ATHENA-DEFENSE

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Ukraine-Russie, un conflit en Europe

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Après trente-trois ans de paix fragile sur notre continent, alors que partout ailleurs les tambours de la guerre battaient leur tempo, il paraissait inconcevable qu’un conflit majeur éclate à quelques heures de nos frontières, rappelant les pires heures de notre histoire. 

 

Alors, entre le moment où j’écris - en cette semaine décisive du tout début de ce mois de mars, où les forces russes envahissent l’Ukraine et encerclent les principales villes, que des populations, surtout des femmes et des enfants fuient vers l’ouest, et que d’autres hommes et femmes prennent les armes pour résister - et le moment où je serai lu, la situation aura évolué.

 

C’est donc avec beaucoup d’humilité que j’aborderais ce sujet de la déstabilisation en Europe en ayant conscience que quels que soient les États et les inconséquences des dirigeants, les peuples sont toujours victimes de la folie des hommes

 

La psychologie de l’un des auteurs est l’un des éléments importants à intégrer. 

 

Poutine est un tchékiste[RP1] , un homme de la guerre froide, il était présent en 1989 à Dresde, lorsque la foule a donné l’assaut à l’immeuble de la Stasi, il était là et il a dégainé son makarov[RP2] . Il a vu autour de lui un monde s’écrouler, il a souffert de l’humiliation de la chute de l’URSS. Il ne veut pas revivre cette même scène à la Loubianka[RP3] , il veut laver l’affront. À 69 ans cet homme à un compte à régler avec ses fantômes, l’un de ces fantômes menaçants qui le hante est celui de l’occident, cause unique selon lui de toute les humiliations subies. C’est pourquoi il ne s’arrêtera pas, il est devenu dangereux.  C’est un psychorigide qui décrypte le monde tel que le KGB l’a formé. Il veut laver l’affront de la disparition de l’URSS en sublimant un projet de Russie puissance qui poserait sa botte sur ce qu’il considère comme sa zone d’influence immédiate, l’Ukraine en fait partie, jusqu’où s’arrêtera-t-il ?   C’est pourquoi il aurait fallu l’arrêter avant, en évitant les provocations inutiles et en réglant le problème de la sécurité à l’est de la Pologne de cette Europe post guerre froide, ce qui ne fut jamais fait.

 

Dans ce scénario improbable face à cet inéluctable, l’Europe a insufflé l’idée que le guerre ne pouvait être et ne serait pas et l’idée originelle d’humanisme et de générosité a été dévoyée par la prééminence de la tolérance et du juridisme des droits de l’homme.  À trop vouloir ouvrir ses bras, elle a cumulé l’immense défaut de sa qualité, sa faiblesse. A force de vouloir unifier dans une seule culture, celle millénaire de ses membres, elle a combattu ce qui faisait sa force, sa diversité.

 

L’Europe est désarmée, moralement, comme elle est désarmée militairement et Poutine le sait, en tout cas le pense. Cette crise qui ne fait que débuter est extrêmement grave, elle traduit le profond divorce entre deux modes de pensée, un processus de délitement des relations internationales dont il est trop tôt pour en mesurer toutes les conséquences. 

Mais cette Europe amorce un sursaut, cinq jours après l’action de force de la Russie contre l’Ukraine elle découvre la nécessité de prendre en main son devenir. La peur, il est vrai, a parfois des vertus salvatrice. 

 

Emettons une hypothèse, cette fuite en avant de la part de Poutine ne serait-elle pas la prise de conscience du danger auquel son pays serait soumis ? N’aurait-il pas pris conscience que « dans tout système complexe, la destruction de l’un des éléments peut conduire à l’effondrement de l’ensemble du système » N’a-t-il pas simplement peur ?  Peur de revivre un second séisme, celui de l’effondrement de la Russie, de l’effondrement de son régime après avoir connu celui de l’URSS. Oui, Poutine se réveille la nuit hanté par les fantômes de son passé… 

 

Lorsque l’on veut s’opposer à un adversaire, mieux vaut connaitre son état d’esprit et son histoire. Mais celui-ci commet plusieurs erreurs.

 

-       La première est celle d’avoir négligé par excès de précaution la préparation mentale de ses soldats, dont certains ignoraient la véritable destination de leur manœuvre, alors que tactiquement, l’opération était planifiée depuis au moins les dernières manœuvres Zapad[RP4]  de septembre 2021, ces soldats ont été lancé dans une bataille dont ils ne comprennent pas le sens.  

-       La seconde est de ne pas avoir défini clairement son ennemi. Est-ce l’OTAN ou les Ukrainiens ? Les buts de sa guerre ne sont pas clairs, y compris pour les chefs subalternes, dont la passivité est connue avec un niveau d’initiative très faible. 

-       La troisième est celle d’avoir sous-estimé la capacité de résistance de la population ukrainienne et sa résilience dès les premières heures.

-       La quatrième est que l’on ne gagne pas une guerre contre l’assentiment profond de son propre peuple. Car, je suis persuadé que beaucoup de Russes, dès qu’ils seront informés de la réalité de cette lutte fratricide entre slaves et contre un pays berceau de la Russie, n’approuveront pas cette guerre.      [RP5] 

-       La cinquième est que quelques jours après le début des combats, il est en train de perdre la bataille de l’opinion publique, dans le monde, en Ukraine et aussi en Russie.

Enfin, et ce sera la sixième erreur d’appréciation, il pensait que le sentiment de culpabilité de l’occident, accusé de tous les maux suffirait à fissurer l’union des pays de l’Otan, or c’est le phénomène inverse qui est train de se passer, la solidarité entre les occidentaux en raison de la peur que cette intervention génère est en train de souder les pays membres autour de l’Alliance Atlantique et créer de l’appétence pour d’autres. Poutine est devenu involontairement le meilleur prescripteur pour une OTAN forte et une Europe solidaire. 

En réalité nous n’avons pas respecté notre promesse de dissoudre l’Otan après la dissolution du pacte de Varsovie. Les douze États signataire de l’Atlantique Nord sont passé à vingt-huit depuis le 16 juillet 1990 et l’accord Gorbatchev- Kohl, autorisant l’appartenance de l’Allemagne réunifié à l’Otan. En 1999 c’est la Tchéquie, la Hongrie et la Pologne qui adhèrent, en 2004, c’est au tour de la Bulgarie, de l’Estonie, de la Lettonie, de la Slovaquie, de la Roumanie et de la Slovénie, en 2009 de l’Albanie et de la Croatie et enfin en 2017, du Monténégro et 2020 de la Macédoine du Nord. Tout va se cristalliser autour de la Géorgie et de l’Ukraine.

 

Mais déjà, tout portait à la dégradation des relations. 

 

Dans un discours très offensif de 2007 lors de la Conférence sur la sécurité de Munich, Poutine avait notamment accusé l’Occident de rompre ses "garanties" en élargissant l’Otan jusqu’aux portes de la Russie et déclarait :  "qu’est-il advenu des assurances données [RP6] par nos partenaires occidentaux après la dissolution du pacte de Varsovie ? Où sont ces déclarations aujourd’hui ? Personne ne s’en souvient", avait déclaré le chef du Kremlin.  

 

En réalité, cela repose sur un malentendu. Le 9 février 1990, Hans Dietrich Genscher [RP7] et James Baker [RP8]  auraient promis à Gorbatchev que l'OTAN ne s'étendrait « pas d'un pouce vers l'Est », ce qui est contesté par d'autres analystes qui relèvent que ces propos auraient été tenus à un moment où l'URSS existait encore, et qu'ils seraient donc caducs dans le contexte géopolitique de la deuxième moitié des années 1990.

 

Le « devoir d’agir pour le maintien de la paix, l’unité et la force de l’Europe réaffirmé lors de la session plénière du Parlement européen qui s’est tenue du 14 au 17 février à Strasbourg » ne saurait rester l’expression d’un discours cent fois entendu et jamais traduit dans les actes.  

Dès le 16 février 2022, Charles Michel déclarait « nous soutenons l’Ukraine dans la crise qu’elle traverse et sommes prêts à tous les scénarios en ce qui concerne les actions qui vont être menées par la Russie ». L’Europe se tiendrait-t-elle donc prête à agir en cas d’attaque de la Russie ? Notamment au travers de sanctions qui visent la politique énergétique ?

 

Le 17 décembre 2021, Vladimir Poutine avait d’une certaine manière répliqué en appelant l’OTAN à signer deux traités ; l’un stipulant que l’organisation ne s’élargisse plus avec d’autres pays notamment et surtout avec l’Ukraine et l’autre que les États-Unis ne s’engagent à ne plus déployer des bases et activités militaires en Ukraine.

Quant à Joe Biden, ce même jour, après avoir prononcé un discours annonçant des mesures économiques contre la Russie, est parti jouer au golf.  Il est vrai qu’après avoir négligé l’Europe pour s’intéresser à la Chine après avoir trahit la France avec l’affaire des sous-marins australiens, les États-Unis souhaitent toujours ouvrir les portes de l’OTAN à l’Ukraine et beaucoup de pays en Europe y sont favorables, à l’exception de la France et de l’Allemagne ; semble-t-il. 

 

Au risque d’être taxé d’anti-américanisme primaire, la politique étrangères des Etats-Unis demandent une faculté d’analyse que je ne possède probablement pas. 

Puisqu’on n’a pas su prendre la voie de la raison bien avant qu’il ne soit trop tard, ni la parole, ni la diplomatie n’ayant suffi, nous sommes désormais face à un affrontement majeur. Un affrontement, à l’heure où j’écris ces lignes, qui est pour l’instant circonscrit au territoire ukrainien. L’évolution que prendra ce conflit dans les semaines qui arrivent nul ne peut le savoir.

 

Alors, la diplomatie n’est pas une option, elle est la solution, sans quoi la guerre risque de généraliser en Europe et la cavalerie risque comme dans certains western arriver trop tard.  

 

Si aucune solution rapide n’est trouvée, la Russie, de plus en plus contrainte risque de jouer l’option la plus radicale, l’annexion totale de l’Ukraine, menaçant ainsi directement dans un second temps la Pologne, la Moldavie et la Roumanie. 

 

La vocation de l’Ukraine était celle de la neutralité, sans vocation à entrer dans l’UE et surtout dans l’OTAN, ne pas en avoir créé les conditions est une erreur.

 

L’Europe se réveille un peu tard, les Etats-Unis après avoir soufflé sur les braises, ils sont spécialistes, regarde la vieille Europe se débattre dans une crise inédite, dont ils sont en partie responsable.

 

Un dictateur nouveau, il faut oser dire le mot, est apparu en Europe , il vient de l’est, quelle que soit notre responsabilité, il convient de le combattre par la diplomatie et s’il le faut par les armes, car je crains que rien ne l’arrête.

 

Lorsque la peur n’est plus un frein, lorsque la confiance disparait, alors l’impossible devient possible y compris le pire.

 

Roland Pietrini

 


 [RP1]Membre de la police politique d'un régime communiste.

 [RP2]Pistolet automatique russe

 [RP3]La Loubianka est le nom d'un immeuble situé à Moscou en Russie, sur la place éponyme. Siège du KGB puis du FSB.

 [RP4]Exercice militaire russe de grande ampleur en septembre 2021 avec pour principal partenaire la Biélorussie. Son nom : « Zapad » – qui signifie « Ouest » en russe. Son but : impressionner autant que faire se peut l’ensemble des adversaires de la Russie, afin de mieux les dissuader de s’engager dans un conflit, y compris de « haute intensité », comme annoncent régulièrement s’y préparer les états-majors français ou américains.

 [RP5]L'Ukraine a été ainsi baptisée en 1187 d'après un mot slave qui veut dire «frontière» ou «marche».

Ce grand État en mal de visibilité s'étire de fait aux marges du monde russe, dont il a été le berceau, et à la jonction entre le monde orthodoxe et le monde catholique. 

 

 [RP6]En 1990, les Américains auraient promis aux Russes de ne pas élargir l’Alliance atlantique à l’Est.

 [RP7], il devient en mai 1974 vice-chancelier et ministre fédéral des Affaires étrangères des gouvernements d'Helmut Schmidt. Il est élu président fédéral du FDP en octobre suivant.

 [RP8]James Addison Baker est un avocat, diplomate et homme politique américain. Membre du Parti républicain, il est secrétaire du Trésor entre 1985 et 1988 dans l'administration du président Ronald Reagan puis secrétaire d'État entre 1989 à 1993 dans celle de son successeur George H. W. Bush.



04/03/2022
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