ATHENA-DEFENSE

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Modèle d’armées 2030, et si nous nous étions trompés ? Premier volet : l’Armée de terre

 

 

 

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 photo ministère de la défense

 

Lorsque l’on regarde de près, la projection 2030 du modèle de nos armées, et qu’on réfléchit sur les choix qui ont été fait, qui sont la conséquence de plusieurs facteurs tous aussi contradictoires les uns d’avec les autres, nous sommes en droit de nous poser certaines questions.  

 

Les premières d’entre elles, celles qui dimensionnent toutes les autres, sont relativement simples, elles sont de trois ordres : celle du dimensionnement face à la menace, celle de leurs catégorisations dans l’ordre des priorités, celle de la comparaison par rapport aux choix faits par nos alliées et enfin celle de nos capacités industrielles et financières toutes dictées par l’impératif de vendre à l’export et donc d’offrir à nos armées le choix biaisé d’un matériel soit sous-capacitaire soit sur-capacitaire au gré des contingences du marché.   

 

Bref, sommes-nous allés assez loin dans notre évolution, ou comme d’habitude avons-nous choisi un compromis insatisfaisant plutôt que d’imaginer une vraie  rupture ?

 

 

 

Nous participons aujourd’hui à des conflits  de type hybride. Or,  les concepts même de guerre asymétrique, dissymétrique ou classique, sont déjà totalement dépassés. Les guerres que nous menons sont multiformes  face à des menaces multidirectionnelles  mêlant à la fois des moyens sophistiqués avec d’autres, d’apparence plus simples mais hautement complexes dans les manières de les contrer. Nous avons perdu 80 VAB et VBL au Levant, aucun par combat direct,  quasiment tous ont été touchés par des mines ou des IED.  (1)

 

Cette constatation de la vulnérabilité de nos blindés depuis l’Afghanistan a conduit à privilégier la protection au détriment de la mobilité, surtout stratégique, car la conséquence directe est l’alourdissement de ce que l’on continue à dénommer léger. : Je me cite (2) : « Un VBCI pèse aujourd’hui  environ 30 tonnes, alors qu’un AMX10P pesait 14 tonnes soit deux fois moins. Un Griffon pèsera 25 tonnes, alors que le VAB,  qu’il est censé remplacé, pèse  entre 13  et 14 tonnes. Quant au Jaguar qui remplacera les AMX10 RC et autre Sagaie, pèse 25 tonnes aussi, soit 10  et  15 de plus que ses prédécesseurs » et cerise sur le gâteau, le VBMR d’appui léger (les 978 VBMR léger, qui viendront en complément du VBMR lourd Griffon et de l’Engin blindé de reconnaissance et de combat (EBRC) Jaguar et qui remplacera une partie des VAB),  pèsera tout de même,  12 tonnes. Or,  le choix de la roue sur la chenille fait par l’armée française a aussi ses limites, on l’a vu dernièrement en Lituanie, où nos VBCI furent cloués sous abris, car peu adaptés à progresser dans la neige,  ont été remplacés en urgence par  des VAC de la 27° DIA. Car  en théorie, plus un sol est sec et dense, plus la mobilité sera favorisée pour un véhicule à roue, sauf que le sol d’une partie de l’Europe de l’est se prête aux déplacements des chenillées plutôt que des véhicules à roues. On a vu des unités entières de la Wehrmacht s’enliser en 1941 en Russie.   À l’automne et au dégel lorsque  la terrible « raspoutitsa », une boue poisseuse dans laquelle s’enfoncent hommes et véhicules, se forme, seuls les blindés à chenilles larges et de faible pression au sol passent, mais cela serait vrai aussi sur certains terrains du Centre Europe, sur le pourtour de la mer Noire, en montagne sur les bandes littorales et sur notre territoire (se souvenir des Ardennes de janvier1945) lorsque les infrastructures seront détruites. Il ne faut pas oublier non plus l’équipement des hommes qui doit être adapté.

 

 

A ce constat,  il faut rajouter que nous avons fait totalement l’impasse sur les capacités de franchissement de nos engins dont aucun y compris ceux dédiés à la reconnaissance ne sera amphibie, ce qui est un non-sens, alors qu’en Europe on rencontre une coupure humide tous les dix kilomètres ; or cette impasse n’est pas  compensée par le renforcement des capacités pontage du  génie, il y a de quoi s’inquiéter !

 

Nous sommes et nous serons donc tributaires des routes ou des bonnes pistes à l’exclusion des Chars que nous avons réduits drastiquement en nombre, (pas forcément de manière réfléchie, certaines nations reviennent d’ailleurs sur leur décision de supression) mais  toujours pour des raisons d’économie.  Il faut aussi songer à la cohérence dans les domaines de logistique et d’emploi. Sur le seul secteur des blindés médians, nous possèderont six modèles différents d’une même catégorie de véhicules (VBCI, et bientôt Griffon, Jaguar et VBML, sans oublier le VBL valorisé, les VAB ultima et autres hybrides et probablement jusqu’en 2025 des AMX10RC), tous ces matériels nouveaux poseront le problème récurrent du poids.  Trop lourd (en logistique) et trop couteux (à l’achat, à déployer, et à maintenir), pour des opérations de simple maintien de la paix et de très basse intensité ; et pas assez lourds, trop légers (dans tous les sens du terme), et insuffisamment protégés et blindés pour faire de la haute intensité, et notamment les guerres probables de demain, c’est-à-dire les guerres urbaines.

 

 

Nous pourrions aussi évoquer le choix de l’abandon du canon de 105 au profit du canon de 40mm, compensé, mais seulement en partie  par le missile MMP, le trou capacitaire qui existe entre le canon du Leclerc notre seul char de combat et celui du Jaguar de 40mm dont la salve de 3 coups pourra au mieux détruire les optiques ou les censeurs des chars adverses à condition qu’il soit suffisamment près mais qu’il ne détruira jamais sinon avec son missile. Encore devra-t-il être dans des conditions où il sera en mesure de l’utiliser, c’est à dire sur terrain libre.  En zone péri-urbaine ou urbaine il y aura trop d’obstacles pour son emploi, même si le fait de pouvoir tirer le blindé adverse en dehors de la vision direct, ce qui est une option dans le cadre du combat collaboratif, il lui faudra toujours un effecteur humain ou robot terrestre ou drone qui observe l’hostile pour le détruire.

 

Ces questions,  il est évident que les Etats-Majors se les posent ou se les sont posées, mais il y en a bien d’autres.

 

L’engagement de nos troupes est donc tributaire moins de la réalité du terrain que des coûts induits de leur utilisation. On le voit au Mali où on évoque des raisons plus ou moins valables pour ne pas engager nos VBCI  (trop lourds, trop chers, la rasions de l’inadaptation des certains censeurs à la chaleur est un fake. Aucun censeur thermique ne fonctionne lorsque le sol est chauffé suffisamment pour frire un œuf...) mais mieux protégés que nos VAB à bout de souffle et mal protégés contre les IED.  « Finir »  ( les VAB)  au Sahel est certes,  une bonne justification de comptable, mais quid de la protection de nos hommes ?  Alors, dans ces conditions ce sont souvent les Forces spéciales qui font le job le plus efficace, car leurs moyens (réellement légers) et leurs règles d’engagement sont mieux adaptées au terrain et au profil de l’ennemi à détruire. 

 

Une information (publique)  de l’amiral chef des forces spéciales montre les problèmes que pose  le suremploi des FS. Actuellement, près de 6.000 militaires français sont engagés dans une opération extérieure (OPEX), dont 4.000 au Sahel (Barkhane), 1.200 au Levant (Chammal) et 750 au Liban (Daman). « En permanence, ce sont environ 800 militaires, dont 600 des forces spéciales, qui sont placés sous mon contrôle opérationnel et déployés en opérations extérieures, ce qui représente environ 10 % des forces françaises déployées en OPEX ». Une remarque cependant, dans le cas d’un engagement sur un territoire Centre-Européen à l’exclusion du renseignement et du combat sur les arrières,  l’emploi et l’équipement des FS seraient totalement à repenser.

 

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photo ministère de la défense

 

 

 

Qui peut dire aujourd’hui qu’un conflit en Centre-Europe dans lequel nous serions engagés est exclu ?  Alors que l’on constate la montée des intégrismes et des radicalisations y compris populistes, sur les rives de la mer Noire et au frontière de l’Europe, sans oublier les pressions exercées par l’Otan sur les marches de la Russie qui, peu ou prou, contribuent plutot à la déstabilisation de ces zones.    

 

Incidemment, il est amusant de traduire le volume de notre armée terrestre future en 2030 à l’aune des moyens terrestres de l’armée russe de 2009. En dépit des évolutions qui sont notées par les « spécialistes » l’organisation des armées russes reste fondamentalement et culturellement la même depuis la chute de l’URSS.   Ce qui change,  c’est un renforcement non négligeable en moyens de transmission,  de drones et de C3I et un engagement plus conséquent des appuis aériens un peu copié-collé sur les règles d’engagement de l’OTAN.

 

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Terminator (photo sputnik)

 

En 2009,  l’armée terrestre russe était composée (outre les immenses réserves  et stocks hérités de la guerre froide) : de 23 divisions ont été réorganisées en 85 brigades, 40 brigades interarmes  soit  4 brigades blindées, 35 brigades de fusiliers motorisés, et une brigade de forteresse, 45 brigades d’appui : 9 brigades de missiles, 13 d’artillerie (dont 4 de fusées), 9 de défense antimissile, 1 d’ingénieurs, 7 brigades de forces spéciales, 3 de guerre électronique et une de reconnaissance, celle-ci basée à Mozdok (Caucase-Nord).

 

 

Le système ternaire plus un a été préservé, en dépit des tentatives d’allègement, c’est-à-dire :   

 

Une brigade blindée  est en fait une unité majeure interarmes qui se compose de  trois régiment blindés à trois bataillons blindés plus un bataillon de fusiliers motorisés et d’un régiment de fusiliers motorisé à 3 bataillon de BMP3 et 1 bataillon de chars, chacun des bataillons possédant des mortiers de 120mm,  plus un régiment d’artillerie à deux bataillons d’obusiers de 152 2S3, un bataillon de LRM, un bataillon sol-air de Toungouska et SA11, un bataillon de transmission  et de logistique ( incluant munitions et rechanges dépannages)  et génie avec moyens de pontage de minage et de lutte contre les mines.  Soit 120 T80/90 – 120 BMP3 une centaine de BTR et autres dérivés,  36 2S3, 18 BM21, 18 SA11 et 120 Manpad, 3000 véhicules divers. La plupart des blindés sont en capacité de franchir les coupures humides et s’affranchissent donc des infrastructures routières. Chaque division possède de moyens  conséquents en hélicoptères de transport et d’attaques fournis par leur armée de l’air.

 

Alors qu’en terme de volume, l’armée de terre française sera constituée nous dit le général Bosser « de 2 divisions à trois brigades interarmes soit 6 brigades dont deux brigades de haute intensité, équipées du char Leclerc rénové, de deux brigades médianes équipées des blindés Jaguar et Griffon, qui constituent le cœur de Scorpion, et de deux brigades légères que sont les brigades parachutistes et d’infanterie de montagne. Ceci permettra de mener des actions de haute intensité et des actions « ultralégères ».

 

En volume,  ce n’est pas tout à fait deux brigades russes, avec des moyens de protection sol-air, en net infériorité et  des moyens en artillerie tout aussi relativement pauvres, une limitation forte à la mobilité compte tenu des restrictions en moyen de franchissement. Alors qu’au contraire pour pallier notre déficit en moyens lourds nous devrions renforcer nos moyens d’appuis tant en artillerie qu’en appui 3D,  tout  en renforçant notre protection sol-air et nos moyens de franchissement.

 

Certes,  le modèle russe n’est pas une référence standard et nous n’avons pas la même histoire,  ni la même géographie ni les mêmes menaces à gérer ni le même environnement géopolitique, ni les mêmes ressources,  mais à la différence de la Russie nous sommes constamment engagés dans des conflits qui risquent de nous entraîner dans une schizophrénie récurrente.

 

En 2030,  (si les budgets sont respectés) c’est-à-dire dans 12 ans, nous aurons 200 Chars Leclerc, 300 Jaguar, 1872 Griffon, 972 VBMR léger, 1060 VBMR léger, 800 VBL régénérés, 109 Caesar,  67 hélicoptère Tigre et 74 hélicoptères NH90TTH. Répartis en 12 commandements de niveau divisionnaire. Combien seront en mesure de rouler ou de voler, quel serait leur taux d’attribution ? Avons-nous des stocks en réserve ?

 

Cette schizophrénie tient à l’inadéquation entre nos moyens et nos engagements  contre le terrorisme et les conflits périphériques (levant-Sahel-Afrique) et la nécessité de répondre à des menaces de déstabilisation et de conflits en Centre-Europe.

 

Fantasme,  me direz-vous?  Vision d’un  vieux soldat qui est marqué par la guerre froide, pourtant la « der des der » de 1918 et le « plus jamais ça » résonnent dans les têtes et cela n’a pas empêché la seconde guerre mondiale.  Avec un Poutine qui entame un 4° mandat,  un Xi Jinping élu à vie en Chine, une Pologne de plus en plus soumise à la politique  hasardeuse d’une Amérique imprévisible, une Asie en profonde mutation,  une Grande-Bretagne en crise du Brexit, et dont les armées sont exsangues, une Allemagne dans l’incapacité de combattre à nos côtés est un fait,  car  bridée  par La Loi fondamentale de la République fédérale d'Allemagne  qui investit la Bundeswehr d’une mission stricte territoriale de la  défense de l'Allemagne. L’armée allemande est une armée de DOT, qui est particulièrement démunie. (3)

 

Ce qui est  certain, c’est qu’on semble avoir oublié le rôle stratégique éminent de l’armée classique, être trop faible nous contraindrait à employer l’arme nucléaire,  si nous étions menacés. En 2006,  le général Bentegeat déclarait devant le commission des affaires étrangères et de la défense du sénat : « le terrorisme international devrait rester la toile de fond, générale et permanente, sans qu'il soit possible de définir si les fondements mêmes sur lesquels il progresse ont été partiellement ou complètement traités.

 

La troisième menace vraisemblable est la prolifération des armes de destruction massive, qui ne constitue plus seulement un risque mais une réalité et une menace véritable. Les conflits locaux seront nourris par la formidable pression exercée sur l'énergie et les matières premières et la montée en puissance de la Chine et de l'Inde. Nous pourrions être confrontés à trois types de menaces :

 

- la première, la plus dangereuse, est le chantage avec menace d'agression émanant d'une puissance nucléaire. Face à une menace de cette nature, la réponse conventionnelle serait inadéquate. Seule la dissuasion nucléaire constituerait une garantie suffisante ;

 

- la plus vraisemblable des menaces serait une agression ou un chantage, émanant de puissances régionales avec armes balistiques équipées de têtes biologiques ou chimiques, c'est-à-dire capables de créer des dégâts humains considérables dans une ville comme Paris ou Marseille. Cette menace ne pourrait être contrée que par une dissuasion nucléaire crédible ou par des défenses anti-missiles efficaces qui relèvent encore aujourd'hui de l'hypothèse ;

 

- le terrorisme est la dernière menace qui appelle des réponses multiformes. La dissuasion nucléaire ne serait pas engagée, sauf si la complicité d'un Etat dans des actes de terrorisme était démontrée. »

 

Depuis,  12 ans plus tard, la réflexion sur l’équilibre entre force nucléaire et forces conventionnelles n’a pas beaucoup avancée,  faute d’interlocuteurs, le sujet restant tabou. Et pourtant ce sujet est majeur. On ne pourra pas mener de front et à terme  à la fois une modernisation des forces conventionnelles  et un maintien en l’état des forces de dissuasion, avec un budget aussi serré. Il faudrait probablement dissocier les deux budgets, celui de la dissuasion devrait être supporté par un effort particulier de la nation. Mais cela ne se fera jamais.

 

Un mot en ce qui concerne les personnels de l’Armée de terre et cela est valable pour les deux autres Armées. Avec un nombre de contractuels de plus en plus important, le renouvellement des personnels et donc leur  fidélisation est un sujet majeur. Ces personnels surexploités dans tous les sens du terme et de manière inégalitaire sont composés en majeure partie de gens remarquables et compétents.  Les breloques et autres récompenses ne remplaceront jamais la considération et le respect qu’on leur doit. Cela passe par des rémunérations décentes et un statut particulier. La menace notamment sur leurs retraites est un danger sans doute qu’on sous-estime. 

 

L’hommage aux morts ne suffit pas, la considération pour nos blessés non plus, il faut leur donner les outils à la hauteur de leur mission et cesser de les prendre pour des citoyens de seconde zone.

 

 

 

Roland Pietrini

 

 

 

 

  1:   Les opérations extérieures mettent la maintenance du matériel à rude épreuve En savoir plus sur http://www.opex360.com/2015/12/12/les-operations-exterieures-mettent-la-maintenance-materiel-rude-epreuve/#zE8i5Wse870XZMEv.92

  

  2:  Scorpion, un choix sans retour qui engage l’Armée de Terre pour des décennies

 

   3:  à Berlin, le commissaire parlementaire aux forces armées - une fonction sans équivalent en France de contrôle indépendant des armées - Hellmut Könighaus vient de de lancer un cri d'alerte : "Les missions extérieures de la Bundeswehr ne sont plus compatibles avec l'état actuel du matériel". Principal accusé : le manque de crédits pour le maintien en condition opérationnel des équipements. Les chiffres de la Bundeswehr sont  en effet inquiétants:

 

Helicoptères Tigre : 10 dispo sur 31, Hélicoptère NH-90 8 sur 33, Hélicoptère Sea King 3 sur 21,  etc voir l’article de Merchet sur Secret Defense  voir plus sur L'état désolant de l'armée allemande : https://www.lopinion.fr/blog/secret-defense/l-etat-desolant-l-armee-allemande-16746

 



18/03/2018
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