Conflit syrien: toute ressemblance avec des situations existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite.
Une mission impossible
Toute ressemblance avec des situations existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite.
La Menace ( extrait)
Le lendemain, boulevard Mortier, dans l’un des bureaux du premier étage du bâtiment M3, de la Direction des Opérations, Sylvie, une pétillante femme de 35 ans, chef du service évaluation Moyen-Orient se tient debout face à l’écran et commente les cartes et les organigrammes de l’architecture de Daesh et du Jabhat al-Nosra en Irak et en Syrie.
Charles poursuit le protocole de préparation avant son départ. Une réunion parmi toutes celles organisées par la Centrale auprès des analystes, mais aussi auprès des exploitants de la DRM et de la DCRI. Elle décrit avec une petite voix douce une situation générale particulièrement confuse.
-La coalition arabo-occidentale de 2014 est parvenue à faire reculer les forces de l’État islamique en Irak et au Levant, mais les différents cessez le feu n’ont pas permis de modifier la situation en profondeur. Le front islamiste partagé entre les modérés et les salafistes proches des djihadistes mène sa guerre d’influence contre ses rivaux de l'Armée syrienne libre, de l'État islamique de l'Irak et du Levant et du Front Jabhat Al-Nosra affilié à Al Qaëda, même affaibli reste très actif et influant. Quant à l’ASL, les Américains ont tenté d'armer et d'entraîner certains de ces groupes à partir de 2013, sans grand résultat. Ces groupes sont en réalité largement supplantés par les combattants salafistes et djihadistes et concluent régulièrement des alliances de circonstance avec des groupes plus radicaux, souvent formés à partir d’éléments « étrangers ». L’apport des combattants extérieurs et l’action contrariée des Kurdes par les Turcs, sans oublier l’apport des forces spéciales russes et occidentales complexifient une situation devenue illisible.
Elle marque une pause et projette une série de cartes des implantations des différents groupes armés avant de poursuivre.
- L’envoi par les Etats-Unis de conseillers et l’apport des forces spéciales au sol notamment en Irak, n’ont pas changé fondamentalement le rapport de force. Seule la coalition menée par la Russie, l’Iran et le Hezbollah a marqué des points en Syrie, par des bombardements massifs et une coordination efficace avec les forces restées toujours fidèles à Assad. Les Russes en ne faisant aucune distinction entre les différents groupes armés anti Assad, tous considérés comme terroristes et notamment celles faisant partie des alliances ponctuelles de circonstances comme par exemple entre le Front Al-Nosra (la branche syrienne d’Al-Qaïda), Ahrar Al-Sham et Jound Al-Sham, risquent, au contraire, de renforcer ses alliances, ou d’en créer de nouvelles, y compris, ce qui n’est pas exclu, par un rapprochement avec Daesh. Une coordination tactique entre les différents protagonistes est difficile à mettre en place, notamment entre les forces occidentales et les forces russes. A l’ouest de la route stratégique Damas- Homs, Hama, Alep, Azaz, tous les territoires sont devenus, de fait, zone de responsabilité de la coalition menée par les russes. A l’est, le long de la frontière irakienne jusqu’à la vallée de l’Euphrate la coalition occidentale menée par les Américains tente de contenir les zones contrôlées par Daesh.
Charles connaissait parfaitement cette situation et commençait à s’impatienter. Il avait l’impression de ne rien apprendre de nouveau. Finalement, elle lui paraissait un peu jeune. Il avait tort. Cette jeune femme brillante et diplômée était sortie en tête de sa promotion de Sciences PO. Jeune chef de service elle maitrisait parfaitement son sujet et savait faire preuve d’autorité
Charles reprit la parole.
… J’ai lu les télégrammes, les NR (notes de renseignement) et les rapports concernant tout cela, autant ceux du quai d’Orsay, de la DRM, de la DCRI… Et ils sont déprimants pour un opérationnel.
Il était fatigué, Sylvie était certainement compétente, mais il en attendait autre chose. Elle tenta en souriant de reprendre la main, le sachant inattentif. Elle poursuivit.
- Daesh comme Al-Nosra ont su adapter leur tactique, ils se sont dilués dans l’espace en petit groupes extrêmement très actifs, notamment Al-Nosra à l’Ouest. Leur objectif est encore plus qu’auparavant d’exporter le conflit là où la déstabilisation est possible dans les régions qui résistent encore. La Jordanie, le Liban, la Libye… Le haut commandement est conscient d’être arrivé à la limite de la logique de l’intervention militaire. Quant à notre situation en Europe, vous avez eu hier un topo à la DCRI.
Elle le regarda une nouvelle fois et sentit son impatience.
- Je viens à l’essentiel… Daesh est en passe de franchir une nouvelle étape, après celle des attentats d’initiative individuelle, elle est au stade de l’attaque directe en Europe avec des groupes armés et encadrés par une hiérarchie visible, s’appuyant sur des populations indigènes à l’Europe ou récemment installées. Son action terroriste risque d’employer des méthodes jusque-là non utilisée dans sa stratégie de la terreur. Détournement ou explosion d’avion en vol, attaques de gares ou d’aéroports et emploi éventuel des armes chimiques ou biologiques. Ils sont aussi au stade primaire de l’infiltration notamment en Egypte, où ils placent des éléments dormants ; ainsi ils progressent très vite. On mesure, notamment dans les zones non urbaines leur capacité à infiltrer les populations délaissées et abandonnées par le pouvoir ou l’absence de pouvoir, et on connait l’endoctrinement méthodique qu’ils font subir à la population otages des thèses d’Al Qaeda ou de Daesh mais aussi abandonnés par les différents régimes et contraints à la misère. La stratégie des groupes islamistes obéit à une logique dans laquelle le temps n’a pas d’importance. Ils ont eu des délais suffisants compte tenu de notre immobilisme pour faire évoluer à la fois leurs techniques de communication et leur stratégie militaire…
Charles souhaita interrompre cette démonstration qui de son point de vue ne lui apportait pas grand-chose et tenta de faire retomber une certaine tension entre elle et lui. Il lui sourit et proposa de partager un café
- Si nous marquions une pause ?
Ils sortirent de la petite salle de réunion dans un couloir violemment éclairé dont les murs revêtus d’une peinture gris-clair « administrative » pouvait évoquer une clinique, un hôpital ou un dortoir. Après tout c’était une sorte d’hôpital ici, mais comme souvent, en ces lieux on pouvait poser le diagnostic, mais rarement avoir les moyens d’arrêter le processus clinique et inéluctable d’un malade qui agonise. Cela appartenait aux politiques, et encore ils étaient sans grand pouvoir et chacun savait ce qu’ils valaient. Le monde était comme un poids-lourd dont les freins venaient de lâcher dans une descente, et dont le conducteur comprend qu’au prochain virage le précipice l’attend. Le café fut rapidement expédié. Elle glissa une excuse timide.
- Nous avons énormément travaillé, surtout mon équipe. Elle murmura, comme pour s’excuser, vous les opérationnels, vous avez la tête dans le guidon et parfois il est bon de rappeler le contexte dans lequel vous allez travailler. Vous savez, j’ai aussi un profond respect pour votre action… D’ailleurs on ignore totalement les réalités et les contraintes que vous subissez sur le terrain, cela nous échappe et c’est mieux ainsi. Mais sachez que l’on ne sous-estime pas ce que vous faites.
Elle s’était un peu lâchée, ce n’était pas le style de la Maison. Au retour dans la salle de réunion, la tension avait baissé, on allait passer à l’essentiel.
- Reprenons si vous voulez.
Sylvie se sentait tout autant soulagée que lui, ce qu’elle avait à dire relevait de la compétence de Simon. Elle allait donc parler sous son contrôle.
- Parmi les cinq millions de réfugiés syriens répartis essentiellement au Liban, en Turquie, en, Jordanie et en Europe, il nous a semblé utile d’en cibler un certain nombre afin de les interroger. Nous avons travaillé avec la DCRI qui travaillait sur la contre-ingérence. En dépit de notre insuffisance en effectif -vous êtes bien placés pour le savoir-. Nous avons fini par en trouver une dizaine qui avait plus ou moins travaillé avec nos services à l’époque de Saddam en Irak et de Hafez el Assad.
Charles jugea utile d’ouvrir une digression.
- Oui, nous avions coopéré dans l’histoire et elle est assez ancienne. Je me souviens, qu’un projet d’Union entre l’Egypte, l’Irak et la Syrie fut signé au Caire en 1953 me semble-t-il. Et que cela n’a pas trop plus dans les chancelleries occidentales et à Tel-Aviv…
- Un référendum était prévu pour se prononcer sur cette question en 63.
- Et la guerre des six jours, perdue par les Égyptiens et les Syriens a changé la donne au Moyen-Orient.
- Exact mais c’était bien avant le coup d’état d’Hafez el Assad en 1970. En tout cas, la conséquence fut qu’un certain nombre de haine entre factions rivales sont nées à cette époque. Les contacts furent fréquents entre nos anciens et les services Irakiens et les réseaux furent interrompus seulement lors de la seconde guerre du golfe.
Sylvie après s’être levée se mit face à lui pour mieux capter son attention. Charles n’était pas insensible à son charme. Son pull à col roulé semblait cacher des formes agréables et sa jupe grise de laine sur son collant en coton beige lui allait à merveille. Elle jouait un peu avec sa séduction, elle le faisait en toute conscience et Charles entra dans le jeu.
- Oui d’ailleurs nous continuons à avoir des contacts en dépit des difficultés. Je parle sous le contrôle du Colonel Simon.
Simon venait d’entrer dans la pièce et s’assit en bout de table. Comme tous les chefs qui arrivent volontairement ou pas en cours de réunion, il fit signe de continuer.
- Le ministre de l’intérieur irakien Adna al-Asadi avait d’ailleurs coopéré en 2014 en, donnant à la DCRI le nom de deux cent djihadistes faisant partie de cellules dormantes de l’Etat Islamique. C’est à cette occasion que nous avons pu retrouver la trace de l’un de nos ex-honorables correspondants en Irak que nous avions perdu de vue. Pour gagner du temps, (dit-elle en souriant), je ne rentrerais pas dans le détail des difficultés que nous avons eu pour les évaluations qui ont suivies. Il se nomme Sallam. Vous trouverez son CV dans le document que je vous remets. Je vous propose de le lire.
- Très bien, je prends. Nous nous revoyons un peu plus tard je suppose
- Je reste de toute façon à votre disposition.
Elle le laissa seul dans le bureau avec Simon. Ils échangèrent quelques banalités, comme s’il devenait difficile d’exprimer pour Simon la décision qu’il avait prise. Puis, il finit par lui indiquer qu’il devait se préparer rapidement pour un départ avancé dans les prochains jours.
Charles savait ce que cela voulait dire. A chaque fois cela était le même rituel. Il devait rapidement préparer ses proches à son départ. La plupart du temps, il évoquait un problème soudain à résoudre de l’autre côté du monde. Sa couverture de cadre commercial itinérant à Air Liquide lui permettait de ne pas trop entrer dans les détails de ses absences. Quant à son silence lors de ses voyages de deux à trois semaines voire plus, cela demandaient parfois quelques messages pour rassurer ses proches. Alors on s’arrangeait à la Centrale pour en envoyer, ceux qu’il avait enregistrés au préalable, soi-disant en provenance d’une région perdue de l’Inde ou de Chine, pour cause d’une évaluation technique dans un désert d’Asie centrale. Le décalage horaire avait toujours bon dos.
Avant que Simon ne s’éclipse, Charles lui demanda pourquoi il avait suivi une telle préparation un peu inhabituelle? Sa réponse fut peu convaincante, « parce que vous en valez la peine ». Ce qui voulait tout dire et ne rien dire. Il s’en contenta.
Le document d’une dizaine de pages estampillé Secret défense- Source Secrète, était construit et écrit dans un style impersonnel, précis et laconique, comme tous ceux dont il avait eu connaissance, jusqu’à ce jour.
Sallam était Irakien. Il était parfaitement connu par les Services français.
Pour en comprendre la raison un petit rappel historique l’évoquait en annexe. Charles le parcourut rapidement. Pendant la décennie 70 la France vend 5 milliards d’armement à l’Irak de Saddam Hussein et au début des années 80 forme des dizaines de pilotes irakiens en France. La France est alors avec l’URSS le second pourvoyeur d’armes et d’aéronefs. 121 Mirage F1 de Dassault seront livrés à Saddam dans les années 80, le contrat prévoit la formation des pilotes.
Le jeune Sallam en fait partie. Il est approché par un officier traitant lors de sa formation de pilote de chasse en 1979. Son profil est jugé intéressant, sa famille comme lui-même sont peu marqués par la religion. Il est jugé fiable et très pro-occidental. Lors de son intégration temporaire dans une escadrille de mirage F1/B sur la base 115 d’Orange, il accepte de garder le contact avec son officier qui dans un premier temps ne lui demande rien, mais lui laisse entrevoir une possibilité de retour en France, pourquoi pas au titre d’un échange éventuel de pilotes. De retour en Irak, en pleine guerre Iran-Irak, il se révèle bon pilote de l'IQAF. Il pilotait alors un mirage F1 parmi les 16 livrés. Lors de la première guerre du golfe en 2003, Sallam est alors comandant, toujours pilote et chef d’escadrille. Il fuit avec 24 autres pilotes pour sauver leurs Mirage F1 en Iran afin d’échapper aux bombardements de la coalition. L’Iran possède encore aujourd’hui 5 Mirage F1, qu’ils utilisent pour bombarder Daesh. De retour en Irak, Sallam entre dans les services secrets de l’Armée de l’Air. Grace à ses nombreuses relations, il donne alors de nombreuses informations à la DGSE sur les intentions de Saddam Hussein et la situation intérieure, et confirme l’absence de toute arme de destruction massive.
A la chute du régime de Saddam, Sallam pense sincèrement que les Américains vont contribuer à réformer le pays exsangue avec l’aide des cadres Irakiens. Mais très vite, il déchante.
Il constate comme beaucoup de cadres destitués que la situation est gérée avec une méconnaissance absolue de la culture de son pays et des tensions qui existent.
Cinq cent milliards de destruction conséquence des guerres depuis 1980, sept cent cinquante mille morts, l’Irak est un pays dévasté placé de fait sous protectorat américain. La « préemptive action » américaine devient vite un cauchemar.
Paul Bremer, à qui on a donné tous les pouvoirs, est officiellement directeur de la reconstruction et de l'assistance humanitaire. Il interdit le parti Baas, supprime toute restriction à la liberté d’association ce qui permet le développement des réseaux islamistes et démobilise l’armée irakienne. Après son départ d'Irak, un rapport officiel de l'inspecteur général pour la reconstruction de l'Irak, Stuart Bowen signale la disparition de 9 milliards de dollars destinés à la reconstruction de l'Irak. Le résultat de l’action de Bremer est catastrophique. Outre le fait qu’il a cassé toutes les structures étatiques du pays, rayé d’un coup de plume l’existence des Armées Irakiennes, l’administrateur joue la carte de la domination des partis religieux chiites. Ce choix aboutit à isoler un peu plus les anciens militaires issus des tribus plutôt sunnites favorisées par Saddam. Privés de leur statut, de salaire et de rang social, ces cadres n’ont alors d’autre choix que de basculer progressivement dans le djihadisme radical plus par obligation que par conviction ou idéologie, et très vite ils constituèrent un socle militaire et politique solide à Daech.
Sallam fait partie de ces parias du système, accusé de corruption, emprisonné dans des conditions épouvantables à Abou Ghraib il y rencontre un certain nombre des futurs cadres de Daesh. Finalement libéré, on perd sa trace pour le retrouver au Liban.
Sallam est né en 1957 et a aujourd’hui 61 ans. Selon certaines informations il aurait rejoint les rangs des salafistes et pourrait encore rendre quelques services.
Charles referma le dossier. Sa mission commençait à prendre un sens. Mais il manquait un pion essentiel, il savait que Sallam n’était pas la cible finale de son action. La cible, il allait la découvrir dans l’après-midi. D’ici là il décida de sortir respirer l’air de la capitale.
Il s’éloigna du boulevard Mortier, à pied et se dirigea vers le cimetière du père Lachaise, il cherchait confusément ce besoin de calme et de sérénité que l’on trouve à Paris dans les cimetières Un cimetière comme on en voit peu dans le monde, avec ses carrés juifs et musulmans. Ici la paix prend tout son sens. Il erra sans but entre les tombes d’inconnus ou de gens célèbres de Balzac à Bashung, et se souvenait des découvertes qu’il avait faite au hasard des allées, ici la tombe de Pierre Savorgnan de Brazza, là celle de Molière et de Musset. Le sulfureux poète des Doors Jim Morrison proche de la comédienne Mademoiselle Clairon, ça ne s’invente pas, pas plus que l’adresse officielle de ce lieu, rue du repos. Il trouva à la fois singulier que l’on y trouve des généraux, des écrivains, des putes et des maquereaux, des assassins et leurs victimes. Un résumé vivant en quelque sorte de tout ce qui compose l’humanité. Il y resta environ une demi-heure, sortit par la porte Gambetta, puis par la rue des Pyrénées rejoignit le boulevard Mortier, après avoir marqué une pause rapide pour déjeuner à la Brasserie Aux Ours.
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Roland Pietrini
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