Retour sur la "Sécurité" en ISRAËL,
Alors que de graves tensions resurgissent au Proche et au Moyen-Orient, Israël se retrouverait en première ligne si un conflit devait éclater. Simon C., que je remercie, revient sur l'histoire de la sécurité en Israël au sens large et nous la replace dans le contexte de sa lente construction.
Roland Pietrini
Israël dispose de moyens de sécurité reconnus pour leur efficacité, notamment une armée opérationnelle et des services de renseignement pointus. Ses performances militaires résultent d’une histoire singulière.
Depuis l'époque de l'exil en l’an 70 après J.C, le peuple juif maintient l'espoir et le désir de recréer une vie nationale en Israël. Il ne s'est jamais considéré comme un peuple sans terre mais comme une nation dépossédée et qui prie quotidiennement pour le retour. Le mouvement sioniste est ainsi né de ce constat et s'est développé sur l’idée d’une recréation nationale, ce qui comprend la mise en place de structures étatiques nouvelles comprenant une administration, une langue, une monnaie, une police et une armée avec ses différents corps.
L’armée israélienne, « Tsahal» en hébreu, est d’abord née de la synthèse des armées de libération la Haganah et l’Irgoun. Le mouvement sioniste est un mouvement d’émancipation nationale, un patriotisme né d’un sentiment de déracinement et d’un constat partagé par plusieurs acteurs de la vie juive communautaire en Europe (juifs pratiquants ou non) puis s’est développé essentiellement dans la première partie du 20ème siècle. Tsahal résulte de la nécessité de créer une force capable d’accompagner le mouvement de réinstallation des juifs en Israël.
Plan de partage de la Palestine du 29 novembre 1947
La Haganah : Historiquement, l’armée clandestine juive la Haganah, fut fondée en 1920, afin de protéger les populations juives des attaques arabes dans les kibboutz. Il s’agissait de protéger les implantations juives des bandes de bédouins au temps de la domination turque. Cette unité fut en réalité renforcée par plusieurs membres de milices européennes d'autodéfense. Dès 1907, une organisation clandestine d’autodéfense « Bar Giora» du nom d'un guerrier zélote, était mise en place ayant notamment pour membres Yitsak Ben Zvi (futur Président d’Israel) et dont la devise était «Par le feu et par le sang, la Judée est tombée, Par le feu et par le sang, la Judée renaitra».
Officier féminin de la Haganah
Mais sur le plan pratique, la création d’une force armée démarre en réalité en Europe suite au pogrom de Kichinev (dans l'actuelle Moldavie) en 1903, au cours duquel quarante-neuf juifs sont assassinés et de nombreux autres sont blessées. L'impuissance des juifs au début des pogroms cause un profond désarroi. En riposte, des groupes d’autodéfense sont créés et ceux qui les rejoignent sont pour la plupart de jeunes sionistes convaincus, qui vont former une unité de défense avec des armes très rudimentaires (haches, bâtons, couteaux et pierres).
C’est également en réaction à des pogroms que va naitre le Krav-Maga. Etymologiquement, « Krav-Maga» signifie « combat rapproché», si cette discipline est considérée aujourd’hui comme un redoutable sport de combat notamment sur le plan défensif, le Krav-Maga est apparu dans un contexte de violence lors de combats de rue. A l’initiative d’Imy Lichtenfeld, un ancien boxeur et instructeur en chef de la police. Dans les années 30, il réunit autour de lui un groupe de volontaires, dont la mission était de protéger la communauté juive locale en luttant contre les attaques antisémites. Il prend ainsi part à de nombreux affrontements qui éveillent sa prise de conscience. Il est rapidement repéré par les autorités locales qui craignant sa popularité souhaitent l'interpeller. Il doit donc quitter Bratislava. Son périple dure deux ans, au terme desquels il arrive en Israël. Il intègre la Haganah où il enseigne les techniques de base de l'autodéfense tout en continuant ses activités au sein de Tsahal.
Pendant 20 ans, Imy perfectionne ses méthodes dans l'armée et les enseigne aux membres d'unité d'élite de Tsahal. L'Haganah a ensuite évolué selon plusieurs types : les groupes semi-autonomes villageois d'autodéfense, l'organisation militaire nationale, la lutte contre la présence anglaise et la guerre anti-arabe. Véritable émanation du Yishouv (la population juive de la Palestine mandataire), la Haganah reflète largement les clivages, querelles et orientations de la classe politique juive. Sa direction clandestine avait été confiée à l’Agence Juive, organisme exécutif reconnu officiellement par les Britanniques en tant qu'instrument de liaison entre les communautés juives, les futurs israéliens et les autorités britanniques. Son président était Chaïm Weizmann qui deviendra le premier Président d'Israël.
L’Irgoun : crée à l'origine par Vladimir Jabotinsky (écrivain et activiste) qui se prononça en faveur d'une formation reconnue par les Britanniques et placée sous leur commandement. Composée des pionniers eux-mêmes et d'un petit Etat-major permanent, elle était nettement orientée vers un nationalisme authentique, devant servir de police de protection. Jabotinsky lui-même réclama la création d'une armée juive. Mais un personnage particulièrement judéophobe et manipulateur Hadj Amine El Husseini, le mufti de Jérusalem veut faire face à l'installation sioniste et ne souhaite aucun compromis, il va alors dresser l'étendard d'un djihad sans concession contre le sionisme. Grand admirateur d'Hitler, il le rencontrera en 1941 et une division de volontaires arabes est même constituée en été 1942 au sein de la Wehrmacht et portera le nom de Freies arabien.
Ainsi le vendredi 23 août 1929, les bandes du mufti organisent une attaque contre la Haganah qui est repoussée violemment sauf à Hébron, Safed et Jaffa où les habitations sont brûlées. Dans le sillage des émeutes de 1929, un groupe se détache de la branche de la Haganah et fonde l’Irgoun. L’Organisation militaire juive, nommée aussi Haganah Beth fut fondée en 1931, il s'agit donc d'une scission de la Haganah. Dirigée par Avi Tehomi, c’était dans un premier temps, d'un mouvement régi par des règles purement militaires, composé de membres de toutes les générations et de toutes les organisations non-socialistes du Yishouv. L’Irgoun fut donc une solution de rechange militaire à l’impasse politique. Les objectifs de l’Irgoun différenciaient sensiblement de ceux de la Haganah. Visionnaire, Jabotinsky arguait que seule une politique ferme imposerait le respect. Son symbole était une main portant un fusil avec en arrière-plan une carte du grand Israël, incluant la Judée-Samarie et les termes : Rakh Kakh signifiant “Seulement Ainsi”.
Après de violentes manifestations de 1936, il devient clair que les militants de cette organisation sont favorables à une politique de terreur contre terreur et que leurs actions ont pour but de mettre fin à la politique de “Havlagah” (retenue). L’Agence Juive dénonça fermement les activités de l’Irgoun, car elles provoquaient des vagues d’arrestations et d’internement de la part des autorités britanniques. Ainsi, Shlomo Ben Yossef, un membre du Betar, fut le premier juif à être pendu, le 8 juin 1938, pour avoir attaqué un autocar. Jusqu’en mai 1939, les actions de l’Irgoun furent limitées à des attaques anti-terroristes.
À la suite du déclenchement de la seconde guerre mondiale, l’Irgoun sur les instructions de Jabotinsky, stoppa ses actions contre l’occupant britannique et proposa sa participation à des actions anti-allemandes.
Le Lehi : Acronyme de “Lokhamei Herouth Israel”, traduction de « Combattants pour la Libération d’Israël », signifie aussi “mâchoire”. C’est une référence au héros biblique Samson qui tua 10 000 philistins avec une mâchoire d’âne. Le Lehi était une scission de l’Irgoun, qui refusa la trêve contre les britanniques ordonnée par Jabotinsky en 1940. Le Lehi est également connu sous le nom “Groupe Stern”. Fondé par Avraham Stern, cet ancien responsable de l’Irgoun, était un homme courageux à l’impressionnante carrure qui a définitivement rejeté les temporisations du passé. Symboliquement, il changea le nom que ses parents lui ont donné à sa naissance en Pologne pour se faire appeler Eliezer Ben Yaïr, du nom du chef des neuf cents défenseurs de Massada contre les légions romaines. Obstiné et décidé, il dote son organisation d’une structure très organisée : une section par ville, formée de cellules de trois combattants.
Cependant le Lehi ne regroupe qu’une poignée d’hommes et ils ne peuvent se lancer dans des opérations de grande envergure bien que de spectaculaires actions furent menées. Avraham Stern est arrêté le 1er septembre 1939 par les britanniques pour ses activités. En juillet 1945, l’irgoun conclut un accord avec le Lehi et absorbe son idéologie visant à établir la souveraineté absolue du peuple juif sur sa terre et à utiliser la lutte armée pour atteindre ce but. À la fin de la seconde guerre mondiale, devant l’horreur de la shoah et la fermeté britannique, les différents groupes décident de coopérer et seront progressivement transformés en une seule armée nationale.
Le Mossad : Autre ligne de défense, le renseignement. Les services secrets israéliens suscitent depuis leur création, l’admiration des services étrangers et la crainte dans les rangs des ennemis d’Israël. En 70 ans, Israël a développé les meilleures techniques de renseignement connues à ce jour. Les services de renseignement israéliens ont souvent été admirés et reconnus par les auteurs de romans d'espionnage. Le Mossad est sans nulle doute l’un des services d’espionnage les plus actifs dans le monde arabo-musulman. Sa connaissance du terrain dans le monde arabe est telle que, ironie de l’histoire, le Mossad dispense des cours de « mise à jour » à leurs homologues américains. Malgré des échecs, le Mossad a toujours su se préserver et mener de front deux terribles combats : la préservation de l’intégrité d’Israël et la lutte contre le terrorisme. D’abord connu sous le nom d’INSTITUT CENTRAL POUR LE RENSEIGNEMENT ET LA SECURITE, le Mossad voit le jour en avril 1951 à l’initiative de Premier Ministre d’alors, David Ben Gourion qui fixe à la nouvelle agence sa directive prioritaire. Les premiers membres du Mossad venaient de divers horizons, ils étaient agriculteurs, combattants de l’Irgoun ou issus des rangs de la Haganah, rescapés des camps de la mort, ou tout simplement sionistes. Ils ont d'abord disséqué, assemblé et étudié les techniques du renseignement. Ils ont appris, tant bien que mal à collectionner et à analyser l’afflux de renseignements, aussi divers les uns que les autres : militaires, humains ou techniques. Mais pour faire face aux guerres incessantes et au manque d’organisation, un découpage des services se faisait plus qu’urgent. Pour cela, Ben Gourion va charger Isser Harel, véritable père fondateur du Mossad qui organisera les services de renseignements israéliens. Il va dans un premier temps s’inspirer des méthodes soviétiques en privilégiant la centralisation des informations et la prépondérance des intérêts de l’Etat sur ceux de l’individu. Ce n’est que par la suite que sera introduit un professionnalisme plus individuel et reposant davantage sur les hautes technologies. Si les locaux du Mossad sont situés au Hadar Dafna Building, sur le boulevard King Saul à Tel-Aviv où travaillent sans relâche les quelques 1 500 à 2 000 collaborateurs permanents. C'est ailleurs, à Herzilia, au sud de Tel-Aviv, perché sur une colline, que se trouvent le centre d’entrainement, la direction de la logistique et celle des opérations. C’est de là que se montent les opérations et c'est dans ce centre secret qu'est testé le matériel développé par le département technique.
Le Mossad a une structure particulière et originale composée de plusieurs départements qui collaborent régulièrement entre eux :
- L’AMAN : service en charge du renseignement militaire et qui fonctionne selon un double système : à la fois informatique le Shicklut (surveillance par satellite, par écoute) et humain « l’humint » (soit l’ensemble des informateurs, recrues et agents doubles)
- Le KAISARUT : le département des relations internationales chargé des relations et des opérations communes avec les services des pays amis d’Israël
- Le TSOMET : surnommé le « royaume » est le département de recrutement des agents
- La METSADA : le département responsable des combattants conduit les opérations d’assassinats, d’éliminations (souvent à l’explosif) et de sabotage
- La KIDON : c’est la branche exécutive de la METSADA qui est chargée des exécutions
- Le LAKAM : le département des affaires scientifiques et de la recherche et de l’interprétation des renseignements
Le Mossad doit sa notoriété à un nombre impressionnant d’opérations réalisées avec audace et courage. Les plus célèbres de ces opérations sont le fruit d’un très long et délicat travail. Qu’il s’agisse d’une opération de sabotage ou d’intimidation, les processus varient selon la logique choisie par ceux qui coordonnent l’opération. Mais au-delà de la stratégie à adopter pour une opération, le succès repose essentiellement sur la qualité des agents. Les katsas du Mossad constituent une force de frappe efficace, extrêmement habile et toujours prête à répondre au coup par coup. Ils doivent selon l’ancien chef du Mossad, Meir Amit "être capable de fomenter des troubles pour favoriser un climat de défiance mutuelle, de faire circuler une contre-propagande pernicieuse et recruter des informateurs, chacun doit faire preuve de qualités multiples, un scientifique doit être capable d’opérer sur le terrain et un katsa doit pouvoir utiliser ses compétences pour former d’autres agents".
L'ancien espion israélien Rafi Eitan (décédé), chef du commando ayant enlevé en Argentine en 1960 Adolf Eichmann à gauche sur la photo
La plus célèbre des opérations du Mossad est sans doute l’enlèvement en 1960 du nazi Adolf Eichmann en Argentine, après plusieurs années d’enquête et de traque. Il sera enlevé puis jugé à Jérusalem. Autre opération spectaculaire, celle de l’espion Eli Cohen, recruté par le Mossad dans les années 60. Ayant infiltré les plus hautes sphères du gouvernement de Damas, en particulier le Ministère, Eli Cohen passa des informations stratégiques d’ordre militaire à Israël, et ce pendant près de deux longues années avant d’être repéré par les services secrets soviétiques du KGB qui officiaient alors en Syrie. Il fut torturé sans avouer quoi que ce soit et pendu sur la place publique. Un autre agent israelien, Wolfgang Lutz se forgea au Caire des amitiés avec les plus hauts gradés de l’armée égyptienne, obtenant ainsi des informations précises sur les sites de missiles et sur le projet de missiles-fusées développé par des scientifiques allemands. En 1963, une opération d’intimidation visant les allemands obtient avec un grand succès, notamment avec l’élimination de plusieurs responsables clés du projet égyptien.
L’un des autres coups d’éclat du Mossad consista à dérober 8 vedettes commandées (et payées) à la France, mais mises sous embargo par le General De Gaulle. C’est l’affaire des vedettes de Cherbourg de décembre 1968 (1). Par ailleurs, suite au massacre de 12 athlètes israéliens aux Jeux Olympiques de Munich en 1972, le Mossad réagit à ces atrocités sous l’impulsion du Premier Ministre Golda Meir, en éliminant plusieurs membres du groupe terroriste « Septembre Noir ». Il ne s’agissait pas comme l’énonce le journaliste canadien Georges Jonas « d’une vengeance » mais de la volonté de ne pas offrir aux terroristes un sentiment de victoire. Le Mossad avait bien compris qu’il ne faut jamais laisser un acte de terrorisme sans réponses sinon quoi les auteurs risquent de récidiver. Le premier Ministre fit donc appel à une équipe spécialisée qui va traquer pendant plus de 20 ans les auteurs, complices et assistants de ce terrible massacre menant jusqu'à l’exécution d’Ali Hassan Salameh, le cerveau de l’opération de Munich et chef du commando "Septembre Noir".
Enfin, peu après la 1ère guerre du Golfe, Gerald Bull, scientifique canadien concepteur du projet Super Gun pour l'Irak, un canon à très longue portée et capable d’atteindre et de détruire Israël, est abattu à l’entrée de son appartement de Bruxelles en mars 1990, ce qui a pour effet l’abandon du programme d’armement.
En définitive, en raison de son histoire, Israël est devenue une nation dont la population accorde une confiance plus large à son armée et ses services de sécurité qu'aux autres institutions étatiques.
(1) in L’œil de Tel-Aviv de Steve Eytan
Texte Simon Coyac, illustrations et mise en page R.Pi
Simon Coyac est sauveteur en mer et a rédigé plusieurs articles pour la revue périodique de l'AJGE : "L'ORAJGE" ainsi que pour le site en ligne consacré aux arts martiaux : "MASTERFIGHT "
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