ATHENA-DEFENSE

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Point sur le renseignement français - La communauté du renseignement-

A propos de la Communauté nationale du renseignement, organisation et fonctionnement.

 

AUDITION DE M. ALAIN ZABULON, COORDONNATEUR NATIONAL DU RENSEIGNEMENT devant LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 6 novembre 2013.

 

"La communauté nationale du renseignement étant une institution mal connue en dehors de quelques spécialistes, je tiens à vous en brosser les contours avant d’évoquer les principales dispositions du volet renseignement du projet de loi de programmation militaire.

Les services de renseignement sont au nombre de six.

Il existe tout d’abord deux grands services à vocation généraliste, la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI).

La DGSE a pour mission de rechercher et d’exploiter les renseignements qui intéressent la sécurité de notre pays et de détecter et d’entraver hors du territoire national des activités d’espionnage dirigées contre les intérêts français afin d’en prévenir les conséquences. Comme son nom l’indique, la DGSE est un service qui assure la sécurité des intérêts de la France à l’extérieur grâce aux informations qu’elle recueille.

La DCRI, elle, a compétence pour lutter sur le territoire de la République contre toutes les activités qui sont susceptibles de constituer une atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation. À ce titre, elle a pour mission de détecter les risques de menaces terroristes, notamment d’attentats, en surveillant des individus dont il est avéré ou dont on peut penser qu’ils sont susceptibles de commettre des actes hostiles à la sécurité et aux intérêts fondamentaux de la nation. Cette mission de renseignement intérieur englobe tous les aspects relatifs à la sécurité du territoire.

La DCRI est le fruit de la fusion de l’ancienne Direction de la sécurité du territoire (DST) avec une partie de la Direction centrale des renseignements généraux (DCRG), direction qui a disparu – les renseignements généraux n’existent plus –, l’autre partie des RG ayant rejoint la Sous-direction de l’information générale (SDIG), qui pratique, dans les territoires, la collecte des informations nécessaires aux préfets.

Il existe quatre autres services, plus spécialisés.

La Direction du renseignement militaire (DRM), qui est à la disposition du chef d’état-major des armées, recueille toutes les informations nécessaires sur les théâtres d’opérations pour permettre aux forces armées de se déployer et d’agir dans les meilleures conditions. Elle dispose à cet effet de moyens d’observation très développés – des satellites, des avions, des drones de nouvelle génération qui remplaceront le parc actuel qui est en voie d’obsolescence – qui permettent de guider les forces armées au sol dans leur déploiement.

La Direction de la protection de la sécurité de la défense (DPSD), sous la tutelle du ministre de la Défense, assure la sécurité du personnel militaire, des informations détenues et maniées par le ministère de la Défense, du matériel et des installations sensibles. Elle garantit en quelque sorte la sécurité de l’« outil défense ».

La Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) a pour priorité de lutter notamment contre la grande fraude douanière, la criminalité organisée et les trafics en tous genres – drogues, marchandises diverses ou armes –, dont la circulation est favorisée par la mondialisation.

Tracfin – Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins –, enfin, est une cellule de renseignement financier qui recueille et analyse tous les renseignements propres à établir l’origine et la destination de sommes ayant fait l’objet d’une déclaration de soupçon. Tracfin est un service qui est alimenté par les déclarations auxquelles certaines professions sont tenues de procéder, notamment dans le secteur bancaire. Ce service enquête sur les transactions financières, dont l’origine ou la destination sont sujettes à soupçon et peut saisir le procureur de la République s’il soupçonne une infraction.

Ces six services forment la « communauté nationale du renseignement », qui est une formule originale. En effet, trois de ces services, la DGSE, la DRM et la DPSD, sont placés sous l’autorité du ministre de la Défense, tandis que la DCRI est placée sous celle du ministre de l’Intérieur et la DNRED et Tracfin sous celle du ministre de l’Économie. Ils sont donc clairement placés sous l’autorité de leur ministre de tutelle : il n’existe pas, dans le système français, de « superchef » des services de renseignement. Il s’agit d’une organisation administrative classique de grandes directions qui sont des services publics placés sous l’autorité des ministres. Toutefois, comme les services composant la communauté du renseignement ont des sujets communs à traiter, le décret du 24 décembre 2009 a créé la fonction de coordonnateur national du renseignement, qui est placé auprès du président de la République.

La première mission du coordonnateur est de veiller à la qualité de l’information transmise par les services de renseignement au chef de l’État. Tous les jours, les six services que j’ai décrits font remonter des notes et des informations sur les sujets d’actualité. S’agissant de l’extérieur, les notes les plus abondantes portent à l’heure actuelle sur la Syrie, le Mali, la République Centrafricaine ou les événements dramatiques qui se sont déroulés au Kenya. En matière de sécurité intérieure, les notes portent essentiellement sur les risques liés aux groupes islamistes radicaux susceptibles de provoquer des attentats et de se livrer à des activités de terrorisme. Le rôle du coordonnateur est de veiller tous les jours à coordonner et à mettre en forme ces multiples informations et à les adresser au président de la République qui, tous les soirs, trouve sur son bureau une note qui fait la synthèse des informations adressées par les services de renseignement.

La deuxième mission du coordonnateur est de définir et de hiérarchiser les priorités : l’action des services de renseignement s’inscrit dans un cadre fixé par le Gouvernement et tracé dans un document classifié « secret défense » et intitulé « Plan national d’orientation du renseignement » (PNOR). Ce document, qui définit les priorités d’action des services, constitue leur feuille de route. Le PNOR est rédigé par le coordonnateur national du renseignement et son équipe en étroite concertation avec les services.

Je tiens à vous faire part de la création, cette année, d’un nouveau document d’orientation générale, intitulé « Stratégie nationale du renseignement », qui, lui, sera rendu public. Il permettra de communiquer sur les grandes priorités des services de renseignement pour les deux ou trois ans à venir. Il est en cours d’élaboration en concertation avec les cabinets des ministres concernés.

La troisième mission du coordonnateur est d’être l’interlocuteur privilégié du Premier ministre et des cabinets ministériels concernés en matière de renseignement. Ainsi, dans le cadre de l’adoption de la prochaine loi de programmation militaire, le coordonnateur national du renseignement est associé à toutes les réunions interministérielles où sont examinées les propositions d’amendements. Il fait en permanence le lien avec les services de renseignement pour les informer du cheminement du texte et recueillir leur avis sur une disposition ou sur une proposition d’amendement.

Le coordonnateur est également l’interlocuteur de la délégation parlementaire au renseignement (DPR), qui a été créée en 2007 et est composée de huit parlementaires, quatre députés et quatre sénateurs. La prochaine loi de programmation militaire donnera à cette délégation des prérogatives renforcées puisqu’elle sera chargée du contrôle de l’activité du Gouvernement dans le domaine du renseignement. C’est un grand progrès que le Parlement, par l’entremise de sa délégation spécialisée, s’intéresse au monde du renseignement, qui a souvent souffert, à tort, d’une réputation sulfureuse en raison d’affaires ayant défrayé la chronique. Or les services de renseignement participent de la politique de sécurité globale et il est bon que le Parlement s’y intéresse. Je tiens à souligner la qualité de la collaboration et des rapports de confiance qui se sont instaurés entre la communauté du renseignement et la délégation parlementaire depuis sa création.

Le coordonnateur – c’est sa quatrième mission – veille également à la bonne utilisation des moyens alloués aux services de renseignement. Des arbitrages budgétaires assez favorables ont été rendus dans le cadre de la loi de programmation militaire et la communauté du renseignement s’est engagée dans une politique dynamique de mutualisation des moyens qui lui sont alloués. Le monde du renseignement n’échappe pas à la « course aux armements » : l’évolution des moyens techniques d’investigation et d’interception rend nécessaires des investissements très coûteux. C’est pourquoi chaque euro affecté à la communauté du renseignement est, dès que les conditions sont remplies, mutualisé entre plusieurs services de manière à ce que ceux-ci ne soient pas tentés, notamment, de disposer de leurs propres dispositifs informatiques ou d’interception.

Je tiens aussi à rappeler que les services de renseignement sont contrôlés puisqu’ils sont des administrations de l’État. Il existe cinq niveaux de contrôle.

Les agents des services de renseignement, y compris à l’autre bout du monde, agissent tout d’abord sous le contrôle de leur hiérarchie, qui rend compte au ministre de tutelle. Les corps d’inspection exercent eux aussi leur propre contrôle de ces services. Du reste, un décret créant une inspection spécialisée pour les services de renseignement devrait être publié avant la fin de l’année 2013. Cette inspection regroupera les compétences de l’inspection générale de l’administration du ministère de l’Intérieur, de l’inspection générale des finances et du contrôle général des armées du ministère de la Défense. Elle conduira, outre des missions de contrôle, des missions d’audit, d’évaluation et de conseil des services de renseignement.

La France étant un État de droit, le monde du renseignement n’est pas non plus à l’abri du juge, qu’il s’agisse du juge des comptes ou du juge pénal. Les services de renseignement ne bénéficient donc d’aucun régime d’irresponsabilité pénale, même si certaines dispositions protègent les agents, par exemple ceux qui infiltrent des groupes particulièrement dangereux et qui bénéficient d’une fausse identité ou de mesures spécifiques de protection.

Le Parlement, par l’entremise de la délégation parlementaire au renseignement, contrôle, quant à lui, non pas directement les services de renseignement mais l’activité du Gouvernement dans le domaine du renseignement.

Enfin, des autorités administratives indépendantes participent à la régulation de l’activité de la communauté du renseignement. La Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS), créée par la loi du 10 juillet 1991, émet un avis sur toutes les demandes d’écoutes formulées par les services de renseignement. La Commission nationale informatique et libertés (CNIL) suit les fichiers détenus par les services de renseignement et fait des contrôles sur pièces et sur place à l’occasion du droit d’accès indirect ouvert aux tiers.

Tels sont les cinq niveaux de contrôle des services de renseignement.

La communauté du renseignement est entrée dans une phase très active de collaboration entre les services, qui ne connaissent pas la « guerre des polices ». Les relations, les coopérations et les échanges d’informations n’ont jamais été aussi intenses et poussés qu’aujourd'hui. Je peux en témoigner à propos de la crise syrienne, la première dont j’aie assuré le suivi en tant que coordonnateur national du renseignement : les informations précises et fiables qui sont remontées au président de la République ont joué un rôle très important dans le processus de prise de décision et dans la définition de la position de la France.

Voici, rapidement exposé, le panorama du renseignement en France. Je me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions."

 

 



20/11/2013
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