Premières armes à la Direction du Renseignement Militaire- Suite 4
Brique après brique, le général Manificat nous donne sa vision des débuts de la DRM. C'est un document indispensable pour ne pas dire exceptionnel pour comprendre comment, à défaut d'organisation à l'anglo-saxonne, notre système s'est construit grâce à l'imagination et la qualité des hommes qui se sont engagés pour transformer ce qui, il faut le constater, était trop souvent du bricolage, en outil de plus en plus performant...., à suivre donc.
R.Pi
4ème article :
Premières armes à la Direction du Renseignement Militaire
La clé de la puissance future
En quittant mes fonctions au Bureau Renseignement-Relations Internationales, je suis plein d’enthousiasme à l’idée de participer à la création de
Il y a des années que le Renseignement français connaît des jours moroses. De sa lutte nécessaire et légitime contre la guérilla et le terrorisme en Indochine et en Algérie, il n’a retiré qu’une image trouble d’amertume et d’avanie. De son analyse figée de la menace soviétique, il a hérité une certaine sclérose de la pensée.
Groupes aériens d’observation d’artillerie (GAOA) qui ont participé au recueil du renseignement en Indochine, équipés de Criquet, nom français du Fieseler Storch allemand.
Alors qu’aux Etats-Unis, un ancien directeur de
J’ai extrait ces quelques phrases d’un projet d’article que le général qui commandait alors l’Ecole Interarmées du Renseignement et des Langues (EIREL) de Strasbourg, m’avait fait parvenir avant sa publication.
S’il faut trouver une utilité à la guerre du Golfe, c’est bien celle d’avoir mis en exergue l’importance du renseignement, clé de la puissance future, l’insuffisance de notre organisation, cloisonnée, dispersée et hiérarchisée, et notre dépendance à l’égard des Etats-Unis, dans le domaine spatial en particulier. Ne voulant pas s’attaquer à l’insuffisance et à la dépendance, nos responsables militaires s’étaient jusqu’ici contentés d’en atténuer l’importance. Et voici que la nouvelle donne internationale vient réhabiliter le renseignement en en faisant un instrument privilégié de prévention et de maîtrise des crises ! Elle exige une nouvelle culture, une véritable « intelligence » de notre temps.
Il s’agit de rechercher
Depuis le début de l’année 1992, avant même de rallier la DRM, je réfléchis à l’organisation de la future sous-direction qu’on va me confier et, surtout, je recherche les hommes indispensables à son fonctionnement pour former une équipe interarmées solide et compétente. J’ai reçu la mission d’organiser, de diriger et de coordonner la recherche du renseignement par « les moyens humains et les moyens techniques ».
C’est à l’occasion d’un voyage à Berlin que je vais trouver l’homme idoine pour la recherche dite humaine, et je vais le rencontrer à un cocktail donné par le chef du Deuxième Bureau, comme dans les romans ! Ce colonel est depuis un an le chef du Bureau des Relations Extérieures de Baden-Baden. Il accepte aussitôt mon offre et interrompt un séjour confortable et lucratif aux FFA (Forces Françaises en Allemagne) pour venir à Paris organiser le recueil et la transmission des informations à l’aide d’équipes de recherche, une spécialité qu’il connaît parfaitement puisqu’il a commandé le 13ème Régiment de Dragons Parachutistes.
Cet officier expérimenté et résolu sera en même temps mon adjoint. Il va mener de pair notre installation dans les locaux qu’on nous affecte, l’engagement des premières équipes dans les opérations en cours et l’acquisition des matériels indispensables à notre travail. Un capitaine de frégate, calme, courtois et d’autant plus disponible qu’il sait déjà qu’il ne terminera pas chef d’état-major dela Marine, le seconde en prenant à sa charge tout un environnement qui concourt au recueil du renseignement : les attachés de défense, les observateurs, les organisations internationales et non gouvernementales. Un ancien de la MMFL (1) se présente spontanément et se porte volontaire pour servir à la toute nouvelle sous-direction Recherche. Il se fait fort de recruter d’anciens observateurs de Potsdam et tient parole en ramenant dans ses filets une bonne demi-douzaine d’entre eux.
Il s’agit aussi d’écouter
SARIGuE : "Système Aéroporté de Recueil des Informations de Guerre Électronique"
Le recueil du renseignement d’origine électromagnétique, autrement dit
Satellite Helios
Il s’agit enfin de voir
C’est un autre colonel de l’armée de l’air qui préside aux destinées de l’imagerie. Contrairement à la Marine Nationale qui ne s’est pas fatiguée pour alimenter en spécialistes la nouvelle DRM, l’armée de l’Air ne s’est pas moquée de nous en affectant ses officiers. C’est peu de dire que cet officier domine son sujet, il est LE spécialiste qui possède une connaissance approfondie de tous les capteurs existant et qui a pris, à temps, le virage de l’imagerie satellitaire. Il sera donc au rendez-vous d’Helios lorsque celui-ci sera mis en orbite. En attendant, il sait tirer toutes les ressources du satellite civil Spot. Il sait aussi faire œuvre utile et pédagogique en apprenant à la ribambelle de grands et de petits chefs à exprimer correctement leurs besoins en photographies. Il les oblige à préciser ce qu’ils recherchent, car beaucoup de demandes sont inexploitables parce qu’elles sont tout simplement mal exprimées. Un Mirage IV, un Mirage F1 ou un Jaguar ne peuvent pas être expédiés n’importe où pour faire n’importe quoi.
Mirage F1 CR avec nacelle Presto.
Dans les réunions d’état-major ou dans les groupes de travail techniques, je disposerai ainsi d’adjoints de poids, à la compétence reconnue, qui feront entendre et respecter la voix du renseignement et sauront faire évoluer aussi bien les moyens d’acquisition que les mentalités des cadres des états-majors et des unités opérationnelles.
Des besoins en renseignements élargis
Au Cambodge, il faudra attendre un an pour être autorisé à acheminer des moyens de renseignement au sein de l’APRONUC (Autorité provisoire des nations unies au Cambodge). En Yougoslavie, six mois s’écouleront avant leur mise en place dans nos unités de la FORPRONU (Force de protection des nations unies). En Somalie et au Rwanda, les moyens de renseignement précéderont enfin les moyens d’action. Il faudra attendre davantage pour obtenir des alliés, en particulier américains, notre intégration complète. Au sein de plusieurs états-majors de théâtre, en Turquie par exemple, nous fournissons des hommes, des avions et des renseignements et nous n’avons même pas accès au Deuxième Bureau US.
De même, nos officiers ou nos détachements de liaison, qui étaient jusqu’à présent mis en place avec leur bonne mine et leur crayon, seront désormais dotés d’une capacité de traitement de l’information avec un microordinateur et d’une autonomie de transmission protégée avec un fax et un téléphone par satellite et parfois même avec des moyens de transfert d’images.
Il est vrai qu’avec le peu de capteurs dont notre armée dispose à cette époque, les organismes d’exploitation du renseignement sont déjà saturés. Alors, avec des moyens d’acquisition plus performants, il va bien falloir renforcer les effectifs des exploitants.
En fait, la gestion des moyens de recherche du renseignement, qui constitue normalement notre seule mission, nous oblige à en faire bien davantage si nous voulons que les informations recueillies parviennent à celui qui en a besoin. D’abord parce que le renseignement qui nous intéresse s’est considérablement élargi hors du domaine militaire : en plus des belligérants, il porte sur les alliés, la population, les réfugiés etc. L’ « ennemi » n’est plus notre ennemi de couleur rouge ou orange avec des matériels et des procédés connus. Le « milieu » regroupe un environnement complexe et nous oblige à nous pencher sur des ethnies, des clans, des milices, des partis. Il nous faut étudier des langues rares, côtoyer des acteurs nouveaux comme l’ONU, la CSCE, les ONG. Le montage des opérations s’est également modifié, interarmisé, internationalisé. Bref, il nous faut additionner une multitude d’éléments qu’il s’agit de recueillir et de faire circuler rapidement dans une chaîne spécifique.
La création de
Voir, écouter, comprendre, c’est ce que chacun réclame de la sous-direction recherche et les quarante cadres de SDR vont s’efforcer de relever ce défi. Chacun d’eux se tient prêt à empoigner son bâton de pèlerin ou à revêtir son armure (de croisé ?) pour convaincre les uns et combattre les autres. C’est dans cet état d’esprit que nous allons nous pencher sur un autre « cas concret » de renseignement à travers un théâtre d’opérations différent et tout ce qu’il y a de plus récurrent, celui du Tchad, et dresser ainsi un état des lieux au moment de la création de
(à suivre)
Patrick Manificat
(1) La Mission Militaire Française de Liaison de Potsdam
Je rappelle que les commentaires ne sont pas un forum qui part dans tous les sens, en conséquence, les commentaires hors-sujets où polémiques ne seront pas diffusés. Le régulateur R.Pi.
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