ATHENA-DEFENSE

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La géologie du renseignement tchadien ( 5° article)

Dans ce 5ème article, le général Manificat nous emmène au Tchad, et l'adage français, "pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué", surtout quand les moyens font défauts, prend tout son sens.

Mais on ne monte pas si rapidement jusqu'au sommet de la montagne lorsqu'on part de la plaine, le chemin peut être long et sinueux.

 

L'auteur décrit en totale sincérité une situation vécue.  Son témoignage est une nouvelle fois  de grande valeur, et je l'en remercie à nouveau.   R.Pi. 

 

 

 

5ème article :

 

 

La géologie du renseignement tchadien

 

 

 

En ce début d’automne de l’année 1992, les Tchadiens ont repris du poil de la bête, mais aucun des problèmes qu’ils rencontrent n’est résolu, à l’intérieur comme à l’extérieur. Si nous voulons conserver cette « plate-forme » bien placée au cœur de l’Afrique, il est bon de savoir ce qui s’y passe afin d’être prêts à réagir avec les moyens adaptés. C’est pourquoi le dispositif de renseignement doit fonctionner efficacement et sans délai. Comme toujours dans notre armée, cette organisation est le fruit d’un passé agité au cours duquel se sont « empilées » des couches successives et variées de moyens.

 

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Les éléments français au Tchad (EFT) en patrouille dans le BET - Photo : Tchad(Chad)-Opération Epervier

 

 

La géologie du renseignement tchadien est donc le résultat des différentes opérations Tacaud, Manta et Epervier (1): une sorte de mille-feuilles émietté depuis quinze ans.  Chacun sait bien que les conditions du succès de toute organisation militaire reposent sur la trilogie : un chef, une mission, des moyens. Ici, on trouve trois chefs différents, des missions manquant de précisions et des moyens très dispersés, comme si on avait voulu diviser pour régner même si ce n’est pas le cas.

 

Les trois mousquetaires

 

Il y a d’abord un colonel de l’armée de terre Attaché de défense (AD), ensuite le Commandant des Eléments Français (COMELEF), un colonel de l’armée de l’Air, enfin le Conseiller Militaire Spécial (CMS), un autre colonel de l’armée de Terre qui a sous sa coupe l’assistance militaire, c’est-à-dire la partie coopération, autrement dit, les Français travaillant sous l’uniforme tchadien. Ils ont tous les trois des moyens de recueil du renseignement. Tandis que l’attaché a les écoutes sous sa coupe, le COMELEF dispose de son côté des équipes de recherche du 13e RDP et le Conseiller Militaire Spécial a le meilleur réseau d’informateurs potentiels car ses équipes sont réparties sur tout le territoire. Chacun a son propre réseau et son propre deuxième bureau, sans compter la sécurité militaire et la DGSE. Selon l’armée d’appartenance ou la spécialité, la durée du séjour est différente : 2 mois pour les uns, 4 mois pour les autres, mais aussi 6 mois ou même un an pour certains.

 

AD, COMELEF et CMS sont persuadés d’être, chacun, le personnage clé vers lequel tous les renseignements doivent converger et nous sommes là pour transformer cette organisation dispersée en une chaîne unique, nationale et intégrée.

 

Bref, ce ne sont pas les moyens de renseignement qui manquent, mais il faut arriver à les coordonner, à les fédérer  et à canaliser vers la DRM le flux des informations qu’ils recueillent par l’intermédiaire de notre attaché de défense, principal « responsable du renseignement au Tchad », un simple problème de robinet en somme.

 

L’appétit du renseignement vient en mangeant

 

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vue aérienne de l'ambassade de France r
ue l’Adjudant-chef Zouala Agoyna
 N’DJAMENA

 

L’ambassadeur de France nous reçoit très courtoisement dans son bureau climatisé donnant sur le Chari. Avec l’AD, nous essayons de le sensibiliser à la fameuse « protection des sources », chère à la DGSE, en lui expliquant qu’il convient d’éviter de commencer ses télégrammes diplomatiques par selon les écoutes ou d’après nos interceptions. Comme beaucoup de diplomates, notre ambassadeur éprouve un curieux mélange de réprobation et de fascination pour tout ce qui touche au renseignement. Les informations qui lui sont apportées quotidiennement constituent une parcelle de sa puissance, alors, laisser entendre qu’il a les moyens de tout savoir le remplit d’aise.

 

Mais il est déjà temps d’aller rencontrer le CMS. Il a eu la très bonne idée d’inviter ses deux « concurrents » et nos affaires avancent. La chance veut que les trois hommes s’entendent bien et aient tous trois le sens de l’humour. Par conséquent, la situation est loin d’être désespérée. Le chef de la mission d’assistance militaire a ses hommes dispersés sur de nombreux sites périphériques à Faya, Abéché, Moussoro etc. Autant de sources intéressantes sous réserve de les doter de moyens de transmission de l’information, car ces détachements se trouvent à tous les emplacements stratégiques du pays, au contact des préfets et des commandants de région. Nous obtenons de les renforcer avec des équipes du 13e RDP prélevées avec l’accord du COMELEF, ce qui procure aux coopérants à la fois des personnels qualifiés et des moyens radio performants et discrets.

 

 

carte du Tchad.jpg

 

En cette année 1992, le système D n’est pas l’apanage des Gaulois et la grande misère ne concerne pas que les Tchadiens. Ainsi, notre attaché de défense, responsable du renseignement pour tout le pays, ne dispose pas d’un budget propre. Lorsqu’il se déplace, il n’a aucun moyen de communication protégée. Il n’est pas destinataire des messages des attachés des pays voisins : Soudan, Niger, RCA et Cameroun. Son « Bureau étude », chargé de diffuser l’alerte en cas de troubles internes, n’a ni véhicule, ni moyens radio, ni informatique.

 

Le troisième mousquetaire, le COMELEF, a déjà participé aux deux rencontres précédentes, ce qui facilite l’entrée en matière. Responsable de la sécurité des forces et de la protection des ressortissants, il se sent tout à fait concerné par l’acquisition du renseignement, la circulation et l’échange des informations. Il dispose d’un deuxième bureau, de plusieurs équipes de recherche du 13e RDP et d’un poste de sécurité militaire. Une escadrille de Jaguar est à sa disposition pour effectuer des reconnaissances photographiques.

Il ne nous reste plus qu’à faire le tour des sites pour compléter notre information.

 

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Jaguar sur la base de Nancy et Ouadi-Doum (2)

 

Les trésors des sites

 

L’attaché de défense a bien fait les choses. En cinq jours, par avion, en hélicoptère ou par la route, il nous fait faire le tour du pays, du moins celui de sa moitié nord, en commençant par Faya-Largeau. Là aussi, la piste d’aviation est toute neuve. En plein désert, l’immense ruban d’asphalte scintille au soleil. Modelées par le vent, d’énormes dunes s’en approchent. Elles ont déjà englouti les chars et les BMP (transports de troupes blindés) abandonnés par les Libyens ou détruits par les Tchadiens vainqueurs. Des légionnaires continuent à déminer les abords. Il n’est pas conseillé de se promener dans la région car les mines sont encore nombreuses et s’y déplacent au gré des dunes.

 

 

Faya largeau.jpg

Photo AFP publiée le 10 avril 1987 à Faya-Largeau, après la défaite de l'armée libyenne lors du conflit tchadien-libyen, de chars T-54 et T-55 abandonnés appartenant à l'armée libyenne.

 

 

L’oasis tient toutes ses promesses de fraîcheur et de beauté. Des troupeaux de chameaux sont fidèles au rendez-vous tout au long des 80 km de l’oasis. A la fois boucherie ambulante et animal de bât, ce hideux quadrupède a envahi les rues de la préfecture du Borkou-Ennedi-Tibesti. Entre les petites maisons carrées couleur de sable, des éventaires proposent du mil, des dattes, des poteries ou de l’essence et des caravanes apportent des étoffes, du sel et du natron. A 1000 km de N’Djamena, le petit détachement français sert à la fois d’atelier de réparation, d’infirmerie et de police aux côtés des Tchadiens. Il a tout un réseau de contacts dans la région et il ne lui manque que quelques spécialistes et des transmissions adaptées pour acheminer le renseignement.

 

Le responsable du site de Moussoro, au nord de N’Djamena, est plus mal loti. Bien que beaucoup plus proche de la capitale, il ne voit passer qu’un avion par mois au lieu d’un par semaine à Faya. Cette région, proche du lac et du Niger,  est réputée sensible et a toujours constitué une zone de dissidence. Il va donc falloir renforcer ses moyens.

 

C’est sur le Chari, à 80 km au sud de N’Djaména que se trouve le détachement de la Loumia qui assure l’instruction des forces tchadiennes tout en contrôlant le radier, point de passage obligé vers la capitale. La mission est parfaitement remplie et aucun renforcement ne s’avère nécessaire.

 

Un commandant de Légion nous attend à Abéché avec un chameau pour nous conduire auprès de son détachement et c’est du haut de ce vaisseau du désert que nous franchissons les remparts de la ville, en flânant le long des arcades de la place du marché. Les tours jumelles de la mosquée d’Am-Souego se découpent sur le ciel immaculé.

 

 

 

Dromadaire 1.jpg

Un sous-officier du 11° CHOC au TCHAD

 

Le dispositif est cohérent, le commandant est bien renseigné et il ne conserve pas les informations pour lui. Donc, tout va bien du côté du Soudan qui nous inquiète un peu. Nous en profitons pour faire un petit tour en ville, visiter la bibliothèque municipale, cadeau des marsouins de Vannes, et discuter avec le commandant de la Région. Puis c’est à nouveau le cap sur N’Djamena où je ne veux pas rentrer trop tard car je suis invité chez notre ambassadeur qui reçoit le chef de l’état-major présidentiel, ainsi que le général, futur patron de la Coopération. Le Tchad est vraiment une chasse gardée de l’Elysée.

 

Le renseignement nouveau est arrivé

 

Le lendemain, après avoir salué les autorités tchadiennes, le colonel ministre de la Défense et le lieutenant-colonel chef d’état-major général des armées, nous tirons avec les trois mousquetaires les enseignements de notre visite et je leur désigne le seul responsable du recueil, de la synthèse et de l’acheminement des informations : l’attaché de défense…

Il y a quelques grincements de dents, mais nous y mettons un peu d’huile en annonçant les renforcements que nous envisageons dès notre retour.

A en juger par ce que nous venons de voir au Tchad, il y a encore du chemin à parcourir avant de disposer d’une organisation rationnelle et de moyens performants et complémentaires.

 

Le renseignement deviendrait-il porteur ?

 

La plus belle sous-direction du monde ne peut donner que ce qu’elle a. Dans les articles qui vont suivre, le lecteur va nous accompagner dans la partie la plus « distrayante » de notre travail, sur le terrain, en Yougoslavie, au Cambodge et en Somalie.  

Nous lui épargnerons la basse besogne à laquelle nous avons dû nous livrer au cours des innombrables réunions pour essayer de faire avancer les pions du renseignement, souvent sans succès, face à des hommes de consensus qui aimaient bien que tout le monde soit d’accord avant de prendre une décision. Sur le terrain - je n’ose pas dire « en opérations » tellement certains casques bleus ont déployé d’énergie pour justement les éviter - il nous arrivera d’en égratigner quelques-uns mais petit à petit, beaucoup de gens allaient s’intéresser à la recherche du renseignement, même ceux qui n’étaient guère convaincus de sa nécessité. Dans une période de dissolution d’unités et de diminution des effectifs, le Renseignement voyait ses rangs augmenter. Alors, les plus malins se glissaient dans son sillage. Tel régiment de chars se découvrait des qualités de détection lointaine et voulait s’intégrer à la brigade de renseignement et de guerre électronique que l’armée de Terre mettait sur pied. La Marine, dont le caractère interarmées se manifestait surtout lorsqu’il s’agissait de s’emparer d’un poste de commandement sans fournir le moindre matelot, proposait l’utilisation de ses sous-marins nucléaires d’attaque pour nous servir de capteurs, ce qui nous valait de nous envoler pour Toulon en compagnie du directeur de la DRM et d’un amiral, et de plonger à 300 m de profondeur à bord du SNA Améthyste. Les Atlantic de la Royale abandonnaient la surveillance des pêches pour observer les côtes yougoslaves et les Mirage IV de l’armée de l’Air troquaient leurs bombes nucléaires contre des caméras.

 

 

Prévoir les risques, prévenir les crises, comprendre les évènements, apparaissaient de moins en moins honteux et de plus en plus « porteur ». Mais avant d’en arriver là, il va falloir nous armer de patience et ce n’est pas notre qualité première.

 

à suivre… 

 

Patrick Manificat

 

(1)- l'opération Tacaud se déroule entre février 1978 et mai 1980 durant la guerre civile tchadienne (1965-1980). 

 

   - L'opération Manta a eu lieu au TCHAD entre 1983 et 1984 dans le cadre du  conflit tchado-libyen.

 

   - L'opération Épervier au Tchad, a été déclenchée début février 1986 à l'initiative de la France après le franchissement du 16e parallèle par les forces armées libyennes venues soutenir Goukouni Oueddei qui avait été renversé fin 1981 par Hissène Habré avec le soutien de la France et des États-Unis. Elle succède à l'opération Manta qui en 1983-1984 avait été déclenchée pour les mêmes raisons (voir conflit tchado-libyen). Elle est remplacée par l'opération Barkhane à partir du 1° août 2014. 

 

(2) L’armée de l’Air et plus particulièrement l’Escadron de Chasse 3/3 Ardennes a effectué en 1987 un raid qui vit un missile Martel tiré par un Jaguar du 3/3 neutraliser un radar de veille de fabrication soviétique mis en œuvre par les forces armées libyennes sur le terrain de Ouadi Doum au nord du Tchad.

 



23/11/2019
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