ATHENA-DEFENSE

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CONFLIT EN UKRAINE, LE TEMPS JOUE POUR POUTINE

 
Alors que le conflit en Ukraine s’installe dans la durée, et qu’un certain nombre d’enseignements, après la stupeur de l’offensive de février 2022, semblent avoir été tirés par les États-Majors de la coalition des pays de l’Otan, il parait utile de se placer du côté de la Russie et de l’armée russe, afin de comprendre si, à son tour, celle-ci s’est adaptée à l’évolution du conflit.
 
 
 
BMP ukrainiens en route pour le front.JPG
BMP Ukrainien en route pour le front. 
 

C’est ce que l’IFRI (Institut Français des Relations Internationales), dans un document intitulé « Que pense l’armée russe de sa guerre en Ukraine ? », sous la plume de Dimitri Minic (1), analyse dans son document fort intéressant et récemment publié.  C’est aussi l’occasion de réfléchir sur l’avenir de ce conflit.

 

La guerre sans contact

La guerre sans contact (ou lutte armée à distance) est prévue par la théorie militaire russe au début des années 2000, elle consiste à traiter l’ennemi à distance par l’artillerie et les frappes dans la profondeur, en évitant le contact. Or, l’opération militaire spéciale (SVO) a précisément engagé l’armée russe dans un processus inverse, en engageant ses forces profondément dans le territoire ukrainien, sans préparation suffisante, au contact direct des forces ukrainiennes, qui ont su tirer avantage d’une telle situation en fractionnant les éléments de tête, en coupant les lignes de communication et les axes logistiques, et en menant un combat de harcèlement et de destruction systématique des colonnes blindées par des éléments légers et mobiles. L’opération de l’armée russe de type Blitzkrieg (guerre éclair) s’est rapidement transformée en déroute, notamment sur l’axe Nord vers Kiev, les forçant au repli. 

 

Depuis, il ne faudrait pas avoir la naïveté de croire à l’immobilisme de la pensée russe. L’armée russe est passée d’une phase très critique de sa guerre en Ukraine à une phase qui apparait plus constructive, notamment en tentant d’emmener l’armée ukrainienne à reproduire dans sa phase offensive actuelle les mêmes erreurs qu’elle avait commises ; colonne blindée engagée sans appui du génie et du déminage, manque de couverture aérienne, insuffisance du renseignement, analyse sommaire de la situation – l'amenant à tomber dans des embuscades génie, après avoir été canalisée. L’armée russe a appris à manœuvrer, alors que l’arme ukrainienne, fière de ses succès du printemps, est retombée dans des process hérités de l’armée soviétique, en dépit des conseils et formations prodigués par les pays occidentaux. La cohérence profite plutôt à l’armée russe, l’armée ukrainienne étant soumise à la difficulté de gérer un parc de matériels hétéroclites de qualité inégale, au maintien en condition compliqué.

 

Le régime a tenu

En dépit de ses échecs, l’armée russe a tenu et le régime de Poutine a surmonté la révolte wagnérienne, remis de l’ordre dans le haut commandement et réussi une mobilisation partielle. A contrario, l’armée ukrainienne souffre d’une difficulté de recrutement, et la moyenne d’âge sur le front est plus élevée que dans l’armée russe. Les jeunes Ukrainiens peuvent échapper plus facilement que les jeunes russes à la mobilisation, et l’élan patriotique des premiers mois semble s’émousser.

 

La réalité des difficultés ukrainiennes est peu évoquée dans les médias, elles existent pourtant. La corruption est au moins égale à celle du système russe, autre sujet peu débattu sur les plateaux par des commentateurs souvent soumis à la doxa ambiante et aux représentants de la pensée autorisée qui consiste à cataloguer toutes les analyses remettant en cause les deux opposants, comme étant favorable à Poutine. Dans ces conditions, il est difficile d’avancer une analyse objective du conflit en cours.

 

Le régime poutinien tout en réduisant les espaces de liberté d’expression au sein de la société, en muselant les oppositions, semble tolérer l’existence de certains discours de vérité. Or ce discours de vérité s’appuie sur un système politico-militaire solide.

 

L’économie de guerre russe, en dépit de ses difficultés, fonctionne tout en ayant des décennies d’avance sur la BITD occidental, en termes de masse et d’efficacité.

 

Sur le plan de l’équipement, elle a su mesurer la relativité des avancées technologiques et semble miser dorénavant sur ce qu’elle sait le mieux faire, produire en masse des engins de guerre faits pour faire la guerre, c’est-à-dire voués à la destruction à un moment ou à un autre et remplaçables. La politique des stocks est une vieille affaire russe, on aura beau se gausser de la présence de vieux chars sur le front, en statique comme en casemate, un canon de char fut-t-il de T62 reste un canon.

 

Passivité et patriotisme

Cette approche, jugée amorale par les occidentaux, de sacrifice humains et matériels, qui serait inacceptable pour les occidentaux, ne pose aucun problème à l’opinion russe. La culture occidentale n’a pas profondément pénétré la population russe relativement passive et majoritairement patriote.

La grande habileté de Poutine est de jouer sur les deux en se servant du clergé orthodoxe relativement  corrompu et du sentiment national entretenu par le souvenir de la grande guerre patriotique, enseignée dans les écoles, on est loin, très loin, du wokisme américain et de la culture de la repentance occidentale.

Cela ne veut pas dire que la société russe est un exemple, cela veut dire que pour observer les Russes, il faut un tant soit peu, chausser les bonnes lunettes et pour les comprendre, abandonner un certain nombre de réflexes à l’image de nos pseudo élites et de nos sachants qui s’étonnent de se tromper  pour avoir oublié que l’avenir est tout, sauf prévisible.

Or, la myopie occidentale ne résoudra rien, la dichotomie entre le bien et du mal depuis le 11 septembre, est loin d’être une fin en soi, elle ne peut avoir de prise sur un peuple qui s’est construit à l’opposé des concepts occidentaux.

Alors que la destruction systématique du héros guerrier instille la pensée de la culpabilité en Occident, il ne faut pas s’étonner que le discours de Poutine reçoive un écho dans nos sociétés en voie de déconstruction et sans repère, ce discours considéré comme radical et faisant partie du camp des méchants est entendu aussi en Afrique et en Asie. La question n’est donc pas de savoir pourquoi son discours est entendu, mais pourquoi le nôtre est inaudible.

 

Du flou dans les objectifs

C’est pourquoi, il ne faut pas sous-estimer la résilience des Russes à surmonter les revers et les défaites massives qu’ils ont subis au cours de leur histoire. Pourtant, on devrait se souvenir qu’aucune invasion de la grande Russie n’a réussi et que les deux plus grandes armées du monde, celles de la Grande Armée de Napoléon et du troisième Reich ont toutes échouées devant Moscou…

Cette certitude de résilience a formé l’âme russe et ce n’est pas le revers ukrainien qui changera cette appétence pour la survie. Quelles qu’en soient les raisons, l’ours est sorti de sa tanière, il sera difficile de le faire rentrer. (2)

À cet égard, si un conflit majeur survenait entre la Russie et l’Europe, laquelle des populations résisterait le mieux ?

 

Un avenir incertain et une morale à géométrie variable

Il semblerait qu’aujourd’hui, du côté ukrainien, comme du côté occidental, un flou existe de plus en plus sur les buts de cette guerre et l’avenir reste incertain. L’interrogation sur le résultat des futures élections américaines pose aussi question sur l’avenir de l’aide des Etats-Unis envers l’Ukraine. Il parait évident que sans l’aide massive américaine, de leurs alliées et de l’Europe, l’Ukraine se serait effondrée depuis longtemps.

 

Force est de constater qu’on a aujourd’hui moins de scrupules envers l’Arménie et le haut Karabagh, il est si commode d’acheter le gaz russe qui transite par l’Azerbaïdjan avec la complicité de l’Europe avec madame von der Leyen qui se prend pour ce qu’elle n’est pas.  Il serait vain de chercher la morale dans cette histoire, serait-ce une morale à géométrie variable ? C’est pourquoi, certains pays commencent à estimer que le prix à payer dans ce conflit devient de plus en plus élevé pour atteindre des objectifs de moins en moins clairs.

 

L’aide à l’Ukraine vise-t-elle uniquement la reconquête des territoires perdus par celle-ci, y compris la Crimée ou bien vise-t-elle la chute du régime russe ? Qui serait aujourd’hui capable de l’expliquer ?

 

Nous nous installons dans une guerre longue, qui ne peut que déboucher sur une surenchère des deux côtés. Les va-t’en guerre, Pologne en tête, s’arment et se préparent, les autres regardent et suivent pour faire comme si. Quant à la France, elle a choisi un « juste milieu », comptant sur son parapluie nucléaire afin de faire face en participant a minima au cas où, mais jusqu’où ?

 

En réalité, la France n’a pas de solution pour l’Europe, sinon une défense européenne dans l’OTAN, ce dont personne ne veut.  L’Allemagne et les autres pays européens l’ont parfaitement compris, en se pelotonnant contre l’oncle Sam et son illusion de toute puissance, par cet acte de soumission,  ils démontrent leur incapacité à penser et à se défendre par eux-mêmes. L’image serait touchante, si elle n’était dérisoire, tant elle ignore le côté fragile de cette protection.

 

Alors, puisqu’un effondrement de l’armée russe et du régime qui la soutient apparait de moins en moins probable, on ne peut que faire le constat que le temps joue pour Poutine.

 

Cela va sans dire, mais encore mieux en le disant !

 

Roland Pietrini

 

 

1.Dimitri Minic est chercheur au Centre Russie / Eurasie de l’Ifri. Docteur en histoire des relations internationales de Sorbonne Université (2021), il a obtenu un financement doctoral de trois ans de la Direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) et de l’Institut de recherche stratégique de l’Ecole militaire (IRSEM), du ministère des Armées. Il a également été consultant à la DGRIS, où il a produit des rapports sur les questions énergétiques en Eurasie et en Amérique du Nord.

 

2. Conflit Russie-Ukraine, un nécessaire retour sur l’histoire 



04/10/2023
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