Loi contre le séparatisme et charte, concilier l’inconciliable ?
Depuis la signature de la « charte des principes pour l’Islam de France » le 18 janvier dernier, les contestations de la part des musulmans se multiplient en France et dans le monde
L’intitulé du projet de « loi qui vise à lutter contre le séparatisme » et qui entend apporter des réponses au repli communautaire, tout en renforçant le respect des principes républicains et en modifiant les lois sur les cultes, porte en lui seul les arguties d’un langage à l’opposé d’une compréhension sereine.
Pourtant chacun s’accorde à dire que la cible est bien de lutter contre l’islamisme politique (ce qui est un pléonasme), mais par extension, certaines mesures dans ce projet apparaissent injustes pour les autres religions qui ne posent aucun problème à la République mais qui se sentent visées par des contraintes nouvelles injustifiées.
Ainsi, en visant toutes les religions par manque de courage pour ne pas en désigner une seule, on pratique l’amalgame, lequel est par ailleurs tant redouté par nos politiques à propos de la religion musulmane. Car si le musulman se réfère au Coran, l’islamisme est une idéologie politique qui passe par l’application rigoureuse de la charia qui est la loi islamique fondée sur les préceptes du Coran.
Kamel Kabtane, recteur de la Grande Mosquée de Lyon et président du CMR ainsi que Azeddine Gaci, porte-parole de CTIR, s’inquiètent aussi d’un climat général de suspicion à l’égard des musulmans. Cette problématique est bien le nœud gordien de la nécessité de concilier l’inconciliable en faisant en sorte que le monde musulman abandonne une partie de sa « Vérité » pour accepter la nôtre sans se sentir ostracisé.
L’islam en France peut-il devenir l’Islam de France et cela est-il souhaitable pour la France ?
Proposer aux musulmans regroupés en associations diverses de signer une charte, celle des principes pour l’Islam de France qui a pour « vocation à encadrer l’éthique et les règles déontologiques qui devront structurer le fonctionnement du Conseil national des imams » afin de fédérer les musulmans autour des valeurs républicaines est selon le chef de l’Etat un « engagement net, clair et précis en faveur de la République ».
Je note au passage que ce problème d’assimilation, nié jusqu’alors est bien réel. Il faut donner acte à Emmanuel Macron de l’aborder, avec les risques que cela comporte, car il est certain qu’à sa gauche, comme à sa droite, des ténors entonneront le chant des pleureuses pour les uns, ou le chant des partisans pour les autres.
Je subodore tout autant que quelques esprits éclairés distilleront auprès des musulmans des discours victimaires afin de se ménager quelques appuis lors des prochaines élections.
En réalité, cette chartre a été rejetée par le Comité de coordination des musulmans turcs de France (CCMTF), par Millî Görüs tout autant turc (CIMG) et le mouvement Foi et Pratique, proche des prédicateurs du Tabligh prônant une pratique religieuse rigoriste.
Les principaux points de désaccord exprimés par ces trois fédérations, mais elles ne sont pas les seules, portent sur la définition des « ingérences » étrangères et la définition précise de l’islam politique. Le terme « ingérences étrangères » utilisé pour le simple fait de respecter nos lois relève d’une dialectique inversée savoureuse. Nos valeurs seraient-elles à ce point « étrangères » aux leurs ?
En réalité, la « Charte des Principes pour un Islam de France » constitue un préalable pour la création d’un « Conseil National des Imams ». Ce CNI va ainsi labelliser des imams afin qu’ils puissent exercer en France. On comprend que cela puisse gêner certains états dont la Turquie, qui envoie des fonctionnaires turcs, payés par l’Etat turc, qui diffusent incidemment sur notre territoire des principes et une culture totalement différents de la nôtre.
On peut s’étonner qu’il faille prendre des gants pour dénoncer ces pratiques qui vont à l’encontre de notre souveraineté la plus intime : droits des femmes, celui des enfants, rapport avec la morale et la justice, diffusion d’idées réfractaires au progrès. Cela s’adresse à une population réceptive sans cesse renforcée par le regroupement familial et par une immigration non maitrisée. Cette influence étrangère, favorisée par notre laxisme, sur notre propre sol, est intolérable.
Certains diront que ni le regroupement familial, ni l’immigration venant du Maghreb n’ont de rapport avec le communautarisme et le séparatisme, j’attends qu’ils apportent la preuve du contraire.
Or, que ce soit par la loi ou la charte, le but est bien celui de lutter contre l’islamisme et il faut, par honnêteté, constater que cette bataille est loin d’être gagnée.
Jean-Pierre Chevènement qui indique lors d’une interview récente sur RCF que la situation n’est pas désespérée reconnait cependant que « Cela n’a pas l’air simple car ils sont extrêmement divisés (les musulmans) en raison des pays d’origine qui veulent conserver des leviers : la Turquie sur la communauté turque, les Algériens qui considèrent qu’ils sont les héritiers naturels de la France et que c’est à la mosquée de Paris que revient le contrôle, les Marocains considèrent que tout Marocain relève d’abord du commandement du Roi du Maroc et que l’on ne peut pas perdre sa citoyenneté marocaine, même en devenant Français » En un mot, et de manière triviale, on n’est pas sorti de l’auberge…
Lorsqu’on parle de citoyenneté et de valeurs républicaines, car il s’agit aussi de cela, les approches des uns comme des autres sont en effet différentes, selon leurs obédiences.
La problématique se complique devant le constat que le repli communautaire n’est pas uniquement celui qui serait provoqué par l’islamisme radical. 74 % des Français musulmans de moins de 25 ans, qui n’ont pas connu la colonisation, et qui ont pour la plupart une connaissance plus qu’approximative de leur propre culture et de leur religion affirment mettre l'islam avant la République, alors qu'ils sont 25 % parmi les 35 ans et plus, selon un sondage Ifop publié le 2 septembre pour Charlie Hebdo et la Fondation Jean-Jaurès. Cette idée de suprématie de l’Islam sur la République trouve donc ailleurs les raisons d’un tel choix. Nous sommes bien loin de l’idée même de citoyenneté.
Il est probable que la soumission de façade à l’islam, au moins dans les cités, soit d’abord une manière de contester la République. Elle est souvent le fait de jeunes totalement aculturés, car « nous » n’avons pas su leur donner l’amour de la France et la fierté d’être français.
Nous payons là la démission de nos élites depuis des dizaines d’années, gauche et droite confondue, qui ont acheté une pseudo paix civile en reculant partout sur nos valeurs. Pour rappel, puisque ces deux termes sont galvaudés, l’assimilation est l'abandon total de la culture d'origine de l'immigrant, alors que l'intégration admet la possibilité de rester attaché à sa culture d'origine en intériorisant les normes de comportement d'une société. Au cours des siècles nous avons absorbé de nombreuses populations exogènes, mais elles avaient toutes une caractéristique, celle d’être issues quasiment toutes d’une culture judéo-chrétienne. Ce n’est plus le cas aujourd’hui et c’est bien là que se situe le problème. Le contester est une forme de déni non exempt de motivation politique.
La citoyenneté, indispensable à toute conscience d’appartenance à la cité et par extension à un pays, fut construite en étroite relation avec l’idée de nation, dans le prolongement des lumières du xviiiè siècle. Cette notion a disparu chez un certain nombre de nos concitoyens au profit de reflexes tribaux de communauté. Quant à l’idée même de Nation, elle a été remplacée par les mondialistes au profit d’une pseudo supranationalité universelle. Le terme citoyen du monde n’a aucun sens, il en aurait un si le monde était uni culturel, ce n’est fort heureusement pas le cas. La diversité est une richesse à condition de respecter les différences sans mettre en danger notre propre culture.
Nous payons ainsi la destruction systématique de l’idée même de patrie, concept trop entaché selon certains de patriotisme comme s’il était honteux d’aimer sa patrie au point qu’on veuille la défendre.
La gauche, en tout cas une « certaine gauche », possède cette capacité parfaitement maitrisée à imposer le verbe. Tous ceux qui se réfèrent à des termes qui ne sont pas considérés comme corrects, selon des critères qu’elle est la seule à connaitre, sont immédiatement condamnés.
Pourtant, les concepts d’Etat, de Nation et de République sont des termes tout autant abstraits et imprécis, dont l’étymologie ne résout pas la signification ; ce n’est pas une raison pour associer ceux qui en sont porteurs de fachos, autre terme tout autant corrompu.
Ce sont des mots en partie valises qui portent en eux autant de prétextes à s’opposer. Si l’Etat comme institution n’est, en définitive, qu’une autorité souveraine, la Nation introduit l’idée d’origine commune ou par extension d’adhésion à des valeurs communes et la République n’est qu’une forme d’état dans laquelle les citoyens délèguent leur souveraineté par le vote.
La sémantique a une importance et plus les choses sont complexes plus il convient de tenter de les expliquer simplement.
Il faut relire le discours de de Gaulle prononcé place de la République, le 4 septembre 1958, pour s’en faire une idée plus claire. (1) La Nation par de Gaulle, c’était d’abord la France, puis le peuple, puis l’Etat, « Il n'existe donc pas chez lui une théorie abstraite de la Nation, mais la prise en considération de Nations singulières et concrètes à partir desquelles, dans leurs traits communs, on devine ce que peut être une Nation en général » extrait de l’Idée de Nation chez Charles de Gaulle dans les Cahiers de la Fondation Charles-de-Gaulle.
La Nation est donc éloignée de toute idée de nationalisme. Pour de Gaulle la Nation n’est pas une notion abstraite mais une construction issue de l’histoire depuis Clovis. (2) L’exception française c’est justement une compréhension juste de l’universalisme, mais nous avons perdu définitivement cette valeur d’exemple.
La France fut dans le monde un cas rarissime de coïncidence entre la Nation et l'Etat, entre l'unité culturelle et l'unité politique. Or, ce modèle n’en est plus un car nous avons abandonné à l’Europe au travers d’un concept de supranationalité et aux Etats-Unis dans l’OTAN notre capacité à produire nos propres normes. On ne peut être un exemple pour les autres si on ne peut produire un exemple pour soi-même. Il ne peut y avoir d’âme sans indépendance de corps et d’esprit… (3)
Le général de Gaulle était imprégné de l'histoire de France depuis sa prime jeunesse, comme le furent un certain nombre de jeunes de ma génération. Cette relation du roman national était parfois partisane, voire approximative, mais elle avait une qualité, celle de nourrir en nous et en tous ceux qui intégrait la Nation, une conscience collective d’un destin, celui de la France, que de Gaulle incarnait si bien.
Aujourd’hui l’idée que notre histoire serait honteuse, sous prétexte que la France s’est construite par les armes, n’a aucun sens. Tout comme l’Espagne et l’Angleterre, nous avons dominé le monde, en commettant des erreurs et des fautes, mais qui jugées avec nos critères d’aujourd’hui a pour conséquence l’application d’une repentance, d’autant plus imbécile qu’elle n’est accompagnée d’aucune notion de relativité.
La France qui s’est construite essentiellement sur le christianisme et la civilisation gréco-romaine accueillera d’autant mieux l’Islam qu’elle sera en mesure d’affirmer ses origines afin qu’elle puisse défendre ses valeurs. Non, la France n’est pas une terre d’Islam, c’est l’Islam qui doit s’adapter à nous et non l’inverse.
Faire de l’Islam en France un Islam de France, est une idée dangereuse si nous lui donnons en même temps la capacité de supplanter ce qui a forgé notre Nation. Certains en soulignent le danger, comme Philippe de Villiers qu’on ne peut accuser de ne pas connaitre son « histoire de France ».
Entre opposition à ce projet et adhésion, le débat est loin d’être clos, mais le temps n’est plus à l’immobilisme, les racines du mal sont profondes et il est peut-être trop tard. Le retour a une situation antérieure n’est plus possible, il est donc nécessaire de s’adapter et de ne plus reculer sur aucune de nos valeurs.
La laïcité devrait être, en effet, une protection pour toutes les religions mais elle est aussi notre talon d’Achille car les intégristes s’en servent en la détournant de son objet.
L’article 2 de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat dans son article 1A indique que la laïcité suppose un engagement fort et constant de la puissance publique pour assurer sa pédagogie et sa promotion.
Lorsque qu’au sein de l’école publique on est plus en mesure d’enseigner certains pans entiers de notre histoire, des sciences de la vie et de la terre et des religions, alors nous ne sommes plus en mesure de la défendre, notre neutralité n’est alors plus de mise, car le combat se déplace au niveau même de ce qui fait la force de notre civilisation, la liberté de s’exprimer, d’enseigner et la tolérance. Ce n’est plus le cas.
Alors, le temps d’un autre combat, dans une autre dimension, est venu.
Il faut passer de la défensive et de l’art du compromis à l’offensive afin d’imposer notre culture. Sans quoi nous serons définitivement dépassés et emportés par l’obscurantisme et l’arbitraire.
Cet article est relayé sur Politique Actu (politique-actu.com)
(à suivre)
Roland Pietrini
(1) de Gaulle, Discours à la République, 4 septembre 1958, MJP (univ-perp.fr))
(2) « Pour moi, l'histoire de France commence avec Clovis, choisi comme roi de France par la tribu des Francs qui donnèrent leur nom à la France. Avant Clovis, nous avons la Préhistoire galloromaine et gauloise. L'élément décisif pour moi, c'est que Clovis fut le premier roi à être baptisé chrétien. Mon pays est un pays chrétien et je commence à compter l'histoire de France à partir de l'accession d'un roi chrétien qui porte le nom des Francs » CdG
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