ATHENA-DEFENSE

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Russie Iran Syrie Irak, la politique du strapontin.

                                                     



 

 

Cinq semaines après avoir commencé la phase active de son intervention en Syrie, mais celle-ci avait été préparée et pensée bien avant, la Russie a créé la surprise stratégique par l’ampleur et l’efficacité de son action. Sa communication parfaitement maitrisée et pensée est un modèle du genre, ce qui fait prendre la mesure des efforts que devraient  consentir  les Occidentaux, pour arriver à un tel niveau.  Outre les images et les vidéos largement diffusées, la communication russe s’accompagne d’un discours diplomatique tout azimut dont la cohérence pourrait se résumer en deux formules – Bachar el-Assad est une pièce indispensable au règlement de la crise syrienne – il n’est pas nécessaire de  reproduire les erreurs faites en Libye et en Irak par les Occidentaux -  Aider l’opposition au régime légitime de Bachar el-Assad qui est composée en majorité d’extrémistes islamistes, autrement dit remplacer la peste par le choléra reviendrait à installer le même  chaos constaté en Irak et en Libye, en Syrie.

La lutte contre Daesh passera donc par une phase de stabilisation du régime syrien.  Ce discours a l’avantage d’être compréhensible par la majorité des gens,  surtout, en occident,  et a  eu pour effet immédiat de faire passer  le centre de décision de Washington à Moscou et force les  différents acteurs régionaux au  repositionnement face à cette nouvelle donne.  

Le récent voyage de Bachar à Moscou, convoqué par un Poutine plus que jamais en forme, démontre si cela était nécessaire que la Russie est désormais un acteur incontournable dans le règlement des grandes crises.  C’est un fait, et  le leadership  des Etats-Unis est d’autant plus menacé que son discours est  de moins en moins  compréhensible  pour ses alliés les plus fidèles. Quant à L’Europe,  ce géant économique en dépit de la crise, est un nain incapable de peser sur les affaires du monde compte tenu de son incapacité à construire une politique de diplomatie et de défense communes, dont les Etats-Unis d’ailleurs,  ne veulent à aucun prix.

Ce rééquilibrage voulu par un Poutine adulé par les poutinophiles occidentaux qui semblent oublier que Poutine pense d’abord aux intérêts de son pays  (ce qui est naturel) et un peu moins à nos intérêts légitimes  (ce qui est tout autant naturel) réagissent plus par une nostalgie de l’image fantasmée de  notre puissance perdue plutôt que par l’analyse objective des faits.  Poutine serait à leurs yeux  un Clemenceau mâtiné d’un de Gaulle… Il est vrai qu’entre contre-champ les silhouettes d’un Hollande ou d’un  Sarkozy paraissent minuscules. Leurs ombres ne sont immenses qu’au soleil couchant annonciateur du crépuscule.. .

       

La perte de confiance envers un Obama en perte de crédibilité- après une succession de présidents peu convaincants, ce qui est un doux euphémisme -  aura finalement peu marqué les dix années de son règne, est un autre fait. D’ailleurs, et c’est un signe,  Israël semble tenir de moins en moins compte des avis de son grand allié. L’Arabie Saoudite sunnite, autre grand allié de l’oncle Sam, exemple d’un mariage contre nature de la carpe et du lapin, semble avoir aussi du plomb dans l’aile.

 

Poutine, en renversant la table au Levant,  en construisant  une coalition russo- iranienne avec le Hezbollah comme allié, trouble le jeu des Etats-Unis   qui avaient rééquilibré sa  politique   envers l’Iran. L’oncle Sam  s’essaye donc à  faire le grand écart entre ceux qui sont sensés lutter contre le régime d’Assad et qu’ils aident en sous-main et  leur principal allié sunnite,  l’Arabie Saoudite, tout en tentant de se rapprocher de l’Iran chiite qui devient l’allié objectif de la Russie. A cet exercice,  l’Amérique oublie qu’elle commence à avoir des rhumatismes face à une Russie sortant plutôt d’une cure de jouvence.

 

La France, par besoin d’exister, continue à faire croire qu’elle a une politique indépendante et gesticule, ce qui ne trompe personne. Quelques avions et quelques frappes qui représentent 4% à peine des frappes en Irak et la justification  d’une intervention plus que modeste en Syrie par un droit de légitime défense, cadre particulier et un peu fumeux d’une vision très extensive du droit international, ne suffiront pas à éclaircir un discours plus que brouillé.

 

Il faut se souvenir que la France s’était elle-même tirée une balle dans le pied par sa position intenable du Ni-Ni.

 

Qui se souvient, en effet, qu’en 2012, notre inénarrable président François Hollande, fin analyste de la situation syrienne avait reconnu la nouvelle coalition de l'opposition syrienne, comme "la seule représentante du peuple syrien" et avait ouvert la voie à des livraisons d'armes, d’ailleurs jamais livrées. Où se trouvent aujourd’hui les chantres de la démocratie syrienne, reçus à l’Elysée,   dans les rangs d’Al-Nosra ? Tenter de revenir dans ces conditions par la sortie de secours pour quémander un strapontin à l’hypothétique table des négociations en continuant de poser comme un préalable le départ d’Assad, ce n’est plus du courage mais de la schizophrénie, dans son aspect perte de conscience de la réalité.

 

Moscou considère qu’il est essentiel de sauver d’abord le régime d’Assad qui contrôle plus de  60% de sa population et qui reste à leurs yeux la seule autorité légitime  afin de lutter contre Daesh dans un second temps, quitte à l’inviter à une retraite anticipée lorsque la situation sera stabilisée en Syrie. C’est pourquoi, les oppositions syriennes quasiment toutes islamistes, voire djihadistes comme Al-Nosra,  sont des cibles pour  l’aviation russe. C’est une position qui a le mérite d’être cohérente, mais qui a l’inconvénient de « gêner » un certain nombre de puissances régionales. En premier lieu,  la Turquie qui  semble grande perdante de cette redistribution des cartes. En effet,   les Kurdes bêtes noires des Turcs, pour les raisons historiques que nous connnaissons, sont désormais reconnus et apparaissent comme étant des interlocuteurs incontournables pour Moscou mais aussi pour Washington. Les incertitudes du régime d’Erdogan dues à son affaiblissement ne sont probablement que le début d’un long processus de délitement de ce pays qui était lors de la guerre froide,  le principal allié des EU en Asie.

 

Mais surtout, l’Arabie Saoudite  sunnite ressent comme un danger  la montée en puissance de son ennemi traditionnel l’Iran chiite. Téhéran avance, protégé par Moscou, Ryad est délaissée par Washington, la France vend des armes à Ryad mais aussi des armes à L’Egypte sunnite. L’Arabie saoudite qui a largement contribué à la chute du prix du pétrole pour modérer le rapprochement de Moscou avec Téhéran,  a fait chou blanc.

 

L’Iran est sur le point,  avec la levée de l’embargo,  de récupérer 150 milliards de dollars de ses avoirs bloqués, de quoi rendre à l’Iran sa place de leader le mieux organisé et le plus solide dans cette région. Il y a  fort à parier que l’Arabie saoudite agira en sous-main pour faire en sorte que l’Iran chiite ne puisse devenir une grande puissance. De  là à penser que Daech puisse être une solution d'affaiblisssement, et si ce n’est pas Daech cela pourrait être al- Qaïda… Ce qui explique qu’au Yémen, le royaume wahhabite  relâche son offensive en laissant ainsi le pays  sous l’emprise de groupes armés, y compris Al-Qaida, afin de les laisser prospérer  à son profit. La cible finale étant bien –entendu la déstabilisation de l’Iran.

 

Poutine  joue donc en Syrie à c'est "qui-qui" l’hyper- puissance?  Dans l’intérêt de son pays, et non du nôtre, cela va sans dire mais encore mieux en le disant,  afin d’affaiblir la position intenable de l’occident.

 

Les guerres  au Moyen-Orient et au Levant ne sont  que le début d’un long processus de délitement de  l’ensemble des pays de la région et d’un rééquilibrage entre les pays chiites et sunnites qui sont très majoritaires. Ceux-ci ne laisseront pas l’Iran redevenir une grande puissance  et  cela  aura des conséquences directes sur notre avenir. La crise migratoire n’en est qu’un avant-goût. Il est  donc urgent de rééquilibrer notre politique en faveur d’un dialogue avec la Russie mais aussi avec l’Iran et avec la Syrie,  sans quoi nous serons les éternels invités de la dernière heure, à qui,  à défaut d’un fauteuil, on  offrira toujours un strapontin.  

 

 Roland Pietrini

 

28 octobre 2015



28/10/2015
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