Minsk 2: un conflit gelé en terre froide..
L’accord Minsk 2 tient depuis le 12 février 2015 c’est-à-dire depuis presque un mois. Il semblerait qu’en dépit des tentations des uns comme des autres, les armes se sont tues et que globalement l’accord est respecté.
Le retrait du gros des troupes et des armes lourdes a été, semble-t-il, effectué, il reste à organiser les élections locales et à discuter sur le statut des régions passées sous influence russe. Il n’en reste pas moins vrai que cet accord est fragile et que l’essentiel reste à venir et notamment la question de la reconnaissance des frontières à l’Est de l’Ukraine.
Face aux séparatistes, l’armée ukrainienne n’a pas fait le poids ; moins par le fait de son équipement que par le moral des troupes engagées relativement peu déterminées face au moral sans faille des pro-russes, qui eux étaient efficacement appuyés, renseignés, et conseillés par des « volontaires » venant, le doute ne peut être permis, de Russie. L’armée ukrainienne était vaincue sur le terrain. Poutine était donc avant l’accord du 12 février en position de force et Porochenko ne pouvait que signer au bas du parchemin, avec une Merkel et un Hollande lui tenant en quelque sorte le stylo. Obama ayant, pourquoi ne pas le dire, été pris de vitesse, l’Europe reste au commande et Bruxelles, qui assure la médiation dans le conflit gazier entre Kiev et Moscou, a réussi à arracher un accord ce lundi 2 mars, ce qui montre à quel point Kiev sur le plan énergétique ne peut se passer de la Russie.
Dans ces conditions, le conflit ukrainien pourrait devenir et pour un temps long, un «conflit gelé en terre froide». La création d’une zone tampon de 50 à 70 km autour de la ligne de front ressemble à s’y méprendre à un provisoire qui risque de devenir permanent, comme le sont certains conflits figés, ceux de Moldavie et de l'Ossétie du Sud, par exemple.
L'avenir du cessez-le-feu et de l'accord «Minsk 2» dépend tout autant de Vladimir Poutine que des Occidentaux. Il apparait, pour ce qui nous concerne, nécessaire d’aller au bout de la logique de promesse de paix et de détente et revenir progressivement sur les sanctions économiques envers la Russie, et aussi de contraindre l’Ukraine à se réformer profondément. Il nous reste à sauver la face à défaut d’avoir sauvé l’Ukraine, car celle-ci reste économiquement sous perfusion. Dans ce contexte la livraison d’armes américaines à l’Ukraine semble inopportune, et l’Europe doit continuer à jouer son rôle de médiateur.
Mais un constat s’impose : cette situation offre à Poutine un certain avantage, celui d’un statu quo provisoire, avec pour conséquence pour l’occident l’impossibilité d’accorder à Kiev un rapprochement avec l’OTAN car cela serait considéré par la Russie comme une déclaration de guerre et l’Europe l’a très bien compris. C’est pourquoi je crois à une certaine stabilité dans le déséquilibre. L’essentiel de l’objectif ayant été atteint, Poutine peut marquer une pause. Ni sur la Crimée ni sur le Donbass nous avons les cartes pour le faire revenir en arrière.
C’est dans ces circonstances et sur ce fond de situation tendue, où tout le monde a intérêt à calmer le jeu, que survient l’assassinat de Nemtsov, opposant certain à Poutine mais qui représentait pour le Kremlin à peu près le danger d’une mouche posée sur la queue d’un éléphant faisant la sieste. A l’exclusion de quelques spécialistes, qui connaissait Boris Nemtsov en occident ? Né en 1959, homme politique devenu de tendance libérale après la chute de l’URSS, chargé de l'Économie de 1997 à 1998, il fut un proche de Boris Eltsine sous sa présidence. L'image de Nemtsov fut marquée par un scandale impliquant l’un de ses protégés, Boris Brevnov, qui nommé à un poste de direction dans le monopole énergétique russe RAO UES, lequel fut accusé par les autorités de surveillance financière de prise d’intérêt. Brevnov utilisait l’argent de sa société pour s’offrir des voyages en avion pour lui et sa famille et commettre des dépenses considérées comme extravagantes, ce qui pour un pays où la corruption est relativement commune doit être assez considérable pour être signalée. En conséquence, on reprochait à Nemtsov ses liens pas désintéressés avec certains oligarques qui avaient profité de la vague de privatisation des années 1990. Il fut plusieurs fois élu à la Douma (lors des élections législatives de 2007 il obtint avec son parti que 0,97% des voix). Accessoirement, il est amateur de belles femmes, ce qui est son droit le plus absolu, lors de son odieux assassinat il était d’ailleurs accompagné de sa compagne Ganna Douritska, mannequin de 30 ans, qui est actuellement protégée par la police russe.
Cet assassinat est donc survenu dans une phase délicate, celle où Poutine doit expliquer que son engagement en Ukraine a des conséquences plus que néfastes pour l’économie du pays. (il ne l’expliquera pas de cette manière, on peut s’en douter). Il n’est pas certain que dans cette conjoncture, ce soit le meilleur instant pour éliminer un opposant surtout si peu dangereux. En conséquence, il est probable qu’il faille chercher les commanditaires ailleurs. La piste tchétchène toujours évoquée en premier lieu m’apparaît peu vraisemblable, pas plus que la piste islamiste, Nemtsov aurait publiquement pris position pour condamner les meurtres de Charlie Hebdo. La question - à qui profite le crime ? - Permet d’avancer d’autres hypothèses. Dans les milieux proches du pouvoir, on parle de « meurtre commandité » de « provocation » qui selon les mots d'Ivan Melnikov, un responsable du parti communiste servirait à « relancer l'hystérie antirusse à l'étranger ». Le politologue Sergei Markov, proche du pouvoir, avance aussi l’hypothèse selon laquelle l'assassinat aurait été commis par les services spéciaux ukrainiens. Pourtant une piste reste possible, celle d’un règlement de compte lié aux affaires où sa compagne pourrait être mêlée ? Tout dans le déroulement des faits démontre un process qui peut être lié tout autant à des services privés particuliers, le savoir-faire est assez répandu qu’à des services « spéciaux » liés à des Etats ou à des organismes. Sauf que pour le Kremlin, l’intérêt d’éliminer un opposant, à condition qu’il y en ait eu un, aurait été celui d’agir dans la discrétion pas au grand jour et pas dans ces circonstances. Ce n’étaient pas les méthodes du KGB, ce ne sont pas celles du FSB.
Laissons le dernier mot à Mikhaïl Gorbatchev qui a déploré la mort de M. Nemtsov en exprimant la crainte que les assassins ne soient pas arrêtés : « Il faut trouver les tueurs, mais dans ce genre de crime (...) il est parfois difficile de les trouver. »
Roland Pietrini
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