ATHENA-DEFENSE

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Témoignage 44/45 (suite 3)

Je sors, plutôt seul le samedi pour me sentir  plus libre. Un soir, j’aperçois à travers une devanture une jeune femme, buvant un martini. Je décide de m’approcher d’elle en entrant dans l’établissement, je lui souris, elle me sourit, Quelle chance !. Mais immédiatement, un  des gars de l’orchestre probablement un peu jaloux, flaire le danger que je représente et arrive vers moi menaçant. Pas le temps de comprendre, trois hommes, des militaires foncent en jurant en corse madonache mi, ils veulent te corriger ! Et en un tour de main, après quelques insultes et échanges de coups,  je me retrouve dehors avec mes trois gardes du corps, qui me surveillaient.  Trois Corses, Serra de Bonifacio, Poli de Piana, Ottaviani de Lauretto de Cassinca, au bout d’une route de montagne à 15 kilomètres de Bastia. Dans la boîte, le ménage est fait. Les MP ne sont pas loin, il nous faut prendre le large, la fuite est la meilleure des tactiques dans ces cas-là. La nuit n’est pas terminée et tous les quatre nous la finissons dans d’autres lieux plus accueillants. Nous n’avons pas dormi, il fait jour, nous allons à la messe puisque nous sommes à Birmingham, la cathédrale est là. Les prières commencent et les chants finissent par m’endormir profondément, une jeune Américaine, accueillante et souriante, auprès de moi me réveille doucement et please direction le presbytère. Je suis un habitué des lieux. Ici le petit déjeuner est servi pour les militaires qui sont ici sacrés, la jeune fille me sert avec gentillesse et maints sourires, café, lait, pâtisserie. Pour elle, je suis fatigué,  je ne dois pas bouger. Un militaire français ou américain ou d’autres nationalités sont choyées comme des rois. C’est ainsi. Que c’est loin l’AFN, Blida, Casablanca, où nous étions si peu considérés.

 

La base de Selma m’attend, je fais en sorte d’arriver à 22 ou 23 heures maximum, vérification de mes papiers par les MP et je rentre au lit. Le lendemain notre professeur a préparé des pannes sur nos appareils de transmissions. Coupures de fils ou un condensateur périmé et autres choses. Il le fait avec délice et malice. Je le regarde du coin de l’œil. A moi de lui prouver que le petit français est plus malin que mon amerlo de professeur. C’est un jeu entre nous. Le premier trimestre 1945, à école de Selma et  à école de Maxerl Field, le morse n’a plus de secret pour moi, je me spécialise. Vitesse, ne pas faire d’erreur en transmettant chiffres, codes, enfermés dans un box représentant notre coin dans le B 26.

Malgré la tension et la fatigue  qui se fait sentir, je dois apprendre, puisque je suis ici pour être capable d’être opérationnel.

Et que dire alors de nos sorties de nos samedis, de nos dimanches, elles sont encore plus fatigantes Notre quête aux rencontres amoureuses se solde souvent avec tous les échecs, les interdits et les frustrations pour des jeunes de 20 ans. Un dimanche soir, de retour sur Selma je dors si profondément que je me retrouve au dépôt : Le chauffeur ne m’a pas réveillé. Je suis furieux. Et là, malheur,  je suis à l’opposé de mon camp de Selma. Pour le rejoindre, il me faut traverser les quartiers noirs. Il est 21 heures, j’ai 2 à 3 heures maximum devant moi avant le minuit fatidique. Je n’ai pas d’autres solutions, traverser avec tous les risques. A la première maison, je me présente : I’am friend !  Je montre mon écusson, cela déclenche un sourire, en montrant mon camp tout allumé que l’on devine à quelques kilomètres. Yes, Yes, ils appellent d’autres noirs, leurs voisins, ils me font une escorte d’honneur, et je traverse les endroits si dangereux en trois-quarts d’heure. Après je sers des poignées de mains chaleureuses à quelques centaines de mètres du poste. Si les MP savaient ce que j’ai fait, la prison, le retour en AFN. Je vais dormir et silence, silence même aux gardes du corps « mes Corses » je ne peux en parler. Les mois passent et nous sommes pas mal dégrossis, nous sommes informés que bientôt nous serons à Scott Field dans l’Illinois pas loin de Saint Louis (Missouri).

Pour l’instant mes notes sont excellentes. En avril le décès du président des Etats-Unis que j’apprends par un G I, qui a un fort accent : dead répété  sans arrêt avec des phrases incompréhensibles.  Good, good, Very good je lui réponds avec les seuls mots que je connais. Il était prêt à me sauter dessus, j’ai compris après pourquoi. En descendant du bus à Montgomery, j’apprends la nouvelle. Il pouvait être en colère.

Nous sommes en mai, les trois Corses et moi permission de quatre jours les 6, 7, 8, 9 mai 1945 direction le golfe du Mexique et la Nouvelle Orléans. 8 mai 1945, ici nous ne savons pas que l’Armistice est signé. Nous partons en train, le séjour aller et retour est gratuit ou presque. Une population locale bienveillante nous accueille, Certains parlent le vieux français. Les Cadiens et les Créoles anciens esclaves sont venus là voici bien longtemps. Il existe encore des bouges du 18° siècle sentant la vinasse. Nous sommes entourés avec un langage fleuri, l’écusson France fait toujours le même effet, surtout ici. Un restaurant se présente à nous, nous entrons, le garçon appelle le directeur qui nous accueille et nous met en évidence au milieu de la salle, c’est bien sûr après que nous en prenons conscience. Il nous offre  un Apéritif, et nous propose un repas français : Nous disons oui, d’un commun accord. Nous ne savons pas trop la signification des plats : poissons, vins blancs français, du Bordeaux et le reste se succèdent et jusqu’à 15 heures au moment ou le directeur vient nous offrir café, digestif étoilé et nous dit avec un grand sourire « Ce repas vous est offert. Grâce à vous,  nous avons rempli le restaurant et tout le monde a mangé à la française ». D’un commun accord nous remercions et laissons au personnel 20 dollars de pourboire. Dans la salle, la température est de  20 ° maximum, alors que dehors il fait 45° à l’ombre. Il est vrai que  nous sommes au sud des Etats-Unis. Nous sommes passablement éméchés et gaies, C’est moi le plus vieux, 20 ans depuis le 13.04.1945 qui donne le signal du départ. Nous visons la porte de sortie et nous montrons qu’un français tient très bien les bons vins. Nous décidons de rejoindre notre hôtel où une sieste s’impose. La Nouvelle Orléans n’a plus de secret pour nous, le quartier français avec son église, son jardin, ses commerces à la française. Les rues et tous les noms de lieux sont dans notre langue. Le quartier espagnol, est si particulier, avec ses balcons grillagés, ses couleurs criardes. Une curiosité, la maison de Napoléon ou il devait venir après sa défaite, est-ce une légende ?

Le Mississipi se prélasse avec tous ses bateaux à aubes. Un charme désuet se dégage ou les noirs jouent saxo, banjo, chantent des complaintes ou certainement le dur travail dans les champs de coton donne ses airs nostalgiques. Plus loin nous rencontrons un orchestre qui accompagne un cercueil porté par 4 noirs. La vie et la mort se mélangent dans une langueur assortie de chants superbes, des pas de danse naturels et majestueux. Les accents de cette musique nous laissent rêveur. Le lendemain, il nous reste dans l’esprit, ce paysage du golfe du Mexique, ce petit vent chaud et humide, Nous sommes déjà sur le chemin du retour.

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