Crise en Europe, guerre au Levant : perspective de guerre - déficiences et incertitudes
Crise en Europe, guerre au Levant : perspective de guerre
Suite de l’article : embrasement du Moyen-Orient – une perspective inéluctable
Donbass
La focalisation sur le combat contre le terrorisme dans la bande sahélique et au levant, qui s’étend en forme de tache d’encre ne saurait faire oublier un contexte international instable en Europe comme en Asie, comme si les grands équilibres étaient menacés, transitoires et précaires.
La Russie, qui aurait le regard porté vers l’Asie, s’est engagée en Europe en portant aide et assistance aux séparatistes pro-russes du Donbass après avoir récupéré la Crimée (1) est attentive à la situation en Transnitrie (2). ( tout est affaire de vocabulaire et de nuance. L’occident (l’OTAN) estime que c’est la Russie qui a organisé et fomenté la révolte des pro-russes et les Russes estiment que le pouvoir de Kiev est le résultat d’un coup d’Etat, et reste donc illégitime)
Nous savons que les accords de Minsk2 sont un véritable camouflet pour Porochencko qui fera en sorte par tous les moyens, de provoquer Poutine afin d’engager plus encore les Etats-Unis et l’Europe à un affrontement avec la Russie. La situation est explosive et les capitales occidentales doivent prendre garde, les guerres ont toujours succédé à de longues périodes d’illusion de paix et nos engagements se sont faits souvent contraints et forcés par le jeu des accords. L’Otan, que nous aurions dû profondément réformer à la chute de l’URSS, est autant notre talon d’Achille, lorsqu’il veut jouer le cheval de Troie des volontés impérialistes américaines en Europe, que notre bouclier.
La Russie n’hésitera pas à se lancer dans une guerre limitée en Europe si elle se sentait contrainte par une pression trop forte sur son économie et menacée par une présence trop prégnante de l’OTAN en Roumanie, en Pologne et dans les pays Baltes. Ce processus a déjà commencé et l’Ukraine leur apparaitrait alors comme un terrain idéal plus que connu et favorable, taillé pour les capacités tactiques de son armée totalement blindée. Dans cette hypothèse pas si abracadabrantesque que celle-là, nous ne sommes ni en mesure de nous y opposer ni de déclencher une guerre[Rc1] nucléaire pour l’interdire. Nous atteignons d’ailleurs là les limites de la dissuasion, en tout cas de la dissuasion française, qui ne dissuade pas plus les mabouls de l’EIIL (https://www.athena-vostok.com/daesh-une-guerre-chaotique-le-combat-des-mabouls) que les Russes du Caucase ou les Chinois. La dissuasion nucléaire qui se base sur la peur, peut-elle dissuader un pays qui estimerait qu’il peut sacrifier une partie de sa population lors d’une première frappe, compte tenu de l’immensité de son territoire et de la multitude de ses ressources humaines et avoir largement de temps pour riposter en second ? Bref, une frappe sur Shanghai aurait-elle en Chine les mêmes conséquences qu’une frappe sur Paris pour la France ?
Qui dissuade qui ? Le fait de posséder une force de frappe est-elle si dissuasive que cela ? N’est-elle pas une sorte de ligne Maginot qui nous dédouane de tout effort de défense classique et qui installe dans l’esprit des gens un sentiment de sécurité factice, en nous imposant de surcroît, des coupes drastiques dans nos effectifs humains et des trous capacitaires en termes de moyens. Notre armée pour ne citer qu’un exemple, est la dernière au classement en Europe, en nombre de pièces d’artillerie, loin derrière l’Italie, et notre Marine possédera moins de frégates que ce même pays ami qui n’a comme zone d’intérêt maritime que la Méditerranée, alors que nous avons la seconde zone économique exclusive après les Etats-Unis.(Avec 11 millions de km² de ZEE, notre pays vient en 2e position derrière les États-Unis (12,2 millions de km²) mais loin devant l’Australie (8,5) et la Russie (7,6). Paradoxalement avons en projet, pour 2025, une Marine qui n’a plus les moyens d’assurer une présence permanente ou suffisante dans l’Océan Indien, notamment.
Il est possible que quelques « va-t’en guerre » américains agitent le spectre d’une guerre nucléaire limitée en Europe si la Russie devenait menaçante. Dans ces conditions, qui souhaiterait en Europe les suivre et guerroyer contre la Russie pour une Ukraine (ou une Moldavie) qui a, au moins à part égale, contribué au conflit en prenant des mesures discriminatoires envers les populations russophones et orthodoxes de ses territoires de l’est et du sud.
Par contre, il conviendrait sérieusement de s’interroger sur note attitude si les Pays Baltes et pire encore la Pologne, étaient directement menacés. Alors, nous serions probablement contraints à nous engager, mais la question qui se poserait concrètement serait de savoir avec qui ? Avec quels effectifs ? Et avec quoi ? Ce ne sont pas nos quelques chars Leclerc et notre absence quasi totale d’artillerie qui feraient le poids face aux colonnes blindées russes y compris dans une alliance de pays tout autant démunis, Etats-Unis exclus.
Nous revoilà étrangement de retour dans des configurations d’affrontements et des hypothèses construites et étudiées lors de la guerre froide, sauf qu’à cette époque l’Allemagne, la Grande-Bretagne et la France avec les Etats-Unis pré-positionnés en Allemagne, pouvaient aligner 10 fois plus de moyens en hommes et en matériels qu’aujourd’hui. Nous étions pour le moins capables de freiner une attaque soviétique, afin de gagner des délais, avant l’affrontement final à coup de missiles nucléaires. A moins qu’une négociation ou une reddition faite dans l’urgence devant l’incapacité à gérer et à secourir une population en dérive venant d’Allemagne et de l’est de l’Europe, n’ait définitivement résolu le problème. Certes, vision de situation apocalyptique avec une Allemagne, qui de toute façon, n’aurait jamais accepté que son sol soit vitrifié par les frappes nucléaires tactiques de SS21 d’un côté et de Pershing de l’autre. Cela rappelle aussi étrangement une période peu glorieuse de notre histoire, la grande débâcle de 1940, certains de nos anciens s’en souviennent encore. N’oublions pas non plus, que sans l’engagement total de l’URSS auprès des alliés occidentaux, il n’est pas certain que nous aurions pu débarquer en 1944 en Normandie. Dans ces conditions ou en serions- nous aujourd’hui ? Il faut donc se poser la question : La Russie n a-t-elle jamais perdu une guerre sur son immensité ?
L’intérêt géostratégique de la Russie restera encore longtemps l’Europe, en dépit des signes d’un rééquilibrage vers l’est et l’Asie. Mais il apparait désormais possible qu’avant que le siècle ne se termine un affrontement Russie –Chine ait lieu. Sur l’échiquier du monde l’un des deux pourrait croire que l’autre est de trop. Dans ce cas quel serait notre attitude ? Les Etsts-Unis choisiraient quel camp ? Le conflit serait-il nucléaire ou cyberstratégique, ou les deux ?
Mais dans l’immédiat, force est de constater que nous ne sommes pas suffisamment organisés autant moralement que stratégiquement. Nous faisons les guerres d’aujourd’hui avec les moyens d’hier et nous risquons de faire les guerres futures avec les moyens que nous aurions dû avoir aujourd’hui.
Notre incapacité la plus évidente est celle de notre déficience d’analyse et de prospective. Nous inventons des normes ou adhérons à des normes qui nous pénalisent en lieu et place d’imaginer d’autres modèles de défense. Nous préférons avoir de tout à dose homéopathique plutôt que de nous équiper pour le combat avec les moyens nécessaires et imaginer d’autres tactiques moins onéreuses et plus adaptées à nos moyens.
La maskirovka est une science russe qui mêle à la fois, intox, manipulation et désinformation, mais surtout qui considère que l’art de comprendre la manière de penser de l’adversaire, est un préalable à tout engagement armé ou non. La maskirovka montée par les russes en Crimée est un modèle du genre. Il y a eu d’autres exemples lors de l’histoire récente. C’est dans la nuit du 24 au 25 décembre 1979 à 3 h du matin, dans le cadre l'opération Chtorm-333, que deux divisions aéromobiles soviétiques atterrissent à Kaboul et à Shinband, dans l'ouest de l'Afghanistan. Au même moment des unités motorisées stationnées en Ouzbékistan franchissent la frontière. Il est vrai que lors du réveillon à l’ouest alors que l’on sacrifie la dinde, il est difficile de trouver un haut responsable pour réagir. Et la moitié des effectifs militaires est en permission.
Face à cette intelligence, nous sommes, il faut bien le dire, des enfants.
Je constate aujourd’hui qu’aucun politique n’est en mesure d’expliquer de manière claire et compréhensible les dangers qui nous menacent, sujet que l’on se garde bien d’évoquer lors des campagnes électorales et singulièrement présidentielles, comme si le sujet était… hors-sujet.
Poutine sait donc, jusqu’où nous sommes capables d’aller, et selon lui certainement pas dans un conflit armé même limité pour l’Ukraine. L’incertitude vient probablement des Etats-Unis, qui en fait ne comprennent pas grand-chose à ce qu’ils ont contribué à créer, le chaos.
Poutine a compris l’intérêt de nous laisser nous enfoncer avec les EU, pour les 30 prochaines années, dans des conflits qui créent la surprise stratégique de type de celui que l’on mène avec des moyens parfaitement inadaptés contre l’EIIL et les terrorismes en Afrique, au Sahel et au Moyen-Orient, et bientôt chez nous.
Nous sommes face à une crise encore plus grave à venir en Ukraine et dans les pays Baltes, non pas que la Russie veuille à tout prix les envahir mais simplement parce que Poutine attend sans bouger, le résultat du cumul de nos erreurs, l’inconséquence de nos actes, l’approximation de notre politique, bref, ce qu’il juge comme notre décadence. L’ex colonel du KGB n’a pas digéré la chute de l’URSS, il attend la chute de l’Europe ( ni les EU ni la Russie ne veulent une Europe unie). (3) A chacun son propre impérialisme.
Roland Pietrini
(1) La Crimée a fait partie, de l'Antiquité au xiiie siècle, du monde grec devenu byzantin, tout en étant ouverte au nord aux peuples des steppes (Cimmériens, Scythes, Goths, turcophones, Mongols...) pour rejoindre au xve siècle l'Empire ottoman, au xviiie siècle l'Empire russe et en 1922 l'Union des républiques socialistes soviétiques. Dans cette dernière, elle constitue une république socialiste soviétique autonome, puis un oblast qui fait d'abord partie de la République socialiste fédérative soviétique de Russie. À la fin de la Seconde Guerre mondiale la population des Tatars de Crimée subit une déportation. En 1954, la Crimée est cédée à la République socialiste soviétique d'Ukraine. En 1991, après la chute de l'URSS, la Crimée obtient le statut de République autonome de Crimée au sein de l'Ukraine indépendante. La capitale de la Crimée est Simféropol. La ville de Sébastopol, grand port de guerre sur la mer Noire au sud-ouest de la péninsule, ne fait pas partie de la République de Crimée mais dispose d'un statut administratif spécial de ville fédérale. http://fr.wikipedia.org/wiki/Crim%C3%A9e
(2) la guerre civile de Moldavie ou guerre de Transnistrie qui a opposé en1992 l'armée transnistrienne (soutenue par la Russie et l'Ukraine) aux forces armées moldaves(soutenues par la Roumanie) n’a rien résolu. La Transnistrie fait partie, avec la Crimée et les régions séparatistes géorgiennes d'Ossétie du Sud et d'Abkhazie, du glacis géostratégique russe permettant à Moscou de contrôler y compris militairement sa zone d'influence exclusive. C'est dans ce contexte qu'eut lieu cette guerre.Le conflit se solde par un cessez-le-feu et la Transnistrie maintient son indépendance de facto. http://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_civile_de_Moldavie*
(3) De manière anecdotique, la non-livraison des Mistral à la Russie qui reste en suspens dans son règlement, pénalise beaucoup plus la France (et l’Europe) qu’elle ne prive la marine russe d’un outil de projection indispensable. Cette crise franco-russe laissera des traces. Dans ce contexte, Poutine tente de remettre tout simplement en cause les règles internationales mises en place après la seconde guerre mondiale, considérées de son point de vue comme taillées pour renforcer l’impérialisme américain, il se peut qu’il n’ait pas tort.
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