ATHENA-DEFENSE

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Guerre en Ukraine : l’impossible d’une défaite russe devient possible.

 

 

carte ukraine du 22 mars.jpg

 

 

 

Après un mois de guerre en Ukraine, les différents fronts militaires paraissent figés, les principaux objectifs fixés par le chef de guerre Poutine n’ont pas été atteints. Ces objectifs connus de lui seul et de ses généraux sont apparus cependant au fil des jours comme une évidence[RP1]  et apparaissent désormais inatteignables à un point tel que la priorité est désormais de recentrer les forces sur l’est du pays. Echapper au risque d’enlisement est désormais la priorité, cela se traduit par une relance de l’offensive sur l’est de l’Ukraine, en abandonnant la conquête des grandes villes dont Kiev.

 

 

En réalité, l'armée russe patine dans tous les sens du terme [RP2] et la prise de l’Ukraine dans son intégralité semble impossible. Poutine est en train de se rendre compte que l’ours russe a eu un appétit plus grand que son ventre. Par conséquence tout sera fait sur le plan intérieur pour éviter l’humiliation, l’annonce officielle de ce changement de stratégie, est l’art de transformer un revers en réarticulation. Toute armée qui essuie un échec baptise son recul contraint en repli dit stratégique. Tout l’art de la guerre est basé sur la duperie.  Selon Sun Tzu, et sur l’art de transformer les vrais échecs en fausse victoire aussi, me semble-t-il…

 

La situation en date du 22 mars montre que  les principales villes et ports entourant la mer d’Azov, à l’exception de Marioupol, sont soit sous contrôle russe soit sur le point de le devenir. Les troupes russes provenant de Crimée ne sont pas encore en mesure de prendre Mykolaiev et encore moins Odessa, car celles-ci sont dans l’obligation de faire mouvement vers le nord pour franchir le Dniepr, or les ponts sont tenus par les forces ukrainiennes.

 

Au nord, les Russes ont échoués dans leur tentative d’encerclement de Kiev par le nord-ouest et le nord-est, par une manœuvre en tenaille. Pire, les unités du nord venant de Biélorussie ont eu une rupture d’approvisionnement due à une manœuvre logistique totalement ratée.

 

En date du 25 mars, les unités russes de part et d’autre du Dniepr font un retrait tactique ce qui permet à l’armée ukrainienne de monter des manœuvres offensives locales afin de repousser l’artillerie russe hors de portée du centre de Kiev, soit à plus de 25 à 30 km.  Ce qui démontre une fois de plus, la capacité de réaction des forces ukrainiennes et leur capacité à saisir toutes les opportunités, en raison de l’aide apportée par le renseignement de l’Otan.  

 

L’Etat-Major russe a commis une faute, elle relève de l’incapacité à se remettre en question.  Le maréchal Le Bœuf, ministre de la guerre sous Napoléon III, qui présenta le texte de la déclaration de guerre en 1870 affirma «  Nous sommes  prêts et archi-prêts, la guerre dut-elle durer deux ans, il ne manquerait pas un bouton de guêtre à nos soldats ». Il est probable que Sergueï Choïgu, ministre de la Défense de la Fédération de Russie, et Valery Gerasimov, chef d'Etat-major de l'armée russe, qui n'ont plus été vus en public depuis le 11 mars, ont fait à Poutine à peu près la même déclaration après les manœuvres  Zapad (ouest) ; on est prêt ! sauf que comme dans toute manœuvre la certitude de victoire est d’autant plus assurée que l’ennemi qui fait face est toujours taillé pour perdre !

 

 

L’ordre de bataille russe, qui sur le papier paraissait en capacité de détruire en quelques jours l’armée ukrainienne, s’est révélé insuffisant face à la détermination des soldats Ukrainiens et à la résilience de sa population.  Rien ne s’est passé comme prévu.

Le choix de répartir les forces sur 4 axes s’est avéré une erreur stratégique. Deux axes au nord,  un à l’est, un au sud ont complexifié la manœuvre logistique, ce qui a permis aux forces ukrainiennes de désorganiser le ravitaillement vers l’avant, compte tenu de l’incapacité de l’aviation russe à détruire totalement les capacités de défense sol-air ukrainienne.  La prise des principaux aéroports ou leur destruction a été un échec, les troupes aéroportés se sont retrouvées rapidement isolées et sans appuis, compte tenu du retard des colonnes blindées sensées les rejoindre.

 

 

convois russes.jpg

 

 

Ce sont 10 Armées blindées qui ont mené l’assaut contre les forces ukrainiennes, chacune des Armées étant composée de 4 à 5 brigades ou divisions composées elles-mêmes de 6 régiments soit de chars, soit de fusiliers motorisés avec plusieurs régiments d’artillerie sol-sol et sol-air auxquels il faut rajouter les éléments organiques d’armée.  

 

Sur le papier cela représente une force considérable, mais la masse ne peut être efficace que si elle est commandée, organisée, appuyée, ravitaillée, coordonnée.  Le défaut de l’armée russe, qui fut celui de l’armée soviétique est son incapacité à changer ses plans dans la difficulté.

 

 

Le soldat russe possède les qualités et les défauts du slave.  Il est résistant à la douleur et aux privations, mais il est peu enclin à l’initiative et montre très vite ses limites, s’il n’est pas commandé.

 

 

Ainsi, ces armées, qui ont débouché de Biélorussie, et qui étaient présentes sur ce territoire depuis les manœuvres Zapad-2021, avec pour  objectif la prise de  Kiev, se sont heurtées très vite à une résistance active de la part des Ukrainiens. La masse blindée présente les défauts de ses qualités. Pour le dire crûment : plus c’est gros, plus c’est lourd ; plus c’est lourd plus ça a soif et faim. La manœuvre logistique a très vite montré ses limites, il est quasiment impossible de remonter une colonne bloquée pour la ravitailler. Entre les chars en panne de carburant et abandonnées par leur équipage, ceux détruits par les drones tueurs ou les engins anti-char, les convois de carburant et de munitions ont été voués à la destruction.

 

 

Ainsi de source ouverte [RP3] ; au nord de l'Ukraine, les unités des districts russes de l'Est et du Centre fortes de la 29e armée combinée, de la 36e armée combinée, sur la rive occidentale du Dniepr, d'abord engagée face à Dymer, puis envoyée sur Borodianka puis Makariv, à l'ouest de Kiev  de la 35e armée combinée, d'abord en arrière de la 36e armée, puis débouchant à partir du 11 mars en soutien des VDV, au nord-ouest de Kiev  et de a 41e armée combinée, sur la rive orientale du Dniepr, face à Tchernihiv (menaçant le nord-est de Kiev) et Mena ont débouché de Biélorussie pour attaquer vers Kiev,

 

 Au nord-est de l'Ukraine, sur la « direction opérationnelle Orlov (ru)-Voronej », débouchant de la zone autour de Koursk, les unités du district de l'Ouest composée de la 2e armée combinée de la Garde, de la 1re armée de tanks de la Garde, de la 6e armée combinée, de la 20e armée combinée de la Garde.

 

À l'est de l'Ukraine, sur la « direction opérationnelle du Don », débouchant des républiques séparatistes du Donbass, les deux forces armées des RPD et RPL (présentées comme deux « corps d'armée ») ; la 8e armée combinée de la Garde, face à Marioupol (au sud de Donetsk) ;

 

Au sud de l'Ukraine, sur la « direction opérationnelle de Crimée », débouchant de l'isthme de Perekop et du pont de Henitchesk, les unités du district du Sud  composées de la 58e armée combinée, vers Kherson, puis à Zaporijjia et Houliaïpole, le  22e corps d'armée et la 7e division de la VDV, vers Kherson (menaçant Mykolaïv) et Voznessensk  et la  49e armée combinée, vers Melitopol et Berdiansk, puis redéployée au nord-est de Mykolaiev.

 

Ce déploiement considérable ne peut progresser que sous une relative sécurité aérienne, or, il semble que la bataille de la maitrise du ciel n’ait été que partiellement gagnée par les forces russes.

 

Les forces sol-air ukrainienne ont détruit de nombreux avions russes, les contraignant à voler à basse altitude et donc sous la menace des SATCP[RP4] . Les avions et hélicoptères russes ont quasiment disparu du ciel ukrainien, laissant la place à l’artillerie, qui elle-même est contrainte à reculer.

*

La bataille de Kiev est donc perdue et la réorganisation du dispositif à l’est de l’Ukraine est un aveu d’échec déguisé.

 

Depuis des années, j’ai lu avec attention les analyses d’experts qui tous décrivaient une armée russe moderne et plus réduite dont l’organisation en brigade et bataillon interarmes supposait une aptitude nouvelle à manœuvrer, c’était sans compter avec l’héritage culturel de l’armée soviétique. Or, les généraux en responsabilité sont tous issus de l’armée soviétique et restent nostalgiques de cette époque. Quant à leur chef de guerre,  il est tel que je l’ai décrit, un lieutenant-colonel du KGB psychorigide[RP5] .

 

La semaine prochaine, nous verrons probablement une accalmie dans les combats, les pertes étant considérables,  (voir annexe 1)  sauf dans le sud du coté de Marioupol, afin d’effectuer une relève partielle des troupes au contact. La perte de 7 généraux et d’un amiral et l’impossibilité des cacher plus longtemps les pertes en hommes et matériels ouvre une période particulièrement dangereuse et instable.

 

Le scénario d’un durcissement des combats avec l’emploi possible d’armes de plus en plus destructrices est possible mais reste pour l’instant improbable.  Les guerres en zone urbaine sont impossibles à gagner dans un temps court, les exemples de Syrie, d’Irak, du Liban   démontrent aussi que le coût à payer est considérable. Or, il (Poutine)  n’en a ni les moyens ni la volonté à moins de raser les villes sous un déluge de bombes et de missiles.  

Prendra-t-il ce risque ?  

Je pense que ces méthodes sont tout simplement impossibles en Ukraine ; l’opinion internationale ne le supporterait pas, y compris le peuple russe lorsque celui-ci en sera informé. Transformer la guerre en Ukraine en guerre de Tchétchénie est pour l’instant impensable.

 

Alors trois hypothèses restent possibles :

-       Poutine continue après une relève à pousser vers Kiev et accepte l’enlisement pour gagner du temps et jouer sur l’arme du gaz et du pétrole. 

-       Le recul des troupes vers le Nord pourrait faire penser à une recul tactique afin d’employer des armes chimique ou nucléaire tactique.

-       Les buts de guerre ayant été atteint en garantissant la « sécurité » définitive de la Crimée et du Donbass, de Louhansk   et des pourtours de la mer d’Azov, les négociations peuvent commencer…  

 

 Poutine déclarait le 3 mars « L’opération militaire spéciale se déroule strictement selon le calendrier, selon le plan », cela était d’autant plus facile à dire que personne n’était en mesure de connaitre ni le calendrier ni le plan. Il annonce aujourd’hui une réorganisation du dispositif militaire sans préciser si cela est toujours conforme au plan d’origine. J’en doute.

 J’avais émis, dans un article non publiée sur Athéna défense mais sur un autre média, l’idée que Poutine était en train de commettre plusieurs erreurs. J’en reprends les termes.

 

-       La première est celle d’avoir négligé par excès de précaution la préparation mentale de ses soldats, dont certains ignoraient la véritable destination de leur manœuvre, alors que tactiquement, l’opération était planifiée depuis au moins les dernières manœuvres Zapad[RP6]  de septembre 2021, ces soldats ont été lancés dans une bataille dont ils ne comprennent pas le sens.  

-       La seconde est de ne pas avoir défini clairement son ennemi. Est-ce l’OTAN ou les Ukrainiens ? Les buts de sa guerre ne sont pas clairs, y compris pour les chefs subalternes, dont la passivité est connue avec un niveau d’initiative très faible. 

-       La troisième est celle d’avoir sous-estimé la capacité de résistance de la population ukrainienne et sa résilience dès les premières heures.

-       La quatrième est que l’on ne gagne pas une guerre contre l’assentiment profond de son propre peuple. Car, je suis persuadé que beaucoup de Russes, dès qu’ils seront informés de la réalité de cette lutte fratricide entre slaves et contre un pays berceau de la Russie, n’approuveront pas cette guerre.      [RP7] 

-       La cinquième est que quelques jours après le début des combats, il est en train de perdre la bataille de l’opinion publique, dans le monde, en Ukraine et aussi en Russie.

Enfin, et ce sera la sixième erreur d’appréciation, il pensait que le sentiment de culpabilité de l’occident, accusé de tous les maux suffirait à fissurer l’union des pays de l’Otan, or c’est le phénomène inverse qui est train de se passer, la solidarité entre les occidentaux en raison de la peur que cette intervention génère est en train de souder les pays membres autour de l’Alliance Atlantique et créer de l’appétence pour d’autres. Poutine est devenu involontairement le meilleur prescripteur pour une OTAN forte et une Europe solidaire. 

 

Je n’ai aucun mot à retirer de ce diagnostic. L’erreur ultime d’un dirigeant est toujours celle de penser qu’il a raison. Je reprends aussi la conclusion de cet article :

L’intérêt de l’Ukraine était celui de la neutralité, sans vocation à entrer dans l’UE et surtout dans l’OTAN, ne pas en avoir créé les conditions est une erreur.

L’Europe se réveille un peu tard, les Etats-Unis après avoir soufflé sur les braises, ils sont spécialistes, regardent la vieille Europe se débattre dans une crise inédite, dont ils sont en partie responsables.

 

Un dictateur nouveau, il faut oser dire le mot, est apparu en Europe, il vient de l’est, quelle que soit notre responsabilité, il convient de le combattre par la diplomatie et s’il le faut par les armes, car je crains que rien ne l’arrête.

 

Lorsque la peur n’est plus un frein, lorsque la confiance disparait, alors l’impossible devient possible y compris le pire.

 

Roland Pietrini  

  


 [RP1]Conquête des grandes villes d‘Ukraine, chute du gouvernement d’olodymyr Oleksandrovytch Zelensky

 [RP2]Allusion au dégel

 [RP4]Sol air de courte portée

 [RP5]Poutine est un tchékiste [RP5], un homme de la guerre froide, il était présent en 1989 à Dresde, lorsque la foule a donné l’assaut à l’immeuble de la Stasi, il était là et il a dégainé son makarov [RP5]. Il a vu autour de lui un monde s’écrouler, il a souffert de l’humiliation de la chute de l’URSS. Il ne veut pas revivre cette même scène à la Loubianka [RP5], il veut laver l’affront. À 69 ans cet homme à un compte à régler avec ses fantômes, l’un de ces fantômes menaçants qui le hante est celui de l’occident, cause unique selon lui de toute les humiliations subies. C’est pourquoi il ne s’arrêtera pas, il est devenu dangereux.  C’est un psychorigide qui décrypte le monde tel que le KGB l’a formé. Il veut laver l’affront de la disparition de l’URSS en sublimant un projet de Russie puissance qui poserait sa botte sur ce qu’il considère comme sa zone d’influence immédiate, l’Ukraine en fait partie, jusqu’où s’arrêtera-t-il ?   C’est pourquoi il aurait fallu l’arrêter avant, en évitant les provocations inutiles et en réglant le problème de la sécurité à l’est de la Pologne de cette Europe post guerre froide, ce qui ne fut jamais fait.

 

 [RP6]Exercice militaire russe de grande ampleur en septembre 2021 avec pour principal partenaire la Biélorussie. Son nom : « Zapad » – qui signifie « Ouest » en russe. Son but : impressionner autant que faire se peut l’ensemble des adversaires de la Russie, afin de mieux les dissuader de s’engager dans un conflit, y compris de « haute intensité », comme annoncent régulièrement s’y préparer les états-majors français ou américains.

 [RP7]L'Ukraine a été ainsi baptisée en 1187 d'après un mot slave qui veut dire «frontière» ou «marche».

Ce grand État en mal de visibilité s'étire de fait aux marges du monde russe, dont il a été le berceau, et à la jonction entre le monde orthodoxe et le monde catholique. 

 

annexe 1: pertes Un haut responsable du Pentagone a avancé mardi soir que, « pour la première fois », l'armée russe est passée « un peu en dessous de 90 % de sa puissance de combat disponible » en termes d'équipements lourds. De même source, le nombre de soldats russes tués en un mois se situerait entre 7.000 et 15.000, à comparer aux 13.900 perdus en dix ans en Afghanistan. les Russes avouent seulement  ce vendredi 25 mars : 1351 soldats et 3825 blessés.

• Guerre en Ukraine : pertes de l'armée russe par type de matériel 2022 | Statista

• Guerre en Ukraine : pertes de l'armée ukrainienne par type de matériel 2022 | Statista

 



26/03/2022
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