Guerre Israël – Hamas : un entretien avec un ancien officier du renseignement Israélien
Je rappelle ce choix, car il n’est pas inutile, en ces circonstances, de l’évoquer, au moment où les députés ont visionnés le film diffusé par Israël sur le pogrom et les massacres, réalisé en partie, par les auteurs eux-mêmes.
« Une mère juive descend d’un wagon à bestiaux après un long voyage sans eau, sans soin, sans nourriture, sur le quai recouvert d’une neige sale, les bergers allemands aboient, les officiers nazis hurlent, "schnell ! schnell !" et effectuent un tri, ici les vieillards, là les femmes, ailleurs les enfants. Cette mère juive a deux enfants, un garçon et une fille collés à sa jupe. L’un des officiers vêtu de noir lui demande de choisir, entre son garçon et sa fille, l’un ou l’autre devra rejoindre un groupe, lequel ? Celui des inutiles, des sacrifiés, de ceux qui ne pourront travailler ? Au loin s’échappant de deux bâtiments une fumée noire, l’odeur de crasse de déjection et de mort est insupportable. L’officier ricanant, le fouet à la main, la pousse à faire un choix, et la menace avec son pistolet Walther. C’est un choix impossible. De qui doit-elle se séparer ? »
Ce cauchemar, ce 7 octobre, des familles juives l’ont vécu, et pire encore. Il est juste de le répéter et de le répéter encore, jusqu’à ce que l’on comprenne que, d’un côté, il y a des terroristes venus assassiner des civils, hommes, femmes, enfants, sans objectif militaire, mais uniquement parce qu’ils sont juifs. Et, de l’autre, des soldats qui ont pour cibles des terroristes. Un enfant mort en vaut un autre. Mais dans le premier cas, il y a une intention, dans l’autre, une légitime défense. Car si rien n’est fait, ces barbares recommenceront.
C’est dans ce contexte que j’ai pris contact avec mon ami, le colonel Jacques Neriah, ancien officier du renseignement militaire israélien, ancien attaché militaire en France, en Belgique et au Luxembourg. Il a ensuite été le conseiller politique et diplomatique du Premier ministre Yitzhak Rabin. Âgé de 72 ans, Il vit actuellement en Israël.
C’est donc avec son autorisation et en le citant que je relate le contenu de notre conversation en date du 16 novembre 2023.
Le choix d’une offensive massive terrestre sur Gaza par Tsahal a-t-il fait l’objet d’un débat ?
Il apparait que l’intrusion du Hamas et son offensive du 7 octobre n’ont pas été anticipées, alors que certains signaux recueillis par le renseignement militaire évoquaient des mouvements de combattants à proximité du no man’s land bordant la frontière. La zone protégée d’un très haut grillage, bardé de caméra et de moyens électroniques, montrait une agitation inhabituelle depuis plusieurs jours, des drones pénétraient à l’intérieur d’Israël pour survoler certains Kibboutz. Aucun ordre de destruction n’a été donné. La remontée des informations n’a donné lieu à aucune mise en alerte particulière. Seuls deux hélicoptères de combat étaient en état de prendre l’air sur la frontière le 7 octobre.
En réalité, toute la politique de Netanyahou consistait à tenter d’affaiblir le lien entre le Hamas et la Cisjordanie, en essayant de transiger avec le Hamas, tout en continuant une politique d’implantation en Cisjordanie. Cette politique a amené (par excès de confiance ?) à donner des ordres totalement incompréhensibles, tels que celui de ne plus écouter les conversations captés par le renseignement électronique. Ces ordres donnés venaient directement du chef du renseignement.
La faillite du renseignement n’est donc pas la conséquence d’une incapacité à recueillir le renseignement, mais bien, comme on peut s’en douter, comme une volonté de minimiser la menace du Hamas, afin de continuer la politique menée par le gouvernement de Netanyahou.
Les jours précédents, le 7 octobre, aucun renforcement, aucune préparation, aucune mise en alerte des troupes ne furent envisagés, tout reposait sur la pseudo ligne Maginot.
Surprise et impréparation
Deux faits cités : sur les deux hélicoptères de combat qui étaient en mesure de prendre l’air sur cette partie sud, l’un d’eux, dès le début de l’attaque, a tenté de contenir les infiltrations à partir des brèches réalisées dans le mur de protection. Très vite, en manque de munitions, il a été contraint de se poser, le personnel technique étant absent, c’est le pilote lui-même qui a effectué le recomplètement en munitions.
Autre exemple, un bataillon d’infanterie de 500 hommes n’a pu intervenir, faute de pouvoir accéder au dépôt de munitions. Celui-ci était fermé et aucun personnel n’était disponible pour l’ouvrir.
Il est évident que tout cela a entraîné des conséquences en cascade et des morts de trop, et des responsables feront l’objet de sanctions, mais le temps n’est pas venu.
Les 8 et 9 octobre, ainsi que jours suivants, la réaction a été celle d’interdire tout repli des terroristes du Hamas vers Gaza, afin de les éliminer. Le bilan serait du coté terroriste de 2.000 tués.
Mon interlocuteur rappelle qu’il faut distinguer deux types de renseignements, le renseignement stratégique et le renseignement de terrain ou tactique. Si le premier a été un échec, celui de combat est actuellement nominal.
L’offensive du Hamas était préparée depuis au moins deux ans, le renseignement israélien a vu et constaté le renforcement de l’armement du Hamas et notamment par les passages souterrains entre l’Égypte et Gaza, dont certains sont des tunnels suffisamment larges pour laisser passer des véhicules. Munitions, vivres, carburant, en quantité suffisante, toutes au profit des combattants pour tenir le plus longtemps possible. Monsieur Neriah me confirme de nouveau que la surprise aurait pu être évitée si l’ensemble de la chaine du renseignement avait été écoutée. Le pouvoir exécutif porte là une très lourde responsabilité.
La surprise et l’impréparation de Tsahal furent donc totales, les deux étant liées. Seule la Marine était prête pour la défense côtière.
L’offensive sur Gaza
Cette offensive d’ampleur de Tsahal a été montée sans que des plans préalables aient été prévus par les États-majors, (je fais confirmer par deux fois cette information par mon interlocuteur).
Cette offensive a donc été montée dans l’urgence et menée après le 7 octobre, ce qui explique le retard dans la manœuvre terrestre, seule l’aviation a été en mesure d’intervenir très vite.
Les frappes (aviation et artillerie) sont menées en priorité sur des objectifs identifiés et sur renseignement afin d’épargner le mieux possible les populations civiles, tout en sachant que les effets collatéraux devront être limités mais inévitables. L’imbrication des cibles militaires avec des infrastructures civils rajoute de la difficulté à toutes les autres.
En ce qui concerne la tactique pour éliminer les combattants dans les tunnels, un groupe de Tsahal qui y a pénétré s’est fait immédiatement éliminer, il est donc exclu de pénétrer dans les tunnels, sauf à accepter de fortes pertes.
Ce qui est donc privilégié ce sont des bombes à fort pouvoir tellurique afin d’ébranler les parois des galeries, des bombes à fort pouvoir de pénétration, les dégâts sur les immeubles seront considérables, c’est assumé.
Par ailleurs, la condamnation de tous les accès, la destruction de la ventilation est systématique. Mais le réseau est tel, plus de 500 kilomètres et les réserves accumulées par le Hamas sont si considérables que des résultats tangibles ne peuvent être mesurés dans l’immédiat.
Une fois que Gaza ville sera tombée, les prochains objectifs seront Deir Al Ballah et le villes intermédiaires, puis Rafah. Les populations fuyant Gaza ville (le Hamas n’étant plus en mesure de leur interdire, se regroupent sous tente dans les plaines agricoles de Gaza. Il est certain que des combattants du Hamas utilisent pour s’exfiltrer les corridors littoral et central d’évacuation. Cela parait inévitable.
Personne en Israël ne souhaite une nouvelle occupation de Gaza. Après une éradication du Hamas à Gaza et une phase de gestion dans l’urgence, un an à deux ans au maximum, Israël se retirera, en tout cas c’est ce qui est prévu.
Le Hamas, qui est présent aussi avec le Hezbollah au Liban et en Cisjordanie, mais aussi le Hamas politique au Qatar et en Turquie, devront être mis en incapacité d’agir (difficile d’en savoir plus).
Mon interlocuteur avance un scénario, il n’est pas impossible que la Tunisie recueille un certain nombre de membres du Hamas. Mon commentaire : dans cette hypothèse aurons-nous à proximité immédiate de chez nous une menace supplémentaire ?
Les otages
Le Hamas tente d’utiliser les otages afin de contraindre Israël à un cessez le feu et espère que la pression internationale, alliée à la pression de la « rue arabe » fera plier le gouvernement israélien. La négociation qui consisterait à échanger les 230 otages israéliens ou binationaux ou étrangers contre les 6.000 prisonniers palestiniens en Israël n’est pas envisageable.
Le première-raison est qu’il n’y a aucune preuve sérieuse de vie des otages, lesquels sont morts, lesquels sont vivants ? La seule otage observée, une soldate de Tsahal lors d’une interview par la chaine de télévision du Hamas, a été depuis exécutée.
La seconde raison est, qu’en réalité, le Hamas ne souhaite pas libérer les otages dans l’immédiat, le but est d’attendre que la pression internationale soit suffisamment forte pour qu’Israël cède et négocie.
Concrètement, la libération des otages est donc pour l’instant, une affaire menée par Tsahal par le biais de ses forces spéciales qui tentent de les localiser. Cela passe par une exploitation fine des renseignements, l’exploitation des renseignement technique et humain, l’interrogatoire poussée des prisonniers, les écoutes électroniques, le retournement d’une partie de la population gazaouie contre le Hamas peut être un élément d’espoir.
Par ailleurs, mon interlocuteur insiste sur la panique des dirigeants arabes, Jordaniens et Egyptiens (mais pas que) face à la pression de la « rue arabe ». Leur solidarité de façade ne cache pas leur peur de perdre leur pouvoir dans une sorte de printemps arabe à l’envers. Le Hamas et ses alliés comptent aussi sur le réveil du sentiment anti-juif, notamment en Occident, pour peser sur Israël afin qu’il cesse les combats.
Ce sentiment anti-juif parfaitement orchestré s’illustre par des prises de position de moins en moins favorables à Israël. (Je suis parfaitement d’accord sur ce point avec mon interlocuteur). Le Hamas se donne un délai d’un mois pour faire basculer l’opinion internationale en sa faveur.
Nous convenons ensemble que la situation est hautement dangereuse, et que cette guerre contre le terrorisme ne devrait pas être celle du seul peuple juif, mais bien celle des démocraties.
Je remercie le colonel Jacques Neriah de m’avoir fait part avec franchise et vérité de sa vision du conflit en cours, mais aussi pour sa confiance.
Mon commentaire et ma conclusion
Cette crise montre à quel point la politique extérieure peut être influencée par la situation intérieure des pays. L’ampleur des manifestations propalestinienne en Europe, parfois à connotation antisémite influe sur l’attitude de certains dirigeants occidentaux et confirme la stratégie menée par le Hamas et l’Iran.
Le risque est bien celui de la déstabilisation de nos démocraties.
La politique d’appui inconditionnel à Israël lors des premiers jours de la part des dirigeants occidentaux se ternie peu à peu en raison de la crainte qu’une partie de leur population pro-palestienne ne se retourne contre eux.
Ceux qui verraient une allusion à la politique pour le moins erratique du président Macron, qui, sous couvert de recherche d’équilibre, risque de ne convaincre ni les uns ni les autres, n’auraient pas tout à fait tort. À force de jouer au fil de ferriste, il risque de perdre l’équilibre.
Le choix de Sophie ne serait-il pas aussi français ?
La guerre actuelle que mène Israël contre le terrorisme islamiste devrait être celle de toutes les démocraties face à l’obscurantisme et au terrorisme. Ces terroristes, principalement islamistes, ont un avantage sur nous ; ils font ce qu’il disent et exécutent ce qu’ils pensent. Le doute n’est donc pas permis. Il faut être ferme et juste.
Peut-être faudrait-il se souvenir qu’en choisissant le compromis avec les Nazis, en 1938, juste après la conférence de Munich, le gouvernement de Neville Chamberlain, alors premier ministre anglais, avait le choix entre la guerre et le déshonneur ; il a eu le déshonneur puis la guerre. Comparaison n’est par raison, certes, mais la politique de l’abandon de nos valeurs après celle de l’autruche risque justement de nous emmener où nous ne souhaitons pas aller.
J’espère que le choix de composer encore et toujours avec la radicalité islamiste, ce que nous faisons depuis 30 ans, avec un aveuglement constant, ne nous mènera pas un jour à une guerre civile.
Annoncer le danger n’est pas le souhaiter. Je suis né en même temps qu’Israël, je ne voudrais pas être témoin un jour de sa disparition et de la nôtre.
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Le Dr. Neriah a publié de nombreux ouvrages sur le Moyen-Orient dans le cadre du Centre de Jérusalem pour les affaires publiques (entre autres, Le jour ou Sadate fut assassiné, Julia, L'ascension et la chute de Béchir Gemayel). Il est titulaire d'une maîtrise en études orientales et docteur en philosophie de l'Université de Tel-Aviv.
« Le gouvernement avait le choix entre la guerre et le déshonneur ; il a choisi le déshonneur et il aura la guerre. » Cette pique aurait été adressée à Neville Chamberlain, alors premier ministre, juste après la conférence de Munich, en 1938. Rien ne vient l’attester, hormis le livre de M. Manchester. Selon Richard Langworth, il s’agirait plutôt de la réécriture d’une phrase extraite d’une lettre à Lloyd George. Churchill, qui doit son ascension politique à cet ancien premier ministre, lui écrit juste avant la conférence : « J’ai l’impression que nous allons devoir choisir pendant les prochaines semaines entre la guerre et le déshonneur, et j’ai assez peu de doute sur l’issue de ce choix. » Le Monde,
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