Précaution pour un repli d'Afghanistan de René Cagnat.
Né en 1942 à Madagascar, ayant parcouru le monde au fil d'une carrière d'officier et de diplomate, René Cagnat (1) est l'un des spécialistes reconnus de l'Asie. Il me confie, ce texte que je trouve intéressant et détaillé, afin de le publier ce que je fais bien volontiers, sous les réserves d'usage, ce texte n'engageant que son auteur. . Je l'en remercie
Afghanistan- Tadjikistan- Kyrgyzstan
Du Piandj au Tchou en passant par le Ferghana : précautions pour un repli
Les récents débordements américains fragilisent dans certaines zones du Tadjikistan, du Kyrgyzstan et du Kazakhstan le repli amorcé par la FIAS hors d’Afghanistan[1]. En effet, certaines régions qui vont être traversées par nos convois, notamment au Tadjikistan et au Kyrgyzstan (Ferghana), présentent un risque « moyen » de manifestations d’hostilité, de harcèlements, voire d’attentats agencés par des islamistes ou de simples musulmans ulcérés par « l’ autodafé » des Corans. Les Américains ne seront pas les seuls visés : un amalgame sera fait et tous les camions, matériels ou « accompagnateurs » occidentaux peuvent être menacés. Des précautions devront donc être prises ou, par endroits, des itinéraires de remplacement recherchés.
Des vêtements civils devront être préférés pour les chauffeurs et « accompagnateurs ».
Jusqu’en début mai, il y a par endroit des risques d’avalanches. Le risque d’éboulements est permanent. Les ouvrages d’art en mauvais état peuvent souvent être contournés.
Enfin, si elle peut être organisée, une coopération avec les transporteurs et les constructeurs chinois présents tout au long des circuits serait judicieuse.
Précautions au Tadjikistan
Une surveillance discrète mais étroite, policière et militaire, des itinéraires semble nécessaire sur tout le parcours choisi au Tadjikistan, de Nyjni-Pyandj à Karamyk (Alaï) via Faïzabad, Obigarm, Racht. Le passage vers Och par l’itinéraire tadjik nord (Douchanbé-Chakhistan-Khodjent-Batken) est à éviter.
Une ouverture de route et un accompagnement des convois par des unités de l’armée tadjike est indispensable dans la vallée de Garm ( de Faïzabad à Karamyk).
L’accompagnement des convois par un officier tadjik et un guide interprète de l’entrée à la sortie du pays est indispensable.
Le personnel occidental à bord des camions et engins devra être en civil (tenue de travail) et discrètement armé. Les lieux de halte, de repos et de réapprovisionnement devront être discrètement protégés. Le recours aux constructeurs et transporteurs chinois présents sur maints itinéraires de Garm à Och ainsi que la mise à disposition de leurs installations seraient d’une grande utilité.
Précautions au Kyrgyzstan et au Kazakhstan
L’ouverture de route et la protection des convois est plus que souhaitable à partir de l’Alaï (Karamyk) jusqu’à Tach-Koumir, surtout au cours de la traversée du Ferghana kirghize. La surveillance policière discrète de tout l’itinéraire est indispensable. Les contournements des villes d’Och et de Djalalabad devront être particulièrement surveillés. L’arrêt des véhicules au court de ces contournements devra être interdit. La traversée d’Ouzghen, ville très musulmane, dont le contournement sera difficile risque de poser problème.
L’accompagnement des convois sensibles par les militaires kirghizes et par un guide-interprète local semble indispensable.
La traversée des Monts Célestes par le col de Kazarman n’est possible de mai à octobre que pour des camions, des blindés légers et des 4X4.
Dès l’arrivée dans la plaine du Tchou et pour toute la traversée de celle-ci, notamment lors du contournement de Bichkek, certaines précautions seront nécessaires : surveillance des routes et accompagnement militaire des convois.
En liaison avec l’armée kazakhe, cette surveillance et cet accompagnement devront être prolongés en direction d’Almaty.
Un embarquement sur VF à Bichkek est réalisable et préférable.
Autres itinéraires possibles
Au Tadjikistan par le Gorno-Badakhchan
Le recours à l’itinéraire d’approvisionnement du contingent soviétique dans les années 1980 via le Gorno-Badakhchan (la célèbre M41 d’Iskachim à l’Alaï par Khorog et Murghab) est concevable pour des camions gros porteurs et des engins blindés si l’itinéraire afghan jusqu’à Iskachim est suffisamment équipé et sécurisé. La M41 était utilisée toute l’année (même en hiver) par les Soviétiques avec l’appui technique constant de bataillons de construction répartis le long du tracé. Ce sont maintenant des entreprises chinoises présentes sur place qui pourraient fournir une aide logistique.
Après Iskachim, l’itinéraire est sûr car il traverse des zones de peuplement ismaëlien ou des déserts. La route, en passe d’être refaite par les Chinois est pratiquée par eux avec des camions gros porteurs malgré des passages défoncés qu’ils contournent par des pistes. Un pont devra étre reconstruit (un mois de travaux) dans la région de Mouzkoul au sud de Karakol. Mais en période de basses eaux la difficulté peut être surmontée par le contournement par des gués. Le franchissement de quatre cols au-dessus de 4000 m (dont l’AK-Baïtal à 4655 m) n’est pas réellement difficile. L’aide des travaux publics et des transporteurs chinois présents sur place serait précieuse par le recours, notamment, à leurs zones de repos, de réparation et de réapprovisionnement (carburants).
Le contournement sur 220 km à partir d’Iskachim en direction de Murghab par le Wakhan tadjik (Langar, col de Kargouch à 4344 m, puis retour à la M41 à Tavarkany) serait concevable pour des blindés et de bons camions sans remorque. Ce circuit en territoire ismaëlien et par des zones désertiques est sûr. Seul un passage à gué à flanc de montagne, trente kilomètres au nord de Langar, nécessite un aménagement et une surveillance technique.
Au Kyrgyzstan, par le col de Kyzyl-Art (4280m.)
Cet itinéraire d’accès à l’Alaï après le col de Kyzyl-Art qui appartient à la M41 en provenance de Murghab devra être aménagé sur le versant kyrgyze s’il est emprunté par des camions gros porteurs sans remorque. Un pont est à refaire mais peut être contourné à gué. La piste devra être renforcée à plusieurs endroits (un mois de travaux intensifs).
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Ce recours un peu aléatoire à la voie routière ne doit pas faire oublier que la voie royale d’un repli demeure l’utilisation du chemin de fer à partir de Mazar-e- Charif ou de Termez en Ouzbékistan. Une réussite, même approximative, du passage par la route des montagnes via le Tadjikistan et le Kyrgyzstan devrait atténuer les exigences financières des Ouzbeks pour le transit par chez eux.
[1] Un premier convoi américain de 25 camions gros porteurs a traversé le pont de Nyzhnyi-Piandj entre Afghanistan et Tadjikistan le 5 mars en direction de Bichkek.
Docteur ès sciences politiques de l’IEP de Paris, il possède une maîtrise de russe, et a été directeur de séminaire à l’IEP de Paris de 1982 à 1984, professeur de relations internationales à St-Cyr-Coetquidan de 1983 à 1985, professeur de français et de civilisation française à l’Université d’État du Kirghizstan et à l’Université américaine de Bichkek de 1999 à 2002.
René Cagnat a publié, entre autres, les essais suivants sur l’Asie centrale : Le milieu des empires: entre Chine, URSS et islam le destin de l’Asie centrale (Robert Laffont 1981, avec M. Jan), La stratégie oblique de l’URSS (Sept épées 1983, ouvrage collectif), Minority peoples in the age of Nation-States (Pluto press 1989, ouvrage collectif), La rumeur des steppes : Aral, Asie centrale, Russie (Payot-Rivage 1999), L’Asie centrale après la guerre contre la terreur (L’Harmattan 2004, ouvrage collectif), Au cœur des empires : Crimée, Caucase, Asie centrale (actes-Sud, Imprimerie nationale, avec Alexandre Orloff).
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