ATHENA-DEFENSE

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Premiers enseignements de la guerre en Ukraine

 

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Moskwa 

 

 

Il est encore trop tôt pour tirer tous les enseignements de cette guerre en Ukraine, mais il est possible, cinq semaines après le début du conflit d’amorcer quelques réflexions, c’est à quoi je vais m’employer à la fin de cet article.

 

Cinq jours après l’invasion, au tout début du mois de mars, j’avais pris le risque d’écrire un long article de commande pour une revue européenne, j’en reprends l’essentiel.

*

« Nos dirigeants avaient depuis fort longtemps les clés de la compréhension pour prévenir cette crise, mais que n’ont-ils fait ?  Quand rien n’est prévu tout est imprévu !

La psychologie de l’un des auteurs est l’un des éléments importants à intégrer.  

Poutine est un tchékiste[RP1] , un homme de la guerre froide, il était présent en 1989 à Dresde, lorsque la foule a donné l’assaut à l’immeuble de la Stasi, il était là et il a dégainé son makarov[RP2] . Il a vu autour de lui un monde s’écrouler, il a souffert de l’humiliation de la chute de l’URSS. Il ne veut pas revivre cette même scène à la Loubianka[RP3] , il veut laver l’affront. À 69 ans cet homme à un compte à régler avec ses fantômes, l’un de ces fantômes menaçants qui le hante est celui de l’occident, cause unique selon lui de toute les humiliations subies. C’est pourquoi il ne s’arrêtera pas, il est devenu dangereux.  C’est un psychorigide qui décrypte le monde tel que le KGB l’a formé. Il veut laver l’affront de la disparition de l’URSS en sublimant un projet de Russie puissance qui poserait sa botte sur ce qu’il considère comme sa zone d’influence immédiate, l’Ukraine en fait partie, jusqu’où s’arrêtera-t-il ?   C’est pourquoi il aurait fallu l’arrêter avant, en évitant les provocations inutiles et en réglant le problème de la sécurité à l’est de la Pologne de cette Europe post guerre froide, ce qui ne fut jamais fait.

Dans ce scénario improbable face à cet inéluctable, l’Europe a insufflé l’idée que le guerre ne pouvait être et ne serait pas et l’idée originelle d’humanisme et de générosité a été dévoyée par la prééminence de la tolérance et du juridisme des droits de l’homme.  À trop vouloir ouvrir ses bras, elle a cumulé l’immense défaut de sa qualité, sa faiblesse. A force de vouloir unifier dans une seule culture, celle millénaire de ses membres, elle a combattu ce qui faisait sa force, sa diversité.

L’Europe est désarmée, moralement, comme elle est désarmée militairement et Poutine le sait, en tout cas le pense. Cette crise qui ne fait que débuter est extrêmement grave, elle traduit le profond divorce entre deux modes de pensée, un processus de délitement des relations internationales dont il est trop tôt pour en mesurer toutes les conséquences.  

Mais cette Europe amorce un sursaut, cinq jours après l’action de force de la Russie contre l’Ukraine elle découvre la nécessité de prendre en main son devenir. La peur, il est vrai, a parfois des vertus salvatrice. »

J’écrivais aussi :

« Emettons une hypothèse, cette fuite en avant de la part de Poutine ne serait-elle pas la prise de conscience du danger auquel son pays serait soumis ? N’aurait-il pas pris conscience que « dans tout système complexe, la destruction de l’un des éléments peut conduire à l’effondrement de l’ensemble du système » N’a-t-il pas simplement peur ?  Peur de revivre un second séisme, celui de l’effondrement de la Russie, de l’effondrement de son régime après avoir connu celui de l’URSS. Oui, Poutine se réveille la nuit hanté par les fantômes de son passé… 

Lorsque l’on veut s’opposer à un adversaire, mieux vaut connaitre son état d’esprit et son histoire. Mais celui-ci commet plusieurs erreurs.

-       La première est celle d’avoir négligé par excès de précaution la préparation mentale de ses soldats, dont certains ignoraient la véritable destination de leur manœuvre, alors que tactiquement, l’opération était planifiée depuis au moins les dernières manœuvres Zapad[RP4]  de septembre 2021, ces soldats ont été lancés dans une bataille dont ils ne comprennent pas le sens.   

-       La seconde est de ne pas avoir défini clairement son ennemi. Est-ce l’OTAN ou les ukrainiens ? Les buts de sa guerre ne sont pas clairs, y compris pour les chefs subalternes, dont la passivité est connue avec un niveau d’initiative très faible. 

-       La troisième est celle d’avoir sous-estimé la capacité de résistance de la population ukrainienne et sa résilience dès les premières heures.

-       La quatrième est que l’on ne gagne pas une guerre contre l’assentiment profond de son propre peuple. Car, je suis persuadé que beaucoup de Russes, dès qu’ils seront informés de la réalité de cette lutte fratricide entre slaves et contre un pays berceau de la Russie, n’approuveront pas cette guerre.      [RP5] 

-       La cinquième est que quelques jours après le début des combats, il est en train de perdre la bataille de l’opinion publique, dans le monde, en Ukraine et aussi en Russie.

Enfin, et ce sera la sixième erreur d’appréciation, il pensait que le sentiment de culpabilité de l’occident, accusé de tous les maux suffirait à fissurer l’union des pays de l’Otan, or c’est le phénomène inverse qui est train de se passer, la solidarité entre les occidentaux en raison de la peur que cette intervention génère est en train de souder les pays membres autour de l’Alliance Atlantique et créer de l’appétence pour d’autres. Poutine est devenu involontairement le meilleur prescripteur pour une OTAN forte et une Europe solidaire. »

 

Six semaines après le début du conflit, je ne regrette en rien ces écrits, alors que les armées russes marchaient sur Kiev et que l’on prédisait la chute imminente du régime de Volodymyr Zelensky désigné comme un pantin et mauvais acteur de son propre rôle.

 

 

 

chars russes.JPG

Chars russes des cibles à l'arrêt... 

 

 

 

Rien ne s’est déroulé comme prévu, « l’opération spéciale conforme au plan » a totalement raté, car la résistance du peuple ukrainien, sa résilience, et sa capacité de résistance  au combat, a contraint les troupes russes à reculer au nord. Parfaitement renseigné par l’Otan, les armées russes du nord ont été coupé de leurs lignes de ravitaillement et subi de lourdes pertes[RP6] . Plus de 497 VCI, 512 VBC, 476, 95 pièces d’artillerie, 32 hélicoptères, 20 avions, deux navire dont le Croiseur lance-missiles Moskwa etc..  Soit deux fois plus que sur le plan terrestre que la capacité totale de l’armée française.   

Les pertes ukrainiennes sont aussi considérables, 71 chars, 57 VCI, 61 VBC, 45 pièces d’artillerie, 3 hélicoptères. Cette différence est imputable au fait que les troupes russes en offensives sont plus exposées que les troupes ukrainiennes qui ont chois dès le début l’évitement au profit des embuscades et du harcèlement sur un terrain parfaitement connu et métrisé.

Les pertes humaines sont considérables des deux côtés, mais sont particulièrement à déplorer chez les civils du côté ukrainien[RP7] .

 

Je ne m’étendrais pas sur le point de situation des opérations en Ukraine,  la description de la situation est remarquablement suivie par Michel Goya sur son blog, il suffit de le lire.  

Je souhaiterais simplement torde le cou aux quelques commentaires de la part de certains de mes lecteurs qui continuent à croire que les défaites successives russes ne sont que la conséquence de leur immense générosité à retenir leurs coups et obéit à un plan murement établi et appliqué.   

Au risque de les décevoir une nouvelle fois, je voudrai souligner les quelques défaillances qui ont emmené à cet échec même s’il est fort probable que la seconde offensive dans le Donbass réussisse compte tenu du nouveau rapport de force.

Les armées russes ont démontré :

 

-       Leur incapacité de coordination entre les différents commandements.

-       Leur manque de coordination 3D (aviation – artillerie).

-       Leur incapacité à combattre de nuit notamment avec l’infanterie (pas de lunettes de vision nocturne or spetsnaz et troupes d’assaut).

-       Leur incapacité de maillage et de protection des communications.

-       Leur sous-équipement notamment en missiles guidés.

-       Leur incapacité à mener une manœuvre logistique efficace.

-       Leur manque de préparation et d’entrainement.

-       Leur manque d’initiative aux petits échelons (à partir du bataillon).

-     Leur infériorité structurelle en cadre intermédiaire sous-officier qui se révèle une nouvelle fois comme un handicap réel.

La masse blindée n’exclut pas la capacité manœuvrière, bien au contraire, la masse blindée est consubstantiel à l’idée de souplesse et de complémentarité avec ses appuis, (artillerie et 3D)  sa protection ( infanterie), et le renseignement, drones et UAV.  

Cette première approche démontre tout l’intérêt de développer une doctrine basée sur l’intelligence (renseignement et partage de l’information), le combat collaboratif, l’exploitation de forces mobiles richement dotées en moyens antichars. C’est un encouragement pour développer le programme Scorpion en le musclant et en intégrant un système blindé multi capteurs protégé par un système sol-air mobile et blindé. Drones et munitions rodeuses sont désormais indispensables au combat multi dimensionnel.

Ce sont les quelques enseignements que l’on peut modestement et avec prudence tirer de ces premières semaines de guerre.

Les semaines à venir avant le 9 mai seront décisives. Poutine devra, après toutes ces batailles perdues, offrir à son opinion une victoire qui sera quoi qu’il arrive très éloignée de ses objectifs initiaux.

 

Roland Pietrini.


 [RP1]Membre de la police politique d'un régime communiste.

 [RP2]Pistolet automatique russe

 [RP3]La Loubianka est le nom d'un immeuble situé à Moscou en Russie, sur la place éponyme. Siège du KGB puis du FSB.

 [RP4]Exercice militaire russe de grande ampleur en septembre 2021 avec pour principal partenaire la Biélorussie. Son nom : « Zapad » – qui signifie « Ouest » en russe. Son but : impressionner autant que faire se peut l’ensemble des adversaires de la Russie, afin de mieux les dissuader de s’engager dans un conflit, y compris de « haute intensité », comme annoncent régulièrement s’y préparer les états-majors français ou américains.

 [RP5]L'Ukraine a été ainsi baptisée en 1187 d'après un mot slave qui veut dire «frontière» ou «marche».

Ce grand État en mal de visibilité s'étire de fait aux marges du monde russe, dont il a été le berceau, et à la jonction entre le monde orthodoxe et le monde catholique. 

 



16/04/2022
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