ATHENA-DEFENSE

ATHENA-DEFENSE

Le défi des ressources humaines dans les armées

Le défi des ressources humaines dans les armées

 
 
 
Dans un rapport récent du Haut Comité d’évaluation de la condition militaire, il est constaté « une érosion lente, mais constante » des vocations chez les officiers depuis une dizaine d’années. Ce phénomène particulièrement inquiétant ne touche pas uniquement le corps des officiers, mais l’ensemble des cadres sous-officiers et des hommes du rang.
 
1° RPIMa opérateurs.JPG

Les difficultés de recrutement et de fidélisation au sein de l’institution militaire s’accroissent et touchent tout autant la gendarmerie, la police, le recrutement des surveillants pénitentiaires, mais aussi, de manière générale, tous les métiers qui demandent un engagement personnel, une vocation.

Ce rapport de juillet 2023, de 216 pages, que je n’ai pas lu en entier, qu’on me le pardonne, se penche exclusivement, sur le seul corps des officiers. Et je le regrette, car ce phénomène est commun pour l’ensemble des catégories composant les armées.

 

Les causes internes sont relativement connues, même si elles ont pris de l’importance, en raison du passage d’une armée de conscription à une armée professionnalisée. Mais en allant plus loin et en s’intéressant aussi aux causes externes, on aurait pu faire l’économie d’un autre rapport à venir.

 

La Direction des ressources humaines du ministère de la Défense

Dès le début du rapport, on s’intéresse à des raisons administratives et indiciaires en se focalisant nécessairement sur les catégories assimilées à la catégorie A+ des fonctionnaires par comparaison avec par exemple, les commissaires de police.

 

Or, depuis des années, il a été mis en place au ministère des armées une gestion du personnel calquée en partie sur celle de l’entreprise.  La direction des personnels militaires, anciennement DPMAT pour l’armée de terre, qui était pilotée et gérée par des cadres essentiellement militaires, a été, avec les autres directions d’armées, remplacée par une DRH MD (Direction des ressources humaines du ministère de la Défense). Elle était censée révéler enfin la modernité au ministère des armée et garantir une efficacité, tout en faisant des économies de gestion.

 

On se souvient des mesures en cascade de dégraissage, nettoyage, lustrage, de la nouvelle politique issue de la RGPP (Révision générale des politiques publiques) grâce à laquelle, on allait voir ce qu’on allait voir : des économies d’échelle et de moyens, mais sans réelle vision d’ensemble. La rationalisation de l'administration des fonctions ressources humaines, communication, achats, finances et immobilier, qui conduit à la suppression de 54.000 emplois entre 2009 et 2015, la réorganisation des soutiens des armées : afin de mutualiser les services administratifs et les fonctions support des trois armées, a accouché en matière d’économie d’une souris et en matière de simplification, d’un mammouth.

 

On peut se souvenir incidemment de Louvois, ce fameux logiciel de calcul des soldes, mis en place en 2011, et qui ne sera retiré qu'en 2021, qui aura couté au ministère un bras, le bras étant un instrument de mesure créé à partir des économies escomptées, mais impossible à chiffrer, puisque le logiciel conçu pour le mesurer était alimenté par des données fausses.

 

En ce qui concerne la DRH MD, 4.000 agents (civils et militaires) sont affectés au sein de structures d'administration centrale, de structures "agiles" rattachées au directeur, et de quatre services à compétences nationales. J’encourage à cet égard à jeter un œil sur l’organigramme, deux pages, pour se faire une idée de la souplesse et de l’agilité d’un tel système.

 

 

Capture DRH MD.JPG

 

 

En considérant que les domaines du recrutement, de la formation, des parcours professionnels et de la reconversion obéissent tout d’abord à des principes communs qui « peuvent ensuite, si nécessaires, être adaptés aux particularités des armées, directions ou services », une partie des spécificités militaires semble avoir été minorée, or, c’est justement ce qui fait la particularité du métier.

 

Un métier militaire difficile

 

La difficulté de concilier vie privée avec les mutations et les absences, mais aussi, la totale disponibilité qui fait partie intégrante de la profession, est de moins en moins acceptée sans réelles compensations financière ou de récupération. Le manque de moyens pour remplir les missions et la baisse de moral qui va avec, en fait aussi partie. Par ailleurs, le risque inhérent à l’engagement qui peut aller jusqu’au sacrifice suprême, mais aussi, et c’est relativement nouveau, la judiciarisation du métier, interfèrent avec le recrutement et surtout la fidélisation.

 

Si on admet que l’officier est mal payé, que dire du jeune sous-officier célibataire en début de carrière, corvéable à merci qui doit se contenter de 1400 euros environ net par mois, alors que le surveillant pénitentiaire, métier difficile certes, est à 2000 ? Comparaison n’est pas raison, mais tout de même ! Le temps n’est plus où la gestion humaine consistait à dire que la principale fonction du militaire était celle d’obéir et de se taire (la réalité du discours était moins glamour). Aujourd’hui les chefs sont notés sur leur capacité à fidéliser leurs hommes, car la première bataille des armées est désormais celle des effectifs.

 

La perte de sens

 

Dans ces conditions, les soldats, les petits cadres sous-officiers, les spécialistes dans des domaines rares, et il y en aura de plus en plus, (en général les meilleurs), regardent ailleurs. Et c’est bien naturel, car le marché civil apparait parfois plus attractif.  Les armées savent former, instruire, entrainer, ses personnels masculins ou féminins et sur un marché du travail plus ouvert, le sérieux des anciens militaires commencent à être apprécié à sa juste valeur.

 

Or, à une certaine époque déjà, à la fin des années 80, (je fus aussi président des sous-officiers et officier conseil) j’attirais l’attention des chefs sur le malaise des jeunes officiers et sous-officiers. 45 ans plus tard, le phénomène a empiré avec la professionnalisation des armées, la perte de sens d’une partie des jeunes et un découragement des plus anciens. La suspension des Opex va accélérer les phénomène, sans oublier les Jeux olympiques à venir qui mobiliseront une partie des armées pour un métier de vigile qui n’est pas le leur.

 

La perte de sens est avant tout une perte d’essence au sens étymologique du mot. Ce métier d’une richesse extraordinaire à la dimension humaine exceptionnelle ne peut se concevoir qu’en donnant un sens à son engagement, un engagement qui demande un retour proportionnel à celui-ci de la part de la nation.

 

L’honnêteté, la sincérité, la modestie de cet engagement ne peut excuser le traitement méprisant. Le temps n’est plus où la vocation suffisait, cette jeune génération élevée au lait de l’individualisme est aussi en quête d’absolu, il suffit de gratter un peu pour le découvrir sous les apparences une générosité réelle.

Des difficultés identifiées

Il est normal pour un gestionnaire de s’intéresser aux officiers à fort potentiel, afin de les fidéliser. Il est tout aussi important de promouvoir ceux qui seront destinés à servir de longues années au contact des réalités du terrain. C’est ceux-là, qui, en premier, dans l’hypothèse d’une guerre de haute intensité, gèreront les hommes au contact. Je crains que, comme d’habitude, on s’intéresse moins aux seconds qu’aux premiers.

Et pourtant : « le manque de moyens matériels et humains pour accomplir les missions, la persistance des difficultés dans le soutien constituent des motifs récurrents d’insatisfaction des officiers et pèsent sur leur moral, au risque d’affecter leur motivation pour rester au sein de l’institution. Ils contribuent aussi à dissuader sous-officiers et militaires du rang de postuler pour devenir officiers. »

 

C’est pourquoi, il est nécessaire de prendre le problème dans son ensemble, sans tabou, mais je crains que ce rapport, comme tous les autres, ne rejoignent la pile poussiéreuse des précédents.

À ne vouloir traiter que les effets sans se pencher sur les causes profondes et sociétales, en minimisant les effets de la déconstruction de nos valeurs, en repoussant sans cesse la poussière sous le tapis, on ne pourra résoudre aucun de nos problèmes. Ici ou là comme ailleurs, le courage sera celui de mettre des mots sur les maux. Ce n’est pas gagné, essayons quand même !

 

Une fois de plus tout cela va sans dire, mais encore mieux en le disant.

 

Roland Pietrini



21/09/2023
22 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au site

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 1193 autres membres