ATHENA-DEFENSE

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Armées françaises, état et perspectives…


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Pour la photo

 

 

 

Alors que le BMPT Terminator, véhicule de combat et de soutien des chars, (Боевая машина поддержки танков : Boyevaya Mashina Podderzhki Tankov), arrive dans les forces russes, ce qui changera sans nul doute l’engagement des chars au combat, que l’Algérie poursuit sa course à l’armement en s’équipant des matériels russes de dernière génération, et que partout dans le monde les dépenses de défense augmentent de manière exponentielle, nous commençons à découvrir que l’hypothèse d’un engagement de la France dans un combat  de haute intensité ne saurait être écarté.

Cette hypothèse, jusque-là moquée, au motif que ceux qui l’avançaient étaient à coup sûr nostalgiques de la guerre froide et surestimaient les menaces, commence à être évoquée au plus haut niveau, sans que  de réelles mesures ne soient prises pour corriger le décalage qui existe entre la réalité de nos moyens et ceux qui seraient nécessaires pour en corriger les effets.

 

Cette constatation n’aurait aucune portée si elle était le seul fruit de mon imaginaire or elle n’est que le reflet d’une prise de conscience exprimée au plus haut niveau.

J’en veux pour preuve les déclarations successives du Général Lecointre et celles de ses chefs d’Etat-Major des trois armées. L’armée française est « éreintée, sous-équipée, sous-dotée, sous-entraînée », c’est ainsi que s’exprimait le 17 juillet 2018 à l’Assemblée nationale le CEMA(1).

 

Depuis, le constat n’a pas changé et dans certains domaines, notamment de la MCO, cela a empiré.  En 2030, disait-il, la France aura toujours « une armée de temps de paix », et il s’interrogeait pour « savoir si nos armées seront alors capables d’être engagées sur plusieurs théâtres, dans des conflits peut-être plus violents et en tout cas très différents de ceux d’aujourd’hui ».  

 

Pire encore, l’hypothèse encore tabou à l’époque, celle qui consistait à évoquer la possibilité que nos armées pourraient être engagées dans un conflit de haute intensité est aujourd’hui exprimée. Or nous ne sommes pas dimensionnés pour ce type de conflit.

Nous sommes trop légers, peu structurés, pas entrainés, sans réserve et sans capacité réelle d’encaisser un premier choc.  Cela est vrai pour les trois dimensions terre, air et mer.

Le constat est cruel. Nous serions aujourd’hui bien incapables d’engager une division comparable à la division Daguet qui le fut lors de la première guerre du golfe en 1990 et qui à l’époque alignait 12500 hommes, 132 hélicoptères, 44 Chars moyens AMX30, 96 Chars légers AMX10RC, 13 Sagaie, 18 Canons d’artillerie, renforcée, il est vrai, car estimée trop légère déjà par 4500 américains équipés de 50 Chars, 50 Obusiers, et des armes antiaériennes.

 

À l’exception de nos moyens de renseignement bien supérieurs aujourd’hui par rapport à ceux de 1989, nos déficits en chars, artillerie, couverture sol-air, appui génie et logistique sont en réalité bien inferieurs en volume par rapport à ceux qui existaient à cette époque. Nous possédions alors 3 corps d’Armées équipées de 1267 AMX30B et B2, 204 AMX10RC, 63 AMX13-90, AML et SAGAIE. (2)

 

En 2030, nous pourrons à peine aligner le dixième de ces moyens dans tous les domaines d’emploi. Le constat est encore pire pour la Marine et l’Armée de l’air, (lire mon article Armée de terre comparaison n’est pas raison).

Certes, ces nouveaux moyens sont incomparablement plus efficaces que ceux de 1989, mais les autres Etats ne sont pas restés l’arme au pied, ils ont pris l’ascendant dans bien des domaines, drones, artillerie, cyberattaques, robotiques…(CF le dernier conflit du Haut-Karabakh).

 

Les discours lénifiants de ceux qui persistent à faire croire que nos moyens sont supérieurs comparativement à ceux de nos adversaires possibles, continueront à l’affirmer en raison d’une règle qui désormais est celle de nos gouvernants successifs, l’art de la dissimulation, du mensonge et de la désinformation.

 

Cela fut illustré de manière remarquable dans cette crise interminable de la covid.  Quand il y a absence de moyens (cf les masques, les tests, les vaccins etc…) c’est qu’ils ne sont pas nécessaires voire contre-indiqués, quitte à affirmer le contraire par la suite. Quant à la politique du non-stock et du flux tendu elle est devenue contraire au simple principe de précaution que curieusement on applique dans tous les domaines sauf un, celui de la défense.

 

Autre exemple, il faudrait cinq ans au minimum, pour recomplèter nos stocks de munitions et de missiles. (4)  

En raison de ce principe élevé au rang de postulat, nous avons devant nous d’excellentes perspectives, celles dessinées par l’excellent Edmond le Bœuf, (cela ne s’invente pas), ministre de la guerre sous Napoléon III qui déclara à la veille de la guerre de 1870 que nous avions brillement perdue, « Nous sommes prêts et archiprêts. La guerre dût-elle durer deux ans, il ne manquerait pas un bouton de guêtre à nos soldats ». Amen !

À quoi servirait donc le renforcement de nos forces puisqu’avec 200 chars de combat, 340 de reconnaissance, 109 pièces d’artillerie, 13 LRU, les appuis (franchissement, artillerie, logistique au sens général) tout autant que la protection sol-air étant superfétatoire, nous sommes fin prêt au moins jusqu’en 2040, grâce aux moyens de renseignement et au combat collaboratif de haut niveau.

Nous avons au moins une certitude, grâce à tous ces moyens de supériorité, on sera certain de voir arriver l’ennemi et de mourir en sachant par qui l’on meurt. Perspective encourageante s’il en est.

 

Car en réalité nous manquons de tout, munitions, tubes d’artillerie, missiles, chars, hélicoptères, avions, frégates ne serait-ce que pour tenir notre rang de puissance siégeant, (pour combien de temps encore) au conseil de sécurité.

Si vous pensez que je suis trop sévère, j’accepte la contradiction et je répondrais à mes contradicteurs argument contre argument.

  

Pour s’en persuader,  il n’est pas forcément nécessaire de se comparer à l’armée russe ou chinoise mais de se jauger avec les armées qui sont réputées comme étant nos alliées… Et dans ce domaine-là nous sommes aussi, pour utiliser un terme largement répandu dans nos armées, à la ramasse.

 

La marina italienne a plus de FREMM, d’ailleurs mieux équipées que notre Marine, et devient la première marine et de loin en Méditerranée, son plan de construction est ambitieux et elle maintient 8 sous-marins d’attaque AIP et construira 8 corvettes de nouvelle génération 5 ans avant la Marine française qui prévoit de remplacer ses Floreal qu’à partir de 2030.

 

Or nous avons le second domaine maritime mondial avec 10,8 millions de km2 et nous sommes présent sur tous les océans contrairement à l’Italie.  Il faudra faire avec 15 frégates de premier rang, 6 sous-marins d’attaque et 1 porte-avions. Je mets à part nos forces nucléaires qui sont des forces de dernier emploi, qui ne sont pas, par définition, des forces d’emploi.

 

Le scandale de la révision de la cible des FREMM, sur lequel il est utile de revenir, on parlait lorsque la cible d’acquisition est tombée à 11 navires en 2009, d’un coût unitaire de 642 millions d’euros, soit une augmentation de presque 30% par rapport aux tarifs de 2008. En 2016, alors que la cible de 8 FREMM est confirmée, le coût du programme est estimé à 8 milliards d’euros au total, soit entre 800 millions et 1 milliard d’euros par frégate.

 

En clair, pour le prix d’une seule FREMM, nous aurions pu nous en payer près de deux aux conditions effectives en 2008 ! Parallèlement, le programme des frégates Horizon a été amputé de moitié pour les mêmes raisons budgétaires. Leur coût unitaire de quelque 950 millions d’euros a ainsi été jugé trop onéreux. Seulement deux unités – le Forbin et le Chevalier Paul - seront en service à l’horizon 2025, alors que 4 étaient originellement prévues.  Nous sommes donc passés de 17 FREMM à 10 puis à 8, dont deux à capacité anti-aérienne renforcée, pour compenser la construction de deux frégates anti-aériennes annulées.   Pour ceux qui n’auraient pas compris, on a réussi à s’offrir 8 FREMM pour le prix de 16…  

 

Toute cela a donc coûté « un pognon de dingue », au prétexte que les 5 futures frégates FDI qui compenseraient les 9 FREMM annulées seraient plus facilement exportables. L’illustration en est aujourd’hui donnée de manière éclatante, Naval Group à Lorient est en difficulté. (3)  

 

Certes, nous ne ferons pas la guerre à l’Italie pas plus qu’à la Grand Bretagne qui augmente elle aussi très sensiblement son budget de la défense et fait un effort considérable pour sa Marine. J’entends les tenants de l’Europe de la défense qui se félicitent de la bonne santé de nos voisins car cela, selon eux, permet à la France de dégager certains moyens en Méditerranée pour les consacrer ailleurs. C’est ainsi que l’on justifie la pénurie par des prétextes fallacieux.

 

Nous possédons sur le plan terrestre, un corps blindé squelettique, sous-entraîné, incomplet, surexposé aux menaces air-sol, incapable de franchir des coupures… (Autre exemple concernant le programme scorpion et le Griffon, qui ne sera pas équipé à 100%, ce ne serait pas nécessaire, à moins de les équiper plus tard, c’est-à-dire jamais).  Une marine sous-dimensionnée, une armée de l’air et de l’espace qui peut au mieux faire voler que 45 à 50% de ses moyens faute de pièce de rechange, et qui sert de réserve d’ajustement à l’exportation pour fournir d’autres armées, le constat est alarmant parfois burlesque.

 

 

France 2016.jpg
https://lefauteuildecolbert.blogspot.com/2017/05/marine-nationale-2015-2017-logiciel.html

 

En dépit de ce bilan, certains affirment que nous sommes la première armée européenne et la cinquième mondiale. En effet, selon la Think Tank Business intruder, la France prendrait la cinquième place du classement et la deuxième parmi les alliés des Etats-Unis et disposerait d'un budget militaire similaire à ceux de la Russie et de l'Inde.

La France peut compter sur 388.000 hommes et sur la puissance de 406 chars, (en comptant probablement les AMX10RC et Sagaie qui nous restent) 1.262 avions dont 299 de combat (on se demande où ils les trouvent) et 118 navires (en comptant probablement les remorqueurs, les patrouilleurs, les navires écoles !) 55 en réalité ce qui nous placerait au 7° rang mondial…, tout comme la Russie, la Chine et l'Inde, la République française dispose d'un porte-avions, ajoute le site.

 

En ce qui concerne la Russie, affirmer que son budget est inférieur à celui de la France est une stupidité, outre le fait que le budget est en rouble est qu’il est ensuite estimé en dollar sans tenir compte du coût réel d’acquisition du matériel, de la puissance de l’industrie de défense russe et de l’héritage de l’URSS. La Russie a  plutôt bien stockée et entretenue T72 et T64, 2S3, 2S1, 152D20, 130M46, BTR 80, etc…, qui pour ne pas être de première fraicheur constituent la masse contre laquelle il serait difficile de lutter. Avec le système russe appliqué à la France, nous aurions stocké et entretenu nos AMX30 B2, AUF1 etc… Mais c’est une autre histoire…

 

En poussant cette affirmation jusqu’à l’absurde, nous devrions donc disposer, tout comme la Russie, d’au moins 5000 chars, de 12000 VBCI, de 5000 pièces d’artillerie, d’une vingtaine de sous-marins nucléaires et de milliers d’ogives nucléaires! 

 

Contentons-nous de nous comparer à la Grande-Bretagne qui vient de changer totalement de paradigme. Le Premier ministre britannique, Boris Johnson, a annoncé un effort sans précédent depuis la fin de la Guerre Froide en faveur des forces armées du Royaume-Uni, avec un investissement supplémentaire de 16,5 milliards de livres sterling [18,5 milliards d’euro] pour les quatre prochaines années, il s’ajoutera à celui de 7,6 milliards de livres sterling qui était déjà prévu. Au total, ce sera donc 24,1 milliards de livres [27 milliards d’euros] supplémentaires qui profiteront aux forces britanniques. Pour rappel, le budget de cette dernière s’est élevé à près de 40 milliards de livres l’an passé. Ce qui fera une hausse de 15%, soit la plus forte depuis plus de 30 ans, en donnant de surcroit une priorité à la Royal Navy. Une fois de plus nous sommes à la ramasse.

 

En réalité, la projection 2030 avec la fin hypothétique du programme Scorpion et pour 2040 soit dans 20 ans le début du  programme Titan (2) avec le MGCS auquel je ne crois pas, (voir mon article Armée de Terre projection 2030, comparaison n’est pas raison), il faudra croire à la chance insensée que d’ici là, le monde, par un miracle que seuls les imposteurs qui nous gouvernent veulent nous faire accepter, restera stable.

Nous continuerons donc avec des moyens sous-calibrés et inadaptés à poursuivre les GATs en motos avec des Rafales et des drones et quelques hélicoptères, en laissant finalement à d’autres le soin de nous défendre, dans le cas où l’improbable se révèle probable, puis de probable devienne possible et que le possible ne soit devenu certitude. Affirmer notre indépendance en criant au secours auprès de l’oncle Sam chaque fois que l’on est submergé serait en réalité notre crédo.

 

 

L’urgence c’est maintenant, c’est-à-dire avant 2030. Des solutions et des pistes existent, je tenterai d’en parler prochainement.

 

Roland Pietrini

 

(1)   http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/comptes-rendus/cion_def/l15cion_def1718071_compte-rendu

 

(2)   RÉCAPITULATIF DES MOYENS BLINDES en 1989.

 

1er corps d'armée

2ème corps d'armée

3ème corps d'armée

Forces françaises

à Berlin

Division du Rhin

Total

AMX-30B et 30B2

481

363

382

41

… / …

1267

AMX-10 RC

60

72

72

… / …

… / …

204

AML-90

36

… / …

… / …

… / …

… / …

36

AMX-13/90

16

… / …

… / …

… / …

… / …

16

ERC-90

11

… / …

… / …

… / …

… / …

11

Total

604

435

454

41

… / …

1534

Répartie en 445 unités de combat, d'appui et de soutien de toutes tailles.

 

 

(3)   Paradoxalement, alors que les commandes publiques, en particulier celles de la défense, soutiennent opportunément et durablement le plan de charge de nombreux chantiers navals français, plutôt centrés historiquement sur le marché civil, le site Naval Group de Lorient voit arriver un très important creux de charge dès l’année prochaine. Spécialisé dans la construction de bâtiments de surface, le chantier morbihannais va connaitre une chute de 40% de son activité en production à partir de la fin 2021. La baisse se ressent en fait déjà dans les premières phases des activités de construction et deviendra palpable dès la mi-2021 selon les syndicats. Ce qui aura des conséquences non seulement en interne, mais aussi, souligne notamment l’UNSA, un « très fort impact sur la sous-traitance de production ».

© Mer et Marine https://www.meretmarine.com/fr/content/naval-group-confronte-un-important-creux-de-charge-lorient-joue-son-avenir

 

(4)   La gestion des munitions, un sujet de tension pour l’armée française. La France a désormais largué plus de bombes en Irak qu’en Libye en 2011. Les munitions coûtent cher et les commandes sont toujours prises au plus juste besoin. https://www.lemonde.fr/international/article/2016/11/04/la-france-a-desormais-largue-plus-de-bombes-en-irak-qu-en-libye-en-2011_5025292_3210.html

 

(5)   Le besoin croissant de connectivité, la dépendance mutuelle, le combat collaboratif, la capacité à travailler en coopération avec d’autres nations, la dépendance aux espaces communs – cyber et exoatmosphérique – sont, entre autres, les caractéristiques partagées des différents systèmes de combat à l’horizon 2035-2040 pour chacun des milieux « classiques » : terrestre, maritime et aérien. L’état d’avancement de ces travaux est cependant variable. Si le MGCS porte la succession du char de bataille de l’armée de Terre et sert de catalyseur à la recherche et au développement technologique terrestres pour la seconde moitié du XXIe siècle, les réflexions de l’armée de Terre portent plus largement sur un projet de milieu à l’horizon 2040 : Titan.



06/12/2020
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