ATHENA-DEFENSE

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Guerre électronique, un article du Colonel Pierre-Alain Antoine ( 2° partie )

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Photo Dassault aviation

 

 

 

L’industrie française des contre-mesures aux cours de décennies    1950-1960 et ses programmes.

 

L’industrie française des contre-mesures est à l’origine fort dispersée. Les deux grands de l’électronique que sont alors CSF[1]et CFTH[2]sont présents dans les domaines des brouilleur offensifs, des tubes électroniques, des systèmes d’anti-brouillage (pour radars de défense aérienne pour CSF ; détecteurs d’alerte aéroportés  et tubes électroniques pour CFTH). D’autres sociétés de plus petite importance travaillent également dans le secteur électronique de défense comme Electronique Marcel Dassault, créée en mars 1962 et qui s’est vu confier la réalisation du brouilleur du Mirage IV. Il faut citer la compagnie FERISOL, spécialisée dans l’appareillage de mesures électroniques et qui réalise des stations sol d’écoute et d’analyse de signaux ; ELECMA, division électronique de SNECMA qui travaillent sur des éléments larges bandes (antennes, coupleurs) ainsi que TRT[3]et STAREC[4]. Pour des raisons de confidentialité et de politique industrielle, le recours à des fournisseurs étrangers est quasi inexistant, à une exception près : l’achat de chaff auprès de la société anglaise Chemring dont la mise en œuvre opérationnelle au profit du Mirage IVA est confiée à la GAMD.

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La fabrication de nouvelles familles de tubes électroniques est plutôt dans les mains de l’industrie spécialisée des Etats-Unis, mais l’industrie française, CSF principalement, mais également CFTH sait rattraper son retard. En effet, la mise en œuvre rapide de la composante aérienne de notre force de frappe est une priorité absolue et les crédits ne manquent pas. Les principaux programmes de matériels proprement dits couvrent la palette des équipements requis ; le programme le plus en vue est celui du brouilleur d’autoprotection du Mirage IV, pour lequel l’échec n’est évidemment pas permis .Nous avons déjà écrit que le développement de ce matériel, l’Agacette est confié à EMD, dans le cadre d’un contrat MWDP. Mais les ingénieurs s’aperçoivent bien vite que, dans la conception initiale, la densité du brouillage est trop faible pour garantir une efficacité suffisante. Vers 1959 est lancé, fort de l’expérience néanmoins acquise, mais sans en parler à nos amis américains, une version de l’Agacette aux performances améliorées. Cette version donne satisfaction et équipe en série les Mirage IVA. Pour la petite histoire, l’affaire de l’Agacette première version n’est pas terminée pour autant. Dans le cadre du contrat MWDP précité, l’US Air Force propose en 1962 de tester notre matériel sur un simulateur de système d’armes qui est à sa disposition au sein de l’usine General Dynamics à Forth Worth au Texas. Il est impossible de refuser une telle offre et le verdict tombe sans appel : « Votre matériel est sans doute très bon pour protéger les avions français, qui sont petits. Mais nos avions sont trop gros pour lui ». L’industriel français n’en est pas surpris autre mesure…

Autre programme de brouilleur, mais offensif cette fois, et donc en bande S, le Chipiron[5], développé par CSF et produit dans l’usine de Brest de Thomson-CSF. Ce brouilleur offensif est destiné aux Mirage III et Mirage IV, en fait, il équipe les Vautour[6] dans l’armée de l’air française et le même avion ainsi que les  SMB2 en Israël. Des programmes de détecteurs d’alerte aéroportés, destinés à prévenir nos pilotes de l’accrochage sur leur avion d’une conduite de tir adverse, sont lancés dans les années 1950. Fournis par CFTH sont destinés à équiper les Mirage III (BU/BZ) et les Super-Etendard (BW). Ils constituent la première famille des matériels aéroportés  entièrement transistorisés développée en France et leur mise au point complète ne va pas sans d’importantes difficultés liées à de fausses alarmes intempestives, qu’il faut du temps pour juguler sans altérer de façon inacceptable la sensibilité de détection.

Des matériels d’écoute et d’analyse des signaux, de la bande L à la bande X, sont également développés. Le programme de station sol, dénommées SMYRNE est conduit par la société FERISOL. Sa production équipe plusieurs stations sol de l’armée de l’air installées le long du Rideau de fer. Son successeur est le FURET. On peut encore citer un matériel plus original, le MARABOUT, développé de manière très discrète par ELECMA à l’intention des agents de nos services spécialisés pour l’analyse des radars de défense aérienne sur le territoires même des pays de l’Est ; Extérieurement, il se présente comme un simple poste à transistors, cependant sa mise au point n’est pas, là aussi, un long fleuve tranquille.

Tout cela n’a qu’un seul but : rendre crédible la force de dissuasion nucléaire française. D’autant que dès 1959, le général de Gaulle pense à une réorganisation de l’Atlantique Nord. Après sa réélection en décembre 1965, le président va encore plus loin et lors de la conférence de presse du 21 février 1966, il reconnait la validité du traité de 1949, mais ajoute « que les mesures d’application qui ont été prises par la suite ne répondent plus à ce qu’elle (la France) juge satisfaisant, pour ce qui la concerne, dans des conditions nouvelles »[7]. Le 7 mars, le président fait parvenir à son homologue américain, Lyndon Johnson, une lettre dans laquelle il réaffirme la volonté de son pays de « recouvrer sur son territoire l’entier exercice de sa souveraineté ». Dans cette optique, il confirme le retrait éventuel des forces françaises affectées au commandement de l’alliance, le départ des troupes et installations étrangères sur le territoire français ainsi que la fin de l’utilisation de l’espace aérien national par l’OTAN. Ces dispositions devront être effectives à compter du 31 mars 1967 à minuit, heure française.

Dans ces conditions et au point de vue du renseignement, il est certain que la France ne pourra plus compter sur les informations émanant de l’alliance ni des pays qui la compose.

 Or un principe est simple en matière de renseignement :

Un renseignement ne se donne pas, il s’échange.

Si vous n’avez rien à échanger, vous n’existez plus. C’est alors que la France va développer un ensemble très cohérent de recherches et d’exploitations du dit renseignement et en particulier du renseignement électromagnétique indispensable pour « nourrir » les bibliothèques des équipements servant à l’autoprotection du Mirage IVA.

Ce souci de la GE se traduit également par la proposition, en 1967-1968, par le chef d’état-major de l’armée de l’air, du programme RAGEL (avion de reconnaissance, d’attaque et de guerre électronique lointaine), considéré comme un successeur du Mirage IV. La guerre électronique doit être aussi bien défensive qu’offensive (surveillance électronique et brouillage à grande capacité). Ce programme se heurte à l’opposition de l’état-major des armées, de la DMA et du ministère de la Défense et est rapidement abandonné[8]. Le besoin en renseignement électronique n’en demeure pas moins réel, d’où lé décision de l’EMA, à la fin des années 1960, d’acquérir un avion de « renseignement électronique » capable avant tout de satisfaire le besoin des FAS dans ce domaine. Ce sera le programme du DC 8 SARIGUE[9]. Le porteur est un quadriréacteur croisant à très haute altitude. Pour des raisons budgétaires, on passe d’un programme à trois appareils à un seul. L’expérimentation du DC 8 SARIGUE, dont la fiche programme, élaborée par l’EMAA, date de 1972, commence en 1973. L’appareil, est déclaré opérationnel en 1977. Un DC 8 Sarigue NG[10], pourvu de nombreuses améliorations est mis en service en 2001 et sera rapidement mis à la retraite suite à un « embrouillamini » de responsabilités entre l’EMA et l’EMAA…Une mauvaise décision encouragée par les conséquences du concept des « dividendes de la paix », après la disparition de l’Union soviétique.

 

L’aviation tactique et la Guerre électronique

 

1972 constitue une seconde date clé et qui concerne l’aviation tactique. A cette date, l’armée de l’air tire les enseignements de la guerre du Vietnam. L’aviation américaine se heurte à une défense anti-aérienne équipée  « à la soviétique » particulièrement redoutables pour les avions de chasse évoluant à très basse altitude et à très grande vitesse avec cabré au dernier moment pour attaquer la cible désignée, se révèlent suicidaires[11] . En 1967, les Etats-Unis ont perdu 326 appareils au-dessus du Nord-Vietnam, dont 85% du fait de la défense sol-air[12]. Il s’agit en conséquence de s’assurer la maîtrise de la moyenne et de la haute altitude, grâce à un développement considérable des moyens de recueil de renseignements électroniques et des systèmes défensifs et offensifs des contre-mesures électroniques. L’US Air Force et l’US Navy équipent leurs aéronefs d’indicateurs de menaces, de lanceurs de paillettes et de brouilleurs défensifs. Ils développent des avions spécialisés  en GE offensives[13] et mettent au point le concept Wild Weasel à bord de F-100F Super-Sabre  équipés pour l’attaque des radars  grâce aux missiles Shrike. En 1972, au-dessus du Nord-Vietnam, les pertes américaines sont dix fois inférieures à celles de 1967.

 

A la lueur de ces enseignements, un comité de GE se réunit à l’EMAA et décide d’équiper les avions de la FATAC en moyens d’autoprotections électroniques. Il charge également le grand commandement de la mission d’aide à la pénétration de ses propres appareils offensifs par la mise en œuvre de brouilleurs électroniques à large bande et de lances-paillettes de grande capacité, mais également du missile anti-radar AS-37 Martel[14].

 

La FATAC dispose déjà d’une structure de GE : le Bureau de guerre électronique (BGE) au sein de son état-major. S’y ajoute le contrôle des cinq stations d’écoute[15] installées le long du rideau de fer et sur la BA 165 de Berlin-Tegel. Chaque implantation comportait un escadron électronique sol. A partir de 1986, le site de Goslar met en œuvre l’escadrille électronique équipée d’un SA-330 Puma ELINT. Une unité spécialisée, le Groupe électronique tactique (GET) est installé sur la BA 128 de Metz-Frescaty ainsi que l’escadrille de sept Nord 2501 Gabriel, remplacé par deux C-160 Gabriel[16] ; toutes ces unités sont réunies au sein de la 54ème escadre électronique le 1er janvier 1988.

 

En 1979, les Etats-Unis, l’Allemagne, et la France signent un MOU[17], créant le Polygone de Guerre Electronique (PGE) dont le centre de coordination du PGE à Bann B[18] près de la grande base aérienne de l’US Air Force de Ramstein.

Dès 1976, la 3ème escadre de chasse, équipée de deux escadrons de Mirage III E et plus tard d’un escadron supplémentaire volant sur Jaguar est opérationnelle en mission anti-radar grâce au missile AS-37 Martel.

 

A Toul-Rosières, l’escadron 2/11 « Vosges », équipé de Jaguar, a pour mission, la guerre électronique offensive et y ajoute la mission anti-radar à la mi-1987.

 

Pour être tout-à-fait complet la 33ème escadre de reconnaissance met en œuvre le pod ELINT ASTAC[19] jusqu’en 2014 ; ce pod vole actuellement sur Mirage 2000D.!

 

Les premiers avions de défense aérienne ont reçu des équipements d’autoprotection dès les OPEX dans les années 1980, puis c’est le tour des avions de ravitaillement en vol lors de la Guerre du Golfe en 1990, enfin les avions de transport se voient protégés lors des événements en ex-Yougoslavie.

 

Par ailleurs, la reconnaissance électronique spatiale est en route avec le lancement de plusieurs types de satellites comme récemment l’ensemble Céres.

 

Nous attendons également la mise en service des Falcon 8X Archange qui remplaceront avantageusement les Gabriel tant de fois mis à niveau et cependant vieillissants.

 

Pour conclure

 

La Guerre électronique n’a pas été la priorité de l’armée de l’air après le second conflit mondial. C’est vraiment à l’occasion de la mise en œuvre de la force nucléaire française que ce besoin est devenu une obligation et un élément déclenchant pour la suite. Une obligation pour pouvoir pénétrer les défenses adverses. Nous pourrons même dire que la GE sur Mirage IV était presque une « mesure démonstrative » et ce en reprenant un terme connu dans les souterrains de Taverny. Mais il a fallu être très attentif tout au long de la Guerre froide car la GE a souvent été une variable d’adaptation…et surtout après la Guerre froide. Or depuis la fin des années 1990, la France n’a jamais été autant sollicitée sur les théâtres d’opérations extérieures. Cela dit et compte tenu du fait déjà cité plus haut dans cet opus, que « le renseignement ne se donne pas mais s’échange », un pays, comme le nôtre, membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies se doit de garder les moyens de sa décision et d’action. Ces moyens passent par la Guerre Electronique sous toutes ses formes. Nous pensons qu’après le voile des « dividendes de la paix » qui est de fait un peu écarté, le nécessaire est fait et se renforce et se renforcera dans les prochaines années.

Cette communication montre que la prise en compte de la GE sous toutes ses formes par l’armée de l’Air et de l’Espace a vraiment débuté pour la mise en service opérationnelle du Mirage IVA. S’en est suivi une généralisation de l’autoprotection pour tous les vecteurs, cependant, nous avons beaucoup compté sur le parapluie électronique des Américains dans les trente dernières années.

S’ouvre à nous une période pendant laquelle nous aurons de nouveau, de nombreux défis à relever.

« La Guerre (électronique) est d’une importance vitale pour une nation, elle implique la vie et la mort. La Guerre (électronique) intervient dans le destin du pays. Elle demande donc une étude sérieuse. »

A part le mot « électronique », c’est encore Sun Tsu, général chinois, dans le chapitre premier de son « Art de la Guerre », écrit au Vème siècle avant JC, qui nous propose la marche à suivre.

 

Colonel (H) Pierre-Alain ANTOINE

Ancien pilote de chasse ayant débuté sa carrière opérationnelle sur F-100 « Super-Sabre ». A volé sur Mirage III E et sur Jaguar au sien de la 3ème escadre équipée du missile « Martel » anti-radar. A, pendant quatre années volé sur Mirage IVA et a commandé l’escadron 2/11 « Vosges », chargé dans l’armée de l’air de la GE offensive. Après un intermède comme directeur des Equipes de Présentation de l’Armée de l’Air à Salon-de-Provence, a commandé le Polygone de Guerre électronique, unité tri-nationale. A pendant douze années été conseiller opérationnel expert au sein du Groupe Thales. Se déclare, militant de la GE.

 

                   



[1] CSF ; Compagnie générale de télégraphie Sans Fil qui fusionne  avec TFTH en 1868 sous le nom de Thomson-CSF.

[2] CFTH : Compagnie Française Thomson-Houston. Houston n’étant pas la ville du Texas mais le nom de l’associé de ElihuThomson, Edwin Houston..

[3] TRT : Télécommunications Radioélectriques et Téléphoniques.

[4] STAREC : Fabricants d’antennes.

[5] Les équipements ARAB-4A Chipiron sont logés dans des conteneurs CT-2 d’une taille intermédiaire entre le bidon de 625 litres et celui de 1 300 litres. Chaque conteneur renferme deux Chipiron.

[6] Il s’agit des SO 4050 Vautour II BGE de la 92ème escadre de bombardement stationnée sur la BA 106 de Bordeaux-Mérignac.

[7] Perspective Monde (outil des grandes tendances mondiales après 1945)- Ecole de politique appliquée, université de Sherbrooke, Québec, Canada.

[8] Général Michel  Forget, colloque sur la GE en France au XXème siècle. Ecole militaire 20 avril 2000.

[9] DC 8 SARIGUE : Système Aéroporté  de Recueil d’Informations de Guerre Electronique. Il se trouve que la Sarigue est une petite souris blanche à grandes oreilles…

[10] NG pour Nouvelle Génération sur un porteur du type DC-8-72CF.

[11] C’est pourtant cette méthode que l’aviation de chasse des pays membres de l’OTAN, y compris la France ont employée jusqu’à la Guerre du Golfe en 1991.

[12] Les premiers ZSU-23/4 avec le radar de conduite de tir Gun Dish sont apparus en 1965 et a conduit à interdire l’emploi de la zone inférieure à 4 000 pieds.

[13] Comme des RB-66C Destroyer auparavant stationnés sur la base de TRAB (Toul Rosieres Air Base) en Lorraine.

[14] Martel : Missile Anti-Radar et TELévision.

[15] Goslar, Bad Lauterberg, Furth-im-Wald, Berlin-Tegel et Achern (pour la partie HF.

[16] Ces avions sont spécialisés dans l’Electronic intelligence (ELINT) et Communication intelligence (COMINT). Ces deux fonctions sont résumées sous le nom de SIGINT (Signal Intelligence).

[17] MOU : Memorendum of Understanding.

[18] Le PGE comporte, à sa création, trois sites en Allemagne : Bann B. Salwoog et Oberauerbach, et trois sites en France : Grostenquin (ancienne base canadienne en Moselle), Chenevières (ancienne base américaine en Meurthe-et-Moselle) et le fort des Adelphes à Epinal (88) (ancien fort Séré des Rivières).

[19] ASTAC : Analyseur de Signaux TACtiques.



15/04/2023
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