ATHENA-DEFENSE

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DES SCENARIOS POUR UNE LPM ?

 

 

 

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Les généraux 2S Daniel Valéry ancien gouverneur militaire de Paris et Jean-Jacques Cahuet m'ont fait l'amitié de m'autoriser à relayer cet article qui est paru sur le bulletin de l'ANOCR  (Association Nationale des Officiers de Carrière en  Retraite)  numéro 489. ANOCR – Association Nationale des Officiers de Carrière en Retraite

R.PI. 

 

 

 

 

                                           DES SCENARIOS POUR UNE LPM ? 

 

                                        par les Généraux 2s D. Valery et J.J. Cahuet

 

 

 

Avec la crise du Covid, le Président de la République a pris l’habitude de gérer les différentes situations de crise à travers des « conseils de défense ». Cette appellation est une reprise du conseil de défense de l’Empire crée par le Général de Gaulle au moment de la France Libre en 1940 1941 pour lui servir de gouvernement provisoire. La défense étant le premier devoir du pouvoir exécutif, elle concerne néanmoins tous les citoyens et n’affranchit pas l’usage du processus démocratique.

 

 

Or, ces conseils de défense (santé, écologie, énergie, etc.) sont devenus un moyen pour le Président de gouverner sans passer par le parlement. En langage militaire, c’est de la conduite des opérations.

 

 

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Un conseil de defense

 

 

 

Le rôle du Politique est fondamental. Les spécialistes comme Jean Guisnel et J.D. Merchet s’accordent sur la nécessité de réévaluer notre modèle d’armée. Olivier Schmitt demande même la conception d’un nouveau Livre Blanc ou, a minima, d’une Revue Stratégique, avant de présenter une LPM consolidée et durable au Parlement. En effet, avant la conduite, il faut une planification qui prenne en considération diverses hypothèses définies par le politique conduisant à des variantes permettant divers chemins pour atteindre les objectifs stratégiques en fonction des circonstances réellement rencontrées.

 

LES LIVRES BLANCS :

 

La France a construit sa défense actuelle en s’appuyant sur plusieurs Livres Blancs dont les plus significatifs ont été élaborés en 1972 et en 1994.

 

Le LB de 1972 s’en tenait à trois grandes hypothèses de défense englobant la dissuasion nucléaire (Défense du territoire – sites stratégiques et essentiels - et de ses frontières terrestres, maritimes et aérienne ; participation à la défense de l’Europe au sein d’une coalition ; défense de nos territoires ultra marins et des espaces maritimes associés). Le respect de nos accords de défense en Afrique est une constante de ces scénarios.

 

Le LB de 1994, rédigé après la chute du monde soviétique, maintient la dissuasion nucléaire sans désigner d’ennemi et la nécessité d’une force opérationnelle terrestre nécessaire à la projection, la dissuasion, la prévention et la protection. Il revoit cependant le format des armées en prélevant les « dividendes de la paix » chers à Mr Fabius et définit, dans un environnement actualisé de celui du LB de 1972 six scénarios avec probabilité d’occurrence croissante et délai d’apparition pour le dimensionnement des armées.

 

Scénario 1 : conflit régional ne mettant pas en cause nos intérêts vitaux

Scénario 2 : conflit régional pouvant mettre en cause nos intérêts vitaux

Scénario 3 : atteinte à l’intégrité du territoire national hors métropole

Scénario 4 : mise en œuvre des accords de défense bilatéraux

Scénario 5 : opérations en faveur de la paix et du droit international

Scénario 6 : résurgence d’une menace majeure contre l’Europe occidentale.

 

Deux remarques :

 

1 – Ce Livre Blanc intervient après la guerre du Golfe (1990 - 1991), qui a imposé à la France de ne projeter que des militaires engagés (y compris des VSL).

2 – Dès son élection en 1995, tirant les leçons de la Guerre du Golfe et respectant une promesse électorale, Jacques Chirac a décidé de la suspension le Service National en accordant un délai de réalisation correspondant à son septennat. Ce LB est ainsi devenu caduque dès sa parution.

 

Le scénario 6 :

 

Les hypothèses ne sont ni exclusives ni indépendantes les unes des autres pouvant ainsi conduire la France à engager plusieurs actions simultanées. Cette perspective ne doit pas être négligée au moment de la constitution de nos forces.

Nous nous intéresserons essentiellement au scénario 6 qui est alors considéré comme « très peu vraisemblable et peu probable à l’horizon considéré » (20 ans).

« Il ne peut cependant être écarté car il présente un risque mortel ».

« Sa réapparition devrait prendre des délais suffisants pour qu’il soit permis de procéder, si nécessaire, à une adaptation progressive et un changement de format de notre outil de défense, à partir de dispositions appropriées prises dès le temps de paix. L’autorité politique doit décider, le moment venu, les mesures qu’imposeraient l’évolution et les caractéristiques de la menace. A cet égard, la difficulté sera de constituer effectivement un système de forces adapté, au fur et à mesure de l’affirmation d’une telle menace ».

La mise en œuvre du concept de « constitution de forces et de changement de format » se fera en « fonction de l’affirmation croissante et des caractéristiques de la menace ». IL ne s’agit plus d’une montée en puissance que permettait la mobilisation, mais bien d’adapter nos forces armées à un conflit majeur prévisible en termes de structures de forces et de commandement, d’équipement et de ressources humaines incluant des relèves.

 

MISSIONS ET CONTRAT OPERATIONNEL :

 

Les missions des forces armées se déclinent de la manière suivante :

1 – préserver les intérêts vitaux de la France contre toute forme d’agression

2 – contribuer à la sécurité et à la défense de l’espace européen et méditerranéen dans la perspective à terme d’une politique de défense européenne commune

3 - contribuer aux actions en faveur de la paix et pour le respect du droit international

4 -  assurer les tâches de service public, notamment en renforçant les moyens et les organisations normalement chargées de la défense civile du territoire.

 

L’analyse des hypothèses a ainsi conduit à définir, hors du conflit majeur en Europe, la possibilité de conduite simultanée des types d’engagements d’intensité différentes suivants : 

- un conflit régional de forte intensité dans le cadre d’une coalition ;

- une ou plusieurs interventions au profit d’un département ou territoire d’outre-mer ou en application d’un accord de défense ;

- une opération limitée en faveur de la paix ou du droit international.

 

Cependant, la capacité à répondre aux différentes hypothèses d’emploi, même simultanées, ne suffit pas à déterminer un modèle d’armée. Elle suppose en effet l’existence d’un dispositif permanent permettant d’assurer la dissuasion nucléaire et la protection du territoire, de participer à la prévention des crises et d’apporter un concours aux pouvoirs publics si nécessaire. Ces moyens constituent la « posture permanente de sûreté », déclinée par chaque armée sur tout le territoire national et permettant de projeter des forces déterminées sans préavis. Il en est de même pour les moyens nécessaires à l’instruction, au soutien et à la gestion des forces. Cette posture fournit les structures administratives et techniques permettant le changement de format de nos armées dans le cas du scénario 6.

 

Il débouche sur la LPM de 1997 qui définit le modèle d’armée 2015 devant permettre le déploiement de 50 000 hommes pour un combat en Europe (cet objectif sera réduit à 30 000 h dans le contrat opérationnel de la LPM 2009). En revanche la France devra être en mesure de déployer graduellement, et de soutenir dans la durée (18 mois), un détachement de 15 000 à 17 000 hommes dans un conflit intense en coalition. Elle devra aussi pouvoir projeter, à bref préavis, une force robuste de 3 500 à 4 000 hommes pour une entrée en premier dans une grave crise internationale, ou pour intervenir seule en urgence – par exemple pour sauver nos ressortissants.

 

LES LIVRES BLANCS SUIVANTS :

 

Après le second mandat du président Jacques Chirac, chaque nouvel élu a voulu marquer sa prise de fonctions par la publication d’un document sur la Défense : Sarkozy en 2008, Hollande en 2013 et une Revue stratégique pour le président Macron. Ce document plus politique que les précédents, est suivi d’une LPM de mise en application pratique des orientations.

 

Le LBDSN de 2008, rédigé sous l’impulsion du Président Nicolas Sarkozy nouvellement élu, prend en compte les risques et menaces liées au développement des moyens de communication, à la mondialisation des échanges et au terrorisme. Il prend en compte les crises irakienne et afghane, tout en s’intéressant à l’arc de crise du Maghreb en se plaçant résolument au niveau politique, tant nationale qu’internationale où il redéfinit le rôle de la France.

 

Il a pour ambition essentielle de redéfinir une politique de défense et de sécurité nationale pour la France au sein de l’Union Européenne en développant les moyens nécessaires à l’UE pour la gestion des crises. Constatant les nouvelles ambitions de la Russie et de la Chine, il n’en fait cependant pas un objet de menace à court terme pour notre pays.

 

Le tome 2 examine les hypothèses d’engagement opérationnel :

- sur le territoire national,

- mixtes, civiles et militaires, hors du territoire national, en développant les fonctions à développer ou maintenir comme l’anticipation, la prévention, la dissuasion, la protection et l’intervention dans les domaines des moyens de commandement, des matériels, des soutiens et des ressources humaines.

 

Peuvent alors être dimensionnées les forces nécessaires sous la forme de contrats opérationnels liés aux effets politiques et militaires recherchés pour chaque composante (terrestre, maritime , aérienne et interarmées).

 

Rappelant les rôles des différents ministères dans une défense globale, le LBDSN promeut une stratégie industrielle tournée vers l’Europe dans tous les secteurs des matériels d’armement en favorisant la mutualisation de la recherche et son aspect dual civilo-militaire favorisant ainsi les exportations, et leur contrôle, en vue de maîtriser les coûts et les délais.

 

Il ne définit aucun effort financier, ce qui, compte tenu de l’état des finances publiques ne présente pas une force en adéquation avec les ambitions affichées ! 

 

 

 

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Le LBDSN de 2013 a été une actualisation du précédent, prenant en considération les évolutions de la situation géopolitique mondiale et les conséquences de la crise économique de 2008. Il acte la montée en puissance des budgets militaires russes et chinois. En particulier il met en garde devant les risques pour l’UE de l’utilisation possible par la Russie de l’arme économique (gaz) qui se dote ouvertement d’une réelle politique de puissance.

 

Ainsi, la France a-t-elle fait de la coopération étroite avec Moscou un de ses objectifs politiques !

 

Les priorités assignées à la Défense sont ainsi réévaluées :

A – Protéger le territoire national et les ressortissants français, et garantir la continuité des fonctions essentielles de la Nation ;

B – Garantir ensemble la sécurité de l’Europe et de l’espace nord-atlantique ;

C – Stabiliser ensemble le voisinage de l’Europe ;

D – Participer à la stabilité du Proche-Orient et du Golfe Arabo-Persique ;

E – Contribuer à la paix dans le monde.

 

Les grandes fonctions opérationnelles restent l’anticipation, la dissuasion, la protection, la prévention et l’intervention.

 

Les moyens accordés à notre stratégie :

 

Un nouveau contrat opérationnel et un modèle d’armée adapté avec 4 principes directeurs : autonomie stratégique, cohérence du modèle d’armée avec les scénarios prévisibles d’engagement, un principe de différenciation des forces et un principe de mutualisation des capacités rares et critiques.

 

Le contrat opérationnel est revu à la baisse :

 

- Renfort des forces de sécurité intérieure : maxi 10 000 h des forces terrestres ;

- Echelon national d’urgence : 5 000 h en alerte, permettant de constituer une force interarmées de réaction immédiate (FIRI) de 2300 h projetable jusqu’à 3000 km dans un délai de 7 jours ;       

 

Cette FIRI est composée de forces spéciales, d’un GTIA de  500 h équipé d’engins blindés et d’hélicoptères, d’un groupe naval constitué autour d’un BPC, de 10 avions de chasse, d’avions de transport tactique, de PATMAR et de ravitaillement en vol, et des moyens de commandement correspondants.

 

 - Dans les opérations de gestion de crise, les armées devront pouvoir engager dans la durée sur 2 ou 3 théâtres distincts dont 1 en tant que contributeur majeur, l’équivalent d’une brigade interarmes (6000 à 7000 h), une frégate, un BPC et un SNA selon les cas, une douzaine d’avions de chasse pour l’ensemble des théâtres.

 

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SNA Le Rubis

 

- En outre, dans une opération de coercition, avec un préavis de 6 mois, la France pourra engager, avec les moyens de commandement et de soutien logistique correspondants, des forces spéciales et une à deux brigades interarmes représentant 15 000 h des forces terrestres susceptibles de former avec des renforcements alliés, une division dont elle pourra assurer le commandement.

 

 

A l’issue de cet engagement, elle conservera la capacité à déployer une force interarmées dans une opération de gestion de crise dans la durée.

Ces missions débouchent sur le modèle d’armée 2025.

La lutte contre le terrorisme correspond, pour les armées, à la mise en œuvre du plan Vigipirate, auquel toutes les formations participent en coopération renforcée avec les forces de sécurité intérieure (police et gendarmerie).

 

Dès son élection en 2017, le Président Macron a souhaité une revue stratégique sur la défense. Présidée par le Député Européen Arnaud Danjean, elle a mis en évidence la persistance du niveau élevé de la menace terroriste en provenance des zones les plus porteuses de risques, la simultanéité des crises, l’affirmation militaire des puissances chinoise et russe, l’affaiblissement des cadres multinationaux alors que des fragilités se multiplient devant les risques climatique, migratoire, sanitaire, énergétique et mafieux. La commission en déduit les aptitudes prioritairement requises pour les armées françaises tout en confirmant le caractère essentiel du renouvellement des deux composantes de notre dissuasion nucléaire.

 

 

A sa réélection en 2022, avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie, il a d’abord demandé une actualisation de cette revue, à réaliser par les Etat-Majors et le cabinet du Ministre des Armées, puis devant l’extension potentielle à l’Europe orientale pouvant impliquer l’OTAN, l’élaboration d’une nouvelle LPM à présenter début 2023, couvrant les années 2024 à 2030.

 

Conclusion :

 

Ainsi, le scénario 6 du Livre Blanc de 1994 serait en passe de se réaliser. Les délais d’élaboration et de réalisation sont contraints pour « changer de format et constituer les forces » mais il n’y a plus de temps à perdre. On peut néanmoins se poser la question de l’état réel de l’armée russe lorsqu’elle sera aux portes de la France après un parcours qui n’aura rien de comparable à la campagne de Russie de Napoléon, elle aura à traverser la Pologne et l’Allemagne, et surtout à vaincre l’OTAN. Dans ces conditions, l’emploi de l’arme nucléaire par les forces russes ne saurait être négligé.   

 

 

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Rafale

 

 

Comme nous l’avons vu, l’élaboration d’une LPM est un processus relativement long et complexe, mais indispensable à la survie de notre Nation. Les étapes à suivre en accéléré ne pourront être court-circuitées sans faire courir un risque mortel au pays.

 

L’examen des LB de 1972 et 1994 pourrait être utile aux experts qui élaborent la nouvelle LPM. En effet, l’examen des combats en Ukraine montre que l’armée Russe a conservé la plupart de ses procédés de combat (appui massif d’artillerie, soutien franchissement aléatoire, soutien logistique incertain, etc.) permettant une relativement bonne anticipation des besoins pour lui résister. L’Ukraine a d’ailleurs montré le chemin en obtenant des résultats admirables avec des moyens comptés.

 

Généraux 2s D. Valery et J.J. Cahuet

 

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12/12/2022
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