délégations. C’était ensuite l’ensemble de l’armée de Terre que le bureau devait informer sur les armées étrangères et pour laquelle il organisait les échanges, les visites et les voyages, sans compter diverses publications. C’étaient enfin toutes les actions visant à moderniser la fonction « renseignement » dans ses structures, son organisation ou la formation de ses personnels au sein de la toute récente filière Renseignement-Relations internationales-, une première ébauche de gestion par spécialité car, en France, il n’y a pas d’arme du Renseignement..

 

Un équipage de soixante rameurs était très occupé à faire avancer cette galère ! Ils étaient alignés sur sept rangées comme un chandelier à sept branches chargé d’éclairer le monde…en laissant subsister cependant pas mal de zones d’ombre :

 

Les membres de la section « Etudes » avaient du pain sur la planche puisqu’ils étaient théoriquement chargés des questions d’organisation, d’instruction et de mobilisation. Ils se contentaient, en fait, d’être les gestionnaires débordés des quelques milliers de cadres spécialisés dans le renseignement et titulaires de diplômes de langues étrangères. Ils s’occupaient également de traduction et d’interprétariat grâce à 500 interprètes de réserve dans 27 langues différentes.  

 

La section « Espace » ne chômait pas. Ses interprétateurs d’images s’entraînaient quotidiennement pour être au rendez-vous d’Hélios, lorsque ce satellite serait lancé.

 

La section « Armement » alimentait quotidiennement une énorme banque de données sur tous les armements terrestres du monde entier. Il en informait le commandement, instruisait les Forces, renseignait les techniciens et fournissait des arguments aux ingénieurs de l’armement.

 

La section « Monde soviétique » n’avait pas l’air de s’apercevoir que le mur était tombé et que l’URSS était en train d’éclater. Elle continuait imperturbablement à évaluer la menace comme elle le faisait depuis vingt ans.

 

La section « Monde occidental » émoussait sa plume sur les fiches de 126 pays. Dans cette période de réorganisation où chacun procédait à des comparaisons avec les armées étrangères, elle avait un travail de Romain.

 

La section « Coopération internationale » avait vu, en l’espace de quelques années,  ses activités multipliées par suite d’une véritable « explosion » des relations internationales. Son chef  traitait en une seule année 500 visites d’étrangers et  500 voyages à l’étranger ! Et, tous les jours, il devait s’occuper des demandes formulées par les 64 attachés militaires étrangers à Paris. Enfin, le soir, il était très souvent de « corvée de cocktail » dans une des ambassades parisiennes.

 

Sur le dernier banc de nage se trouvait le bureau surnommé « Emigration-Immigration » qui connaissait la même croissance exponentielle en s’occupant du millier de Français affectés dans 70 pays étrangers et du millier de stagiaires étrangers affectés en France. Observateurs de l’ONU, coopérants, assistants techniques, officiers de liaison passaient tous entre ses mains expertes.

 

On l’aura compris : les relations internationales s’étaient taillé la part du lion et le deuxième bureau ne faisait plus que de la figuration. La place du renseignement était sous-estimée (depuis fort longtemps) et le Ministre de la Défense venait de prendre la décision de réorganiser le renseignement militaire français au niveau national. L’armée de terre n’échappait pas à ce bouleversement et je débarquais en pleine tourmente.

 

 

 

Renseignement, état des lieux

 

Le moins que l’on puisse dire est que les enseignements dégagés de la toute récente Guerre du Golfe en matière de renseignement justifiaient cette réorganisation.

 

Mars 1989, l’attaché de défense français au Koweit estime possible une invasion de l’émirat par l’Irak.

 

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19 juillet 1990, l’Irak déploie deux divisions blindées de la Garde près de la frontière koweitienne. Le Koweit n’est pas dans la zone d’influence française et ne fait donc pas partie du plan de renseignement gouvernemental. Bien que les renseignements diplomatiques confirment l’imminence de l’invasion, personne ne juge utile de les confirmer par d’autres sources, les écoutes par exemple. Notre système de renseignement n’est pas sollicité et aucun moyen n’est déployé. Cependant, la coalition se renforce et la participation de nos Forces est décidée. Le raisonnement se fait malheureusement dans l’ordre : unités opérationnelles, moyens logistiques et enfin  moyens de renseignement. L’histoire et le simple bon sens prouvent que cet ordre doit être inversé : le renseignement doit devancer toute action militaire.

 

L’engagement de la division Daguet  a pourtant été précédé d’un ballet diplomatique et politique, dont la France a le secret, mais aussi  militaire, avec embargo, assistance armée et gesticulation. Pourtant, à son arrivée sur zone, le général en chef français n’avait toujours pas de bureau renseignement, alors qu’à la fin du conflit, son deuxième bureau totalisera 40 personnes.

 

Bien que chacun aurait dû savoir que l’acquisition du renseignement n’est pas instantanée et qu’elle nécessite un gros travail de préparation, les moyens « renseignement » sont ceux qui ont été déployés en dernier sur le terrain. Non seulement ils sont arrivés trop tard et en petit nombre, mais en plus, ils ont été mal employés, ou pas employés du tout, et la faiblesse des résultats obtenus a conforté encore davantage ceux qui méprisent le renseignement dans leur aberration, alors qu’ils auraient été mieux inspirés d’étudier les capacités des outils qu’on leur confiait. Ainsi, l’absence de résultats obtenus par une unité de guerre électronique (écoute) qui ne ramenait rien dans ses filets a fait l’objet de vives critiques sans que personne n’ose avouer qu’elle avait été placée en face de rien, partiellement, au coup par coup, sans cohérence ni finalité, et qu’il était donc normal qu’elle n’ait rien entendu.

 

De son côté, la section d’interprétation photo, composée d’excellents spécialistes, avait surtout servi à l’état-major de bureau dessin et d’atelier photo. Quant aux unités de recherche humaine, interdites d’emploi par le Président de la République après la capture d’une équipe du 13ème RDP, elles avaient rongé leur frein en attendant des jours meilleurs. Les commandos de recherche et d’action dans la profondeur (CRAP) ne sont arrivés qu’en février 1991 pour être utilisés comme une infanterie d’élite et non comme une unité de recherche.

 

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© Photo Bernard Slider

 

Alors que la formation et la mise en place d’une section d’interrogatoire de prisonniers de guerre avait été proposée dès le début du conflit par le BRRI, elle a fini par être improvisée en janvier au moment où la division Daguet était obligée de ralentir sa progression en raison de l’encombrement de milliers de prisonniers.

 

Tout comme les officiers de renseignement, nos officiers de liaison avaient été choisis pour leur connaissance de la langue anglaise et non pour leur compétence « Renseignement ». Isolés, sans moyens de transmission protégée, ni ordinateurs portables, ils étaient bien en peine d’échanger quoique ce soit avec les Alliés. 

 

Enfin, comme dans la plupart des conflits, l’après-guerre n’avait pas été envisagé et la récupération des matériels  ne faisait l’objet d’aucune procédure réglementaire. Cette mission à cheval sur le renseignement, la logistique et la sécurité a du être, elle aussi, totalement improvisée.

 

Contre vents et marées, le BRRI avait mené sa guerre franco-française pour tenter d’imposer l’envoi de moyens de renseignement, mais l’état-major des Armées, qui n’avait pas été capable de projeter une force importante de façon logique et cohérente, ne prenait en compte que les demandes exprimées par la division Daguet. Pendant ce temps, Américains et Britanniques se taillaient la part du lion et nous étions entièrement tributaires des Etats-Unis en matière de renseignement

 

A l’issue de ce conflit, tout le monde était au moins d’accord sur un point : l’effort devait être porté sur le renseignement qui allait être désormais considéré comme un préalable du domaine opérationnel. Les bureaux renseignement de chacune des armées allaient être regroupés au niveau national. C’est dans cet esprit qu’il m’était demandé de réorganiser le BRRI pour en faire le BRI, le R du renseignement étant transféré au niveau interarmées. Mon petit doigt me soufflait que j’allais l’accompagner, mais n’anticipons pas.

 

Général Patrick Manificat

 

(à suivre)

 

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26/10/2019
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