ATHENA-DEFENSE

Ainsi, le projet de loi de programmation militaire pour les années 2024 à 2030 a été fondé sur une logique de transformation des armées. Au-delà des chiffres, il s’agit, selon le ministre, d’assurer à la Nation les moyens de faire face à la dégradation du contexte stratégique au retour de la guerre aux portes de l’Europe et à l’accélération des ruptures technologiques. (1)

Le texte définit la politique de défense de la France pour les prochaines années à travers cinq axes majeurs :

• Ajuster notre effort de défense aux menaces actuelles et futures ;
• Conforter les fondamentaux de notre défense ;
• Adapter notre outil militaire à l’évolution des menaces ;
• Réussir les sauts technologiques ;
• Accroître les forces morales.

Les quatre premiers axes feront l’objet d’un commentaire de ma part lorsque le ministre présentera en détail le cadencement des commandes et répondra de manière claire à certaines imprécisions du texte.

En effet :  si fondamentalement, on ne peut être opposé à cette volonté nouvelle d’adaptation de l’outil à la menace et aux guerres de haute intensité, (2) on ne peut qu’être dubitatif quant aux arbitrages retenus. Mon précédent article : LPM 2024-2030, une loi de procrastination en donne quelques aperçus.

Sur le fond, nous savons qu’une armée ne se mesure pas seulement à son volume ou à sa masse mais bien à sa capacité d’utiliser au mieux les outils, encore faut-il qu’ils existent en nombre suffisant. Mais cela repose aussi sur son commandement, sur les hommes qui la compose, sur son organisation, sa réactivité, son intelligence au sens large (renseignement et adaptativité), ainsi que sa résilience, qui consiste à se régénérer après des pertes importantes, mais aussi par son volume et donc sa capacité à durer. L’art opératif qui est le juste équilibre entre la stratégie et la tactique en est son credo. 

Une armée sans chefs compétents pour la diriger, sans capacité de mobilisation des ressources, sans l’adhésion de la population est condamnée à la défaite.

C’est dans ce contexte que s’inscrit le 5° point évoqué, accroître les forces morales et que je souhaite commenter.  En réalité, ce sujet est la matrice de tous les autres, il ne peut y avoir de défense sans forces morales.  

Le courage est le fait de surmonter la peur

Le Maréchal Foch déclarait : « à la guerre, il y a autre chose que les principes, il y a le temps, les lieux, les distances, le terrain ; il y a le hasard dont on n’est pas maître ; mais il y a surtout les forces morales dont les troupes sont animées. » Le moral, l’esprit de corps, la fraternité d’armes sont donc essentiels, mais ce qui l’est encore plus, c’est la force morale de la Nation qui est derrière.

Or, depuis la fin de la guerre froide et l’interruption du service militaire, les jeunes générations ont perdu le sens du sacrifice en perdant le sens de la Nation, exceptés ceux qui s’engagent et qui se sacrifient avec l’abnégation que l’on sait, et qui peut aller jusqu’au sacrifice suprême. L’individualisme a pris le pas sur le collectif.

Les causes en sont connues :

-       La déconstruction systématique de la conscience nationale fut érigée au nom d’une supranationalité européenne et mondialiste et d’une révision de l’histoire allant toujours dans le même sens, celui de la mise en accusation des générations qui nous ont précédé.

-       Une France dénationalisée a remplacé peu à peu dans les esprits une Nation France. Les historiens traditionnels sont accusés d’avoir construit un roman national entaché de tous les maux.

-       Toute idée de nation se heurte désormais au concept de nationalisme qui serait entaché de conservatisme rétrograde, voire pire et laisse la place à des positions radicales allant jusqu’à la remise en cause même de l’idée de Nation. (3) 

-       La déconstruction de toute autorité dans l’éducation nationale a sapé les fondements même de notre société, nous en mesurons aujourd’hui les conséquences dans la violence qui s’exprime.

-       Les conditions de la multiplicité des causes de la défaite de 1940 (institutionnelles, politiques, matérielles, industrielles, organisationnelles stratégiques et tactiques) (4) se retrouvent aujourd’hui. Par ailleurs, le mot France a été banni du discours des élites et remplacé par le mot République. Ainsi, on ne défend plus les valeurs civilisationnelles françaises mais les valeurs de la République, sans préciser d’ailleurs laquelle.

Bakhmout ... La guerre touche directement les populations

Il est donc nécessaire pour « accroitre » les forces morales, et le mot apparait bien faible, de commencer par ne plus subir les forces de déconstruction qui ont commencé par la repentance et préparé le wokisme importé d’ailleurs, mais bien de rétablir l’ordre en donnant un sens à notre jeunesse.

Les tentatives de recréer les conditions apparaissent bien timides, avec le SNU basé sur le volontariat.

Mettre des mots sur les maux n’est pas condamnable, et c’est une réalité partagée par la majorité de nos concitoyens, encore faudrait-il se libérer des minorités agissantes qui imposent jusqu’à leur langage, à tel point que par peur de l’exclusion, on adopte leur propre dialectique.

La capacité psychologique à affronter et à surmonter l’adversité et de développer et d’entretenir certaines vertus discutées par certains, comme le courage, la solidarité, la discipline et la disposition à consentir des sacrifices pour le bien commun sont donc essentielles.

Les députés Jean-Louis Thiérot et Patricia Mirallès qui avaient rédigé un rapport sur la haute intensité pour la commission de la Défense, avaient souligné le besoin de « conforter les forces morales en renforçant les représentations populaires des armées et des conflits futurs, en poursuivant les efforts en faveur du renforcement du lien armées-Nation et en formant effectivement les professeurs aux enjeux de défense ».

Je les trouve bien timides. La montée de la réserve opérationnelle, l’élaboration du plan Famille II ou la rénovation du Service de santé des armées participent effectivement à renforcer le lien Nation-Armée.  Mais les enjeux sont d’un autre ordre, d’autant plus que les forces morales enfoncent leurs racines dans les profondeurs mêmes de nos sociétés, elles ne sauraient faire oublier que aussi nécessaires qu’elles soient, elles ne sont pas suffisantes.

La guerre de 1870 a cruellement rappelé à l’armée française que le seul moral ne suffisait pas.  Le courage et la fougue sont venus se fracasser sur la technologie et la tactique prussiennes.

Je citerais donc le maréchal Lyautey : « La plupart des erreurs humaines viennent du fait qu’on emploie la conjonction “ou”, là où l’on devrait employer la conjonction “et” », il faut dire simplement qu’il ne s’agit pas de choisir entre l’homme ou le matériel, mais bien de prendre en compte l’homme et le matériel, et, plus particulièrement en ce début de XXI^e siècle, de ne pas négliger la dimension psychologique du combattant ».

Je crains donc, que cette loi de programmation tout en posant les vraies questions ne donne que des réponse partielles en introduisant trop de « ou » et pas assez de « et ». Les forces morales et les moyens restent indissociables.  

On ne peut bâtir la défense de la France en se mentant à soi-même, en restant flou sur les objectifs, en oubliant que les guerres au front se gagnent de l’arrière, ce fameux front de l’arrière qui nous fait tant défaut.

Roland Pietrini

(1)   Loi programmation militaire 2024 -2030 LPM | vie-publique.fr

(2)  Guerre de haute intensité : guerre où toutes les fonctions opérationnelles sont susceptibles d'être activées pour s'opposer à une violence caractérisée de l'adversaire. (terre-air-mer-espace-cyber-information etc…) La haute intensité : limites du concept et implications pour la France - Le Rubicon

(3)  « Le Mythe national » de Suzanne Citron | lhistoire.fr

(4)  Les forces morales d'une nation et de son armée (revuedesdeuxmondes.fr)